Que peut vraiment l’armée française en cas de menace absolue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats français patrouillent dans les rues de Gao, au Mali, le 4 décembre 2021.
Des soldats français patrouillent dans les rues de Gao, au Mali, le 4 décembre 2021.
©THOMAS COEX / AFP

Retour de (la) guerre

La perspective d'un conflit de grande ampleur sur le sol européen est relancée avec la guerre en Ukraine. Quel est le réel potentiel de l'armée française face à cette menace ? Selon le rapport d’une mission d’information sur la préparation à la haute intensité, la France doit intensifier ses efforts pour être prête à affronter un conflit majeur et éviter le déclassement militaire.

Robert Ranquet

Robert Ranquet

Robert Ranquet est ingénieur général de l’armement à la retraite. Spécialiste des questions de défense et d'armement il a été le directeur adjoint de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

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Atlantico : Alors que le spectre d’un conflit sur le sol européen est relancé, quel est vraiment le potentiel de l’armée française en cas de menace ? Quelles sont ses forces mais aussi ses points faibles ?

Robert Ranquet : Depuis l’effondrement de l’URSS, notre stratégie militaire a vu, au fil des Livres blancs et Revues stratégiques successifs, s’éloigner la préoccupation d’un affrontement classique de haute intensité en Europe pour se concentrer sur notre capacité d’intervention extérieure dans le cadre de crises limitées. C’était les fameux « dividendes de la paix ». Sous la contrainte budgétaire, nous avons progressivement réduit nos ambitions à la fois en termes de puissance projetable et de distance de projection. Nous avons fait le choix d’une armée professionnelle, plus agile, dotée de capacités technologiques avancées, mais de moins en moins nombreuse, avec peu de « gras », qui a pu donner l’impression d’être constamment sur le fil du rasoir en termes de capacités réelles : au fur et mesure des réductions budgétaires, on a vu apparaitre des lacunes capacitaires transitoires (qui durent …), des trous dans la raquette en matière de logistique, de pièces détachées, de transports, des armements sophistiqués mais à la disponibilité aléatoire, etc. et bien sûr une forte tension sur la disponibilité de personnels suremployés, parfois à des missions à l’utilité objective discutable comme la mission « Sentinelle ».

Les travaux de prospective stratégique avaient beau alerter sur le risque croissant de voir un jour revenir la menace d’un affrontement majeur en Europe, mais le Politique y restait sourd, à la fois parce que cela n’entrait pas dans sa vision du monde, et aussi parce que cela faisait son affaire en matière budgétaire !

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Depuis quelques années, on essaye de redresser la barre, et il y a eu un vrai effort pour retrouver de la marge de manœuvre budgétaire. mais on ne rattrape pas rapidement des décennies de sous-investissement. Et aujourd’hui c’est l’histoire qui nous rattrape.

Notre armée est donc aujourd’hui une armée de professionnels très qualifiés extrêmement performants mais peu nombreux, très aguerris aux opérations de maintien ou imposition de la paix dans les crises périphériques, mais plus du tout aux batailles rangées « à l’ancienne », dotée de capacités technologiquement avancées, mais fragilisées par un déficit chronique de disponibilité réelle sur le terrain.

Quel serait le pire scénario pour l’armée française en cas de conflit ? Quelles sont les principales menaces à prendre en compte ?

Robert Ranquet : Le pire scénario serait que les Américains, comme ils en ont régulièrement la tentation, décident un jour d’abandonner le continent européen, en retirent leur troupes et sabordent de fait l’OTAN. Nous Français comme les autres européens, nous retrouverions alors totalement démunis et vulnérables aussi bien aux attaques extérieures qu’au risque de résurgences de conflits intra-européens. Cela ne peut pas arriver, dira-t-on … En est-on si sûr ? L’accession de plus en plus fréquente au pouvoir ici ou là de leaders populistes, au comportement étroitement nationaliste et brutal, aux visions stratégiques aussi courtes que leur culture historique est lacunaire, doit nous inciter à la prudence. L’espace de paix et de prospérité que nous avons construit en Europe, sous l’aile de la puissance américaine, reste fondamentalement fragile. S’il est bien un enseignement sûr de l’histoire, c’est que le pire, même rationnellement inconcevable, finit par arriver. 

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L’armée française a-t-elle fait le meilleur choix en se préparant à la « haute intensité » ? Sommes-nous véritablement en capacité d'assurer un tel conflit, sur notre territoire ou à l'étranger ?

Robert Ranquet : Nous n’avons pas le choix : M. Poutine vient de nous le rappeler ! Puisse cette guerre classique à nos portes nous faire prendre conscience que nous avons trop longtemps négligé notre outil militaire. Un telconflit sur notre territoire reste très peu probable : notre dissuasion nucléaire et l’effet dissuasif classique attaché au fait d’appartenir à l’OTAN sont là pour nous en garantir. Et la Russie est loin de nos frontières … A l’étranger, c’est différent : les chefs d’Etat-major successifs ont alerté sur le fait que même nos interventions les plus limitées, par exemple dans le maintien de la paix, peuvent basculer instantanément dans la haute intensité. Nos capacités limitées, autant en puissance qu’en allonge, nous interdisent d’envisager de nous engager dans des conflits majeurs de haute intensité. Nous n’aurions donc d’autre choix que celui d’opérer en coalition, et probablement pas en leader.

La France a-t-elle correctement pris le tournant du développement des armements non conventionnels et du cyber ?

Robert Ranquet : La France a eu ces dernières années du mal à fixer sa doctrine concernant certains armements : on peut penser aux drones armés, au cyber offensif, encore aujourd’hui aux robots armés … Il peut y avoir plusieurs raisons, de natures différentes : par exemple, le tournant des drones a été largement raté par manque d’anticipation technologique et de volonté politique de créer une filière nationale, alors que nous en avions tous les moyens ; les capacités cyber offensives sont restées longtemps taboues pour des raisons juridiques ; mais il y a aussi des hésitations d’ordre éthique très compréhensibles, comme pour les robots armés. Nous avons longtemps refusé de développer des défenses anti-missiles parce que nous craignions de mettre en danger la crédibilité de notredissuasion. Dans la compétition internationale, ce genre d’atermoiement, de toute façon couteux, se rattrape difficilement. 

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Robert Ranquet : Rappeler régulièrement que nous sommes une puissance nucléaire et que l’OTAN est une alliance dotée d’armes nucléaires, comme vient de le faire M. Le Drian, fait partie de ce que l’on appelle la « dialectique de la dissuasion » : il s’agit de rappeler aux adversaires potentiels qu’ils courraient un risque hors de proportion pour leurs propres populations s’ils s’en prenaient à nos intérêts vitaux. Chaque Président sans exception le fait au moins une fois pendant son mandat. Nous continuons à penser que la dissuasion constitue la garantie ultime de notre sécurité. Bien entendu, nous n’avons aucune intention d’utiliser nos armes en premier, et nous nous y sommes formellement engagés devant la communauté internationale : c’est une des conditions de notre légitimité à les détenir.Mais nous affirmons aussi notre détermination absolue à les utiliser en dernier recours si nos intérêts vitaux étaient menacés. Nous faisons le nécessaire pour que cette menace soit crédible aussi bien techniquement qu’opérationnellement. A l’adversaire de peser le pour et le contre : c’est la base de la dissuasion et, jusqu’ici, cela a plutôt bien marché.

Mais cela ne nous dispense pas pour autant de disposer aussi des capacités militaires classiques suffisantes pour ne pas être pris au dépourvu et ne pas avoir à choisir, face à une agression limitée, entre ne rien faire ou déclencher l’apocalypse.

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