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Qui gravit l’échelle des revenus par rapport à ses parents ?
©©MARTIN BUREAU / AFP

Ascenseur social

Une nouvelle étude réalisée par Michael Sicsic de l’INSEE révèle quelques surprises

Michaël Sicsic

Michaël Sicsic est chercheur associé au CRED (TEPP), il est spécialiste des questions d'inégalité et de mobilité.

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Atlantico : Vous avez, pour l’Insee, mené une enquête dans le but de savoir à quel point les revenus d’un foyer sont déterminants pour la mobilité intergénérationnelle, donc dans le parcours des enfants. Quel est l’intérêt d’étudier avec précision la mobilité intergénérationnelle par les revenus ? Que nous apprend cet indicateur sur l’état de la société ?

Michaël Sicsic : La mobilité intergénérationnelle constitue un indicateur de la capacité d’une société à assurer une égalité des chances. L’étudier permet de savoir dans quelle mesure les inégalités se reproduisent entre générations. Une longue tradition sociologique a étudié cette question en comparant les catégories socioprofessionnelles des parents et des enfants. L’approche innovante de notre étude est de raisonner non plus en termes de professions mais en termes de revenus : pour la première fois, on a pu comparer directement le revenu d’un jeune adulte aux revenus de ses parents. Cette approche est complémentaire à celle utilisant les catégories socioprofessionnelles. Ces dernières sont, comme leur nom l’indique, des « catégories », et les revenus peuvent fortement varier au sein d’une catégorie. L’approche par les revenus permet de classer les individus sur une échelle ordonnée (par exemple par cinquième, dixième ou centième ou de revenu) qui reste comparable entre générations et entre territoires pour étudier leur mobilité intergénérationnelle.

La question centrale demeure, à quel point le revenu des parents est-il décisif dans le parcours scolaire des enfants ? Quels sont les résultats de vos recherches ? 

Notre étude met en avant deux principaux constats. Le 1er est que mieux les parents sont classés dans l’échelle des revenus, mieux le sont également en moyenne leurs enfants par rapport aux jeunes adultes de leur génération : les enfants de familles aisées ont trois fois plus de chances d’être parmi les plus aisés que ceux issus de familles modestes. Mais, et c’est le 2e constat, il y a de la mobilité, ascendante et descendante : pour un même niveau de revenus des parents, les revenus des enfants varient fortement. Par exemple, 12 % des jeunes adultes de 28 ans issus des familles parmi les 20 % plus modestes grimpent en haut de l’échelle des revenus pour atteindre les 20 % les plus aisés.

Vous soulignez des différences de destin au sein des fratries. De quelle ampleur et comment l’expliquer ?

S’intéresser aux fratries permet de comprendre l’importance du milieu familial dans la distribution des revenus. En effet, si les revenus des parents influençaient totalement ceux des enfants, alors les revenus des fratries devraient être égaux à l’âge adulte. Ce n’est pas ce qu’on observe : les fratries (frères et sœurs étudiés séparément pour prendre en compte les différences de revenus entre hommes et femmes) ont une différence de rang moyenne d’un peu plus de 2 déciles. Cela montre qu’il n’y a pas de reproduction totale des inégalités. Il y a cependant une reproduction partielle des inégalités car cette différence de rang reste inférieure (de 30 %) à celle mesurée entre deux jeunes adultes pris au hasard. On peut ainsi en conclure qu’environ 30 % de la variabilité des revenus des jeunes adultes âgés d’environ 28 ans serait liée au milieu familial. On parle ici du milieu familial au sens large et non pas seulement du revenu des parents. En effet, les enfants d’une même famille ont en commun le revenu de leurs parents, mais pas seulement : ils partagent aussi un capital culturel, un patrimoine génétique, et l’influence du milieu social et du voisinage. 

Quel est l’état de la mobilité intergénérationnelle des revenus en France, par rapport aux autres pays de l’Union Européenne ? La persistance des niveaux de revenu et les inégalités entre générations se reproduisent-elles plus qu’ailleurs ?

Il est difficile de répondre précisément à cette question car les études sur la mobilité intergénérationnelle des revenus sont encore rares et mettent en œuvre des méthodologies pas toujours comparables. En essayant de faire cet exercice de comparaison, la mobilité intergénérationnelle parait plus forte en France qu’aux États-Unis mais moins forte que dans les pays nordiques, au Canada et en Suisse. La mobilité ascendante (grimper du plus bas au plus haut cinquième de revenus) serait plus élevée en France qu’en Allemagne selon des estimations de l’OCDE. Les estimations de la mobilité intergénérationnelle des revenus à partir de données administratives en panel se développent fortement ces dernières années à l’international :  gageons que dans quelques années, nous pourrons faire des comparaisons internationales plus complètes. 

Si les revenus des parents influencent ceux des enfants, ils ne les déterminent pas entièrement. Quels sont les autres facteurs qui peuvent influer sur les revenus des enfants ? 

D’abord, il y a des facteurs liés à la famille mais qui ne sont pas les revenus des parents, comme le capital culturel ou l’éducation. Mais même ces facteurs restent minoritaires dans la formation des revenus des enfants. L’analyse des fratries montre qu’environ 70 % de la variabilité des revenus serait liée à des facteurs extérieurs à la famille, ce qui est plutôt rassurant en termes d’égalité des chances.

Concrètement, quelles sont les caractéristiques des parents qui vont favoriser une mobilité ascendante ? Une mobilité descendante ? Une stagnation ? 

Notre analyse montre que la mobilité ascendante est d’autant plus forte que les parents ont des revenus du capital élevés, sont diplômés du supérieur, ont été mobiles géographiquement, ou que les enfants résident en Île-de-France à leur majorité. À l’inverse, être une femme, avoir vécu dans une famille monoparentale, avoir des parents ouvriers ou employés, ou vivre dans les Hauts-de-France à sa majorité sont des facteurs qui réduisent les chances de s’élever dans l’échelle des revenus et conduisent davantage à des mobilités descendantes. Les enfants d’immigrés ont en moyenne une probabilité plus forte de réaliser une mobilité ascendante, mais aussi ont une probabilité plus forte de rester dans le plus bas cinquième des revenus. Ces différences sont notamment liées au lieu de naissance des parents : les enfants dont le parent au plus haut revenu est né en Asie ont par exemple la plus forte probabilité de mobilité ascendante.

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