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Que penser de la nouvelle étude sur un lien entre téléphone portable et cancer (et quelques précautions faciles à prendre quoiqu'il en soit) ?
©Reuters

Principe de précaution

Une nouvