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Quelques éléments de réponse à Patrick Artus, l’homme qui voyait des keynésiens partout en Europe
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Paranoïa

Dans une tribune publiée par Le Point en début de semaine, l’influent économiste Patrick Artus vilipende la nouvelle stratégie économique de la zone euro, tout en la qualifiant de "keynésienne". Une accusation qui présente pourtant de nombreuses failles.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le 24 mars, Le Point publiait un article de l’économiste Patrick Artus, directeur de la recherche de Natixis, intitulé "Au secours, les Keynésiens ont pris le pouvoir en zone euro !". Une sorte d’avertissement contre une doctrine dont on comprend la "néfastitude" absolue, l’accusation en Keynésianisme étant devenue une sorte de point Godwin économique. L’imaginaire renvoi à des hordes de militants communistes dont le seul objectif serait la mise en place d’un collectivisme total. Le soviétisme, mais en pire. Que les instances économiques américaines soient aujourd’hui dominées par les néo-Keynésiens ne semble pas perturber Patrick Artus. Que ces derniers aient été récemment influencés par des monétaristes non plus. De plus, à y regarder de plus près, et sans être Keynésien, il apparaît que les accusations formulées par l’économiste à l’encontre de la nouvelle politique européenne se révèlent au mieux infondées, si ce n’est complètement à côté de la plaque.

Offre et demande

La première critique développée par Patrick Artus est de pointer "Un problème d‘offre" concernant l’économie européenne. Un diagnostic de crise reposant sur un "problème de demande", immanquablement qualifié de "Keynésien", serait donc erroné. Le problème ici est que le "problème de demande" n’est pas pointé que par les Keynésiens, mais également par d’autres, les monétaristes notamment, catégorie pourtant taxée de libéralisme primaire et brutal. Mais comme la "demande" a l’avantage de pouvoir être mesurée, cela permet de vérifier la réalité de la situation, avec précision.

Entre 1997 et 2008, la demande agrégée française progressait à un rythme stable de 4% en termes annuels (en prix courants, c’est-à-dire avec inflation), ce qui correspond plus ou moins au potentiel économique du pays. Depuis 2008, l’écart de la demande française par rapport à cette tendance pré-crise n’a cessé de se creuser. Après 7 années de crise, le déficit de "demande" atteint près de 20% du PIB du pays, soit plus de 400 milliards d’euros pour l’année 2014.  

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L’effondrement de la demande en France n’est donc pas une hypothèse, elle est factuelle.  Si le problème venait de l’offre, la France serait, par exemple, confrontée à  une inflation de 4% et une croissance de 0%. Or, l’inflation est négative. La suggestion d’un "problème d’offre" en prend un sacré coup. Même s’il est toujours possible de prétendre que la terre est plate.

Vers une nouvelle crise financière ?

Deuxième argument. Selon Patrick Artus, le soutien apporté par la Banque centrale européenne fait courir un risque de crise financière à la zone euro. Notamment parce que "Les taux d'intérêt sont écrasés par les achats d'obligations par la BCE". Verdict : La BCE "écrase" les taux et c’est mal. Le problème avec cette approche est qu’elle se trouve contredite par l’expérience. D’une part, les taux européens avaient commencé leur longue descente aux enfers bien avant la mise en place des plans de soutien monétaire par la BCE, et d’autre part, les Etats Unis ont été les témoins d’un effet inverse.

En effet, et comme il est possible de le voir ci-dessous, les mises en place successives des assouplissements quantitatifs aux Etats Unis ont toujours eu pour effet de voir progresser les taux d’intérêts :

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Ce qui est en réalité un phénomène plutôt normal puisque l’objectif du plan est de soutenir la demande. Ainsi, la hausse visible des taux d’intérêts aux Etats Unis ne fait que refléter une anticipation plus forte de la demande, c’est-à-dire de la somme de la croissance et de l’inflation. Signe que le soutien monétaire fonctionne. Une thèse confirmée par l’évolution des swaps d’inflation en zone euro : Après 3 années de baisse ininterrompue, la hausse est de retour depuis la mise en place du plan d’assouplissement quantitatif européen le 22 janvier dernier :

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L’idée que la BCE écrase les taux se trouve dénuée de fondements. Au contraire, ce sont les craintes déflationnistes, les craintes de faible croissance, qui écrasent les taux. Il y a donc confusion entre cause et symptôme.

Toujours plus, selon Patrick Artus, la politique prétendument Keynésienne "consiste en l'utilisation d'une politique monétaire très expansionniste d'où les taux d'intérêt très faibles, nuls ou même négatifs". Le parallèle réalisé par l’économiste est troublant ; les taux d’intérêts faibles seraient donc le signe d’une politique monétaire expansionniste ?

