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Quel matériau les scénaristes de Game of Thrones ont-ils encore à leur disposition pour écrire la suite de la série phare d’HBO ?
©HBO

Winter is coming

Les scénaristes de Game of Thrones font face à un problème qui va devenir de plus en plus important : la série télévisée avance plus vite que la sage de livres dont elle est adaptée.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Dans Game of Thrones, il y a un mur mythique, au nord, un mur immense gardé par une garnison de soldats en noirs plus ou moins bannis. Nul ne sait vraiment ce qu’il y a « après ». « Et après ? » demandent les petits enfants pour connaître la suite de l’histoire.

Et après l’histoire ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

C’est un peu le problème des scénaristes de la série de fantasy Game of Thrones (HBO) aujourd’hui. Leur adaptation télévisée de l’œuvre en 14 tomes écrite par George R. R. Martin va plus vite que la musique. Les scénaristes adaptent plus prestement que l’écrivain n’écrit.

Voilà donc les scénaristes… au pied du mur. Comme dirait Tyrion Lannister, « la vie réserve parfois ce genre de petites ironies ».

Il faut dire d’abord ce que Game of Thrones nous raconte ; les ambiances et les paysages.

Les corbeaux voyageurs voyagent à travers les monts et les plaines, portent des présages à des princes inquiets qui, comme Hamlet, parcourent les remparts, loin des festins près de l’âtre, des coussins brodés, des esclaves à longues tresses. Les maisons marient leurs intérêts en unissant leurs fils et leurs filles. Les hommes se meuvent en hordes, dans le cliquetis des cotes-armures, et comptent le temps qui passe en nombre de lunes, et d’hivers. Les fils bâtards maudissent la Fortune et les exilés murissent leur revanche. Les conseillers intriguent dans la riche capitale. Les hommes du nord s’enveloppent dans leurs pelisses et se couchent à la bougie. 

On craint l’hiver.

Le thème du retour de l’hiver est un motif structurant de la série (comme celui de la menace venue de Mordor chez Tolkien). Ce n’est pas un hasard : la saison froide est la source vive de l’imaginaire occidental, l'obscurité qui génère la peur des créatures et le besoin de seigneurs puissants pour nous en secourir. « En hiver, il faut se protéger les uns les autres », dit un personnage de la série. Et bien sûr, c’est la saison qui nous regroupe autour du feu pour se raconter des histoires.

Le septentrion, associé à l’hiver, est cette région dangereuse d’où provient la menace. Certes, les dothraki, cavaliers barbares orientalisants adeptes, comme les anciens turcs et arabes, des poignards à lame recourbée, font peur par leur étrangeté. Mais ce sont des hommes après tout, on peut leur parler pour peu qu’on apprenne leur sabir, ils ont nos craintes et nos désirs. Mais le nord… pour citer la série, « le nord ne peut pas être contrôlé, il est trop vaste et trop sauvage ».

Le nord et l’hiver incarnent symboliquement ce mystère occidental, que la modernité a fait disparaître, les peurs archaïques que la saison suscite : des loups, de l’obscurité (les nihtbealwa mæst, « fléaux nocturnes » de toutes sortes dont parle le poème épique Beowulf), du vent qui hurle, de la faim, de la maladie qui frappe. Sans oublier les « marcheurs blancs qui rôdent dans les forêts ». Tout ce que l’explication rationnelle du monde, le progrès de la technique et du confort a repoussé, exilé au-delà d’un mur haut et épais.

Mais, à l’instar de qui se passe dans la série, « le peuple porte des toasts au retour de leur roi en exil »… Or, ce roi en exil, n’est-ce pas cet imaginaire qui a commencé à revenir au XVIIIe – en pleines Lumières ! – avec l’intérêt pour les folklores populaires celtes et germaniques, les compilations et les folles tentatives des poètes romantiques pour recréer, à eux tous seuls, l’esprit des premiers contes, des chansons de geste, des vieilles épopées et des légendes, fruit de récits millénaires colportés de bouche en bouche, de barde en barde ?

Et puis, un jour, il y eut Tolkien, un petit professeur de linguistique spécialiste des sagas norroises qui réussit le coup de maître : synthétiser tout l’imaginaire magique, chevaleresque européen (ce qu’on peut appeler la « médiévalité ») en une série de récits, apparemment nouveaux, mais qui au XXe siècle résonnaient si profondément avec un besoin archaïque de merveilleux et d’héroïque qu’ils devinrent fondateurs. C’est ainsi que naquit cette grande matrice qu’est la fantasy.

Martin est un héritier de Tolkien et Game of Thrones recrée le charme des anciennes chroniques, voire des récits des livres d’histoire qui n’ont plus cours aujourd’hui, ceux des vies de nos rois et reines : comment ils conquirent, comment ils moururent, comment au-delà de la mort ils eurent succession. Retour, en somme, de ce qui continue à travailler nos rêves en dépit de tous nos fatras et postures modernes. Comme disait le maître lui-même : « le mythe ressemble souvent à l’histoire, parce qu’en fin de compte ils sont fait de la même matière ». Le conte nous « ouvre la porte d’un Autre Temps », et c’est ce qu’on vient y trouver .

Mais, me direz-vous, tout cela ne résout pas les soucis urgents de nos pauvres scénaristes de HBO. Que peuvent-ils faire ? Que va-t-il advenir ? Et après ?

D’abord, en spécialistes compétents rompus à tous les trucs du métier, ils sauront se servir de la digression, de l’analepse (ou flaskback). « Et pendant ce temps… », ou encore : « mais revenons quelques temps en arrière », etc. Tout ce qui permet de « gagner du temps » en dilatant le temps du récit, en attendant d’avoir une bonne idée pour ce qui doit se passer « après ». Mais tout cela ne fonctionne qu’un temps. Et il est peu probable que la série se mette en pause, en attendant que Martin daigne donner le fin mot de l’histoire.

Alors, et après ?

On ne comptait déjà plus les petites entorses à la fidélité à la version originale. Mais ce qui se passe est plus grave. Pour les fans les plus perspicaces, cela ne fait aucun doute : la série va devoir anticiper sur les livres, s’affranchir de la simple adaptation.

George R. R. Martin s’y entend pour enrichir ses histoires de coups de théâtres, de rebondissements ; pour explorer les possibilités des intrigues parallèles et secondaires ; de tisser autour de l’histoire de multiples variantes. Dans son dessein même, l’action principale de Game of Thrones se trouve relativisée par une multiplicité de points de vue.

Si les scénaristes « inventent » leurs péripéties, ce pourrait être au tour de George R. R. Martin de reprendre leurs trouvailles. Au livre de développer, de prolonger la série !

En fait, on revient au mode populaire ancien, prémoderne, de création épique. Une histoire qui s’élabore par variation autour d’une trame commune. Combien de mythes, selon qu’ils sont racontés par tel ou tel, font mourir le dieu ou le héros à tel moment, pour qu'on le retrouve bien vivant dans d'autres aventures plus tard ?

Ainsi, là où la modernité avait tout à fait figé l'épopée, jusqu’au paroxysme de l’œuvre totale de Tolkien, indépassable, univers monolithique « clef en main » qui contenait sa propre archéologie, nous revenons peut-être avec Game of Thrones à une manière plus labile de raconter, plus souple, où le « possible », les revers de la fortune sont déterminants. Où le destin des personnages peut connaître maintes variantes.

Les scénaristes ne sont donc pas face à un mur, mais à un boulevard. Que va-t-il se passer ensuite ? A eux de nous le dire.

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