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Ces questions que le parcours de l'auteur de l'attentat des Champs-Elysées devrait nous faire nous poser sur la prison en France
©Reuters

Tribune

Pour la sécurité des Français, la priorité réside aujourd'hui dans une réflexion sur le rôle de la prison et dans une redéfinition des moyens réels en personnel de réinsertion.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Le 20 avril au soir, un Gardien de la Paix a été sauvagement assassiné sur l’avenue des Champs- Elysées à Paris. Aussitôt dans ces temps troublés, on a conclu à un attentat islamiste.

Loin de moi l’idée de me substituer aux enquêteurs pour savoir qui il était et ce qu’il pensait, je souhaiterais faire réfléchir au fait que l’auteur de ce crime ait passé 14 ans en prison et qu’il avait 39 ans !

Qu'est-ce qui a donc été fait avec cet individu pendant toutes ces années de condamnations diverses et de présence dans les geôles de la République ? Car que disent les politiques et les médias à la population ? On va trouver les criminels, on va les punir, les mettre en prison et vous pouvez donc dormir tranquilles. Ensuite, lorsqu’il y a récidive, que le délinquant devient même un criminel, les mêmes nous expliquent qu’il nous faut construire de nouvelles prisons car ainsi, tous ceux qui doivent y aller auront de la place et on ne sera pas obligés de les en sortir prématurément. A l’occasion on assure au peuple que la politique pénale sera intransigeante et que les peines seront sévères. Force restera à la loi !

Postures hiératiques, discours musclés, mesures draconiennes annoncées, tout est fait pour rassurer la population. Il est impératif de dire enfin aux Français que, loin de les protéger, les pratiques actuelles fragilisent la sécurité des personnes. La vérité, elle est facile à comprendre, ceux que l’on envoie en prison en ressortent, tous, un jour ou l’autre. La prison ne protège donc la population que si l’on peut s’assurer que du travail positif a été réalisé en prison pour préparer leur réinsertion dans la société. Or depuis des années, et, en ce qui me concerne, depuis vingt ans, je ne cesse de dire que c’est l’inverse qui se passe, à savoir que la plupart du temps, puisque rien n’a été fait en prison pour réparer, réformer, la majorité des détenus sort dans un plus mauvais état que lors de leur entrée. Le problème n’est donc pas de multiplier les peines de prison et les places dans les centres de détention, mais de mettre l’accent sur la réinsertion, c’est-à-dire la préparation de la sortie, puisque, je ne répéterai jamais assez, tout le monde sort un jour de prison ! Les hommes d’entreprise, qui ont connu la prison, regroupés hier dans le groupe Mialet, travaillant aujourd’hui avec Pierre Botton dans "Ensemble contre la récidive", ont tous dit la même chose, ils ont connu l’incarcération et ont vu ce qui s’y passait mais on ne veut pas les entendre. Il est de bon ton de parler des conditions physiques de la détention, des rats comme des barbelés, de la nourriture comme de la télévision considérée par les commentateurs comme un luxe merveilleux, mais tout cela est d’importance négligeable, ce n’est pas l’essentiel, même si cette précarité odieuse a des influences psychologiques notables. Non, il faut absolument se pencher en priorité sur le programme de travail du détenu pour préparer sa réinsertion dans la société et donc repérer les cas qui relèvent d’un traitement psychiatrique lourd des autres.

Pour quelqu’un qui a passé à 39 ans 14 années en incarcération, il est clair que c’est un danger pour la société s’il n’a pas purgé sa peine dans des conditions de soins correspondant à ceux d’un institut psychiatrique. Certes, la prison coûte moins cher qu’un asile, mais il n’est pas bon pour la société de mettre en prison des personnes qui doivent d’abord être soignées ! La prison ne peut pas, ne doit pas, devenir l’annexe des asiles réservés aux nécessiteux, ce qu’elle a fini par devenir au cours du temps avec la lâcheté des sourds. Nous avons tous parlé, nous nous sommes engagés, et ce n’était pas facile pour nous de revenir sur ces années douloureuses, ni pour nous, ni pour nos familles, mais c’est cette surdité des politiques et des médias qui a conduit un soir un illuminé récidiviste à tirer sur des policiers en en tuant un. Qu’il se réclame de Daesch ou pas, c’est d’abord pour nous tous un habitué des cellules dont on n’a pas mesuré la radicalisation durant 14 ans ! Et pour nous qui avons habité entre ces murs nous n’en sommes pas étonnés. Arrêtez donc de mentir aux Français, vous ne les protégez pas en incarcérant n’importe comment, vous les protègerez en changeant les conditions physiques et psychologiques des prisons et en préparant les retours des condamnés dans la société.

Tous les professionnels de la prison, et en particulier ceux, admirables, des services de réinsertion et de probation le diront : il y a un grand nombre de délinquants qui ne demandent qu’à se réinsérer dans la société et pour lesquels la prison est, au contraire, un moment d’écartement d’avec leurs proches qui est contraire à l’objectif. Pour ceux-là, le ressort psychologique qui va les remettre dans le droit chemin est l’affection de leurs proches et leur capacité à communiquer avec eux. Il faut donc réfléchir aux conditions d’incarcération qui vont le permettre et c’est tout l’effort de Pierre Botton et de son association depuis dix ans. Tout ceci suppose aussi contacts avec éducateurs, apprentissages, accès à la culture, tout ce qui est positif pour la sortie doit pouvoir rentrer dans la prison et présenter le "dehors" comme désirable. Pour d’autres, en fait une minorité, la société est un mal qu’il faut combattre et la multiplication des années d’isolement augmente leur dangerosité, les conduisant peu à peu à la folie, y compris islamique. Pour la plupart ils relèvent de la psychiatrie et ne pas vouloir en convenir pour des raisons budgétaires est absurde. Pour la protection des Français aujourd’hui, la priorité ne peut pas être un programme de construction de prisons, même si la rénovation de notre appareil carcéral est une réelle nécessité, c’est le rôle de la prison sur lequel il faut réfléchir et les moyens réels en personnel de réinsertion qu’il faut redéfinir. Renforcer les services de réinsertion et de probation, constituer des véritables entités psychiatriques dans les centres de détention, voilà les véritables enjeux pour l’avenir. Assez de démagogie honteuse ! Il y a suffisamment de personnes compétentes, anciens détenus, visiteurs de prisons, observateurs de prisons, services administratifs pour qu’enfin la voix de la raison se fasse entendre et que l’on arrête les postures et les coups de menton inefficaces et mensongers.  

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