Une affirmation qui permet de convoquer le Prix Nobel d’économie Milton Friedman (non Keynésien), dans un article publié en 1998 :

"Après l’expérience américaine de la Grande Dépression, après l’inflation et les taux élevés des années 1970, et la désinflation et les taux d’intérêt en baisse des années 80, je pensais que la vieille illusion d’identifier une politique monétaire stricte avec des taux d’intérêts élevés et une politique monétaire souple avec des taux faibles était morte. Apparemment, les vieilles illusions ne meurent jamais". Et en effet, les illusions perdurent en 2015.

L’ironie de cette histoire est que les keynésiens considèrent la politique monétaire comme inefficace dès lors que les taux sont proches de 0. D’où la notion de « trappes à liquidités » .Ce que réfutent totalement les monétaristes. Ainsi, une relance par la voie de l’assouplissement quantitatif n’est pas d’origine keynésienne. L’accusation est donc erronée. Ce type de relance est le pur produit du monétarisme. Milton Friedman serait donc devenu un dangereux gauchiste en 2015.

Mais pratiquement, s'inquiéter du soutien monétaire apporté par la BCE en ce début 2015 revient à s’inquiéter de problèmes d'obésité dans un pays en famine, après livraison de l'aide alimentaire.

Le poids de la dette

Pour Patrick Artus, la question de la dette est centrale. "Le troisième risque est lié au report dans le temps de l'ajustement budgétaire ; les taux d'endettement publics vont continuer à augmenter de plus de 2 points par an en France, en Italie, en Espagne". A qui la faute si le taux d’endettement augmente encore aujourd’hui ? Car ce taux d’endettement n’est rien d’autre que le rapport entre dette et PIB. Pendant que Patrick Artus s’insurge de la hausse de la dette, il oublie surtout de pointer la stagnation du PIB. Il suffit de rappeler que le principal moteur de la hausse du taux d’endettement est justement cette stagnation du PIB : 

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Lorsque la politique monétaire remplit son rôle et que la croissance courante française suit sa tendance annuelle de 4%, la dette est stabilisée à 60% de la valeur du PIB. C’est ce qui s’est produit entre 1997 et 2007. Dès lors que la croissance courante se détériore, en raison d’une défaillance de la banque centrale, la dette sur PIB s’envole. En voulant agir sur la dette, c’est-à-dire sur le symptôme, on s’empêche d’agir sur la cause c’est-à-dire la croissance. Car seule une forte croissance du PIB peut permettre de stabiliser, et enfin de faire baisser le niveau de dette du pays. En voulant absolument agir directement sur la dette, on remet au gout du jour une phrase attribuée à Churchill : « Un homme debout dans un sceau qui essaye de se soulever en tirant sur l’anse ». Le résultat paraît incertain.

Une stratégie peu coopérative ?

Le dernier argument déployé par l’économiste est encore plus surprenant. La politique mise en place au niveau européen serait agressive vis à vis de nos partenaires commerciaux. "La stratégie de la zone euro est très non-coopérative d'un point de vue international." Patrick Artus pointe alors directement la « stratégie de dévaluation massive de l'euro ».

Afin de rassurer très rapidement Patrick Artus, il suffit de citer la tribune commune de Jack Lew, secrétaire d’état au Trésor américain, et George Osborne, chancelier de l’échiquier du Royaume Uni, publiée par le Wall Street journal le 8 février dernier :

"Les risques déflationnistes sont évidents dans certaines zones. Il existe un déficit de demande »« Les gouvernements doivent user de la totalité de leurs outils pour soutenir leurs économies et réaliser l’objectif collectif du G20 d’une croissance forte, durable et équilibrée." Les deux ministres évoquent  alors spécifiquement la nécessité de soutenir l’économie par la voie monétaire afin de revigorer l’économie mondiale. Patatra.

La seule stratégie non coopérative européenne est celle qui a consisté à ne pas soutenir le marché intérieur européen depuis 2008. Et de vouloir se contenter de surfer sur la croissance des autres comme seule stratégie de sortie de crise. Désormais,  Les "autres" en questions en ont marre. C’est ce que disent Lew et Osborne dans cette tribune qui annonçait le dernier G20 d’Istanbul.

Ce que l’Europe vient de mettre en place correspond aux souhaits manifestés par les membres du G20 : Que l’Europe participe, elle aussi, aux efforts de relance de la croissance mondiale. Pour enfin cesser sa stratégie de cavalier solitaire. 

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