Racisme et antisémitisme : ce miroir déformant que la France se tend à elle-même<!-- --> | Atlantico.fr
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Plus de 7 Français sur dix ont le sentiment que l’antisémitisme, mais aussi les idées racistes ou anti-musulmanes, sont répandues en France.
Plus de 7 Français sur dix ont le sentiment que l’antisémitisme, mais aussi les idées racistes ou anti-musulmanes, sont répandues en France.
©Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Gouffre

Si personne ne sous-estime les tensions communautaires ou la peur que celles-ci font vivre à un certain nombre de Français, tous les indicateurs de long terme montrent que l’antisémitisme a plutôt tendance à diminuer sur le long terme, de même que le racisme.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : La marche contre l’antisémitisme peut-elle être considérée comme une réussite au vu des nombreuses querelles politiques qui l’ont précédée ?

Chloé Morin : La marche peut être considérée comme une réussite. Reste que la semaine qui l’a précédée a permis de constater que de nombreux responsables politiques faisaient passer leurs calculs électoraux avant la cause dont il était question. Or, d’un côté ils disaient aux Français "l’antisémitisme est un phénomène gravissime, qui doit être combattu par toute la nation avec force", et de l’autre ils voulaient exclure le RN, donc au moins le quart de l’électorat… cette dissonance a été parfaitement notée par les Français. De même qu’ils ont vu que certains, notamment à gauche, étaient plus prompts à faire le procès d’un homme de 95 ans, qui a été exclu de son parti et que l’on n’entend guère plus, que de faire celui d’un homme politique bien actif, très ambigu sur l’antisémitisme, à savoir Jean-Luc Mélenchon. Ce deux poids deux mesures conduit les Français à juger durement les polémiques qui ont précédé la marche. 7 sur 10 soutenaient d’ailleurs l’idée que le RN y avait sa place. Une fois de plus, entre l’opinion et le débat politico-médiatique, nous avons pu constater qu’il y avait un gouffre. 

Le sentiment éprouvé par les Français, celui d’être dans un pays très conflictuel et parcouru par les haines, est-il exacerbé par les responsables politiques ?

Plus de 7 Français sur dix ont le sentiment que l’antisémitisme, mais aussi les idées racistes ou anti-musulmanes sont répandues en France. Ils ont donc l’impression de vivre dans un pays très intolérant, alors même que tous les indicateurs de long terme - par exemple les enquêtes de la CNCDH - montrent que l’antisémitisme a plutôt tendance à diminuer sur le long terme, de même que le racisme. Ce sentiment des Français est sans doute lié au fait qu’à mesure qu’elles deviennent plus marginales, les idées de haine sont de plus en plus insupportables aux yeux de la majorité, et sont donc dénoncées avec plus de force. 

Ce qui est frappant, c’est que lorsqu’on demande aux Français qui lutte le mieux contre l’antisémitisme par exemple, aucune des personnalités politiques testées n’obtient de scores élevés. Et pour la moitié des Français, aucune des personnalités politiques ne lutte bien contre ce fléau. Le sondage Opinionway que je cite ici, et que j’ai réalisé à des fins de recherche, illustre une fois de plus l’ampleur de la défiance du peuple à l’égard du personnel politique.  

Emmanuel Macron, en refusant de se rendre à la marche contre l’antisémitisme, a-t-il pu avoir peur d’avoir l’air trop pro-israélien ?

Ses intentions sont d’autant plus difficiles à décrypter que l’annonce de sa non-participation à la marche contre l’antisémitisme a été concomitante avec un revirement stratégique, annoncé sur la BBC, puisque Macron appelle désormais à un cessez-le-feu à Gaza. Ce revirement a été vertement critiqué par Netanyahou et peut dérouter de nombreux Français et observateurs de la vie publique. 

Je me garderais bien d’imaginer quelles sont ses intentions. Ce que je note, en tout cas, c’est qu’en ne justifiant pas très clairement son absence à la marche, il évite surtout de trancher un dilemme délicat: y aller, conformément à sa fonction de garant de l’unité nationale, et ainsi participer à la normalisation du RN; ou bien refuser d’y aller au prétexte que Marine Le Pen y est, et passer pour insincère aux yeux d’une part significative des Français.

Dans quelle mesure La France insoumise est mal perçue par les Français, avec des cadres qui semblent enfermer les musulmans dans un rôle de soutien automatique à la cause palestinienne, même dans ses projections violentes ou atroces ?

Je rappelle que selon un sondage IFOP, Jean-Luc Mélenchon est bon dernier du classement des personnalités politiques jugées en fonction de leurs prises de position depuis le 7 octobre. À 16%, il est derrière Zemmour qui obtient 25%! Et très loin derrière Macron, en tête à 43%, et Le Pen, située juste derrière. Donc l’opinion, en dehors de son cercle de fidèles (qui est, lui, très solide) est très sévère sur les prises de position du leader insoumis. 

Ce qui est extrêmement grave, c’est que tout se passe comme si certains membres de ce parti, Mélenchon en tête, semblaient ignorer la mécanique qui conduit à la flambée de l’antisémitisme. En disant que la marche de ce dimanche était un soutient inconditionnel au massacre, que disait Mélenchon? Que défendre les juifs, c’est défendre la politique de Netanyahou. Cet amalgame entre tous les juifs et la politique menée par un gouvernement pourtant extrêmement contesté en Israël, est précisément l’un des mécanismes qui fabrique aujourd’hui de l’antisémitisme en quantité industrielle!

La doctrine de LFI partage le monde en deux: les dominants et les dominés. La Palestine incarne le dominé par excellence : colonisé, exploité économiquement, et en prime, musulman. À l’inverse, Israël est le dominant idéal. C’est précisément pour cette raison qu’une partie de la gauche a tant de mal à lutter contre l’antisémitisme: si Israël résume ce que sont les juifs, alors les juifs sont les dominants (la proximité avec le pouvoir et l’argent sont des idées qui ont toujours été très répandues à l’extrême gauche par ailleurs). Or les dominants ne peuvent pas, par définition, être des victimes. Donc fermons les yeux sur l’antisémitisme. De même que si les palestiniens, que les Insoumis amalgament à tous les musulmans, sont des dominés, ils ne peuvent pas être des bourreaux par ailleurs. Les victimes ne peuvent pas être antisémites… donc fermons les yeux sur l’antisémitisme qui se nourrit de l’islamisme… 

Tous ces impensés et toutes ces contradictions sont très visibles aux yeux de nos concitoyens. C’est précisément pour cela que Marine Le Pen est jugée presque aussi crédible dans la lutte contre l’antisémitisme que Emmanuel Macron, alors que Jean-Luc Mélenchon est quant à lui loin derrière (7e position de mon sondage). 

Y a-t-il moins de haine active ? (au sens où quoi que les gens pensent - en matière d’antisémitisme par exemple mais pas seulement -, ils n’agissent pas forcément en conséquence)

Il y a moins d’idées antisemites mais la minorité paraît plus violente, plus décomplexée. Il est toujours difficile de faire la part des choses sans avoir l’air de relativiser l’inacceptable. Ce qui me choque aujourd’hui, c’est que beaucoup de gens, et y compris de journalistes, ignorent les mécanismes parfois complexes qui nourrissent les amalgames, et donc la haine et en particulier l’antisémitisme. 

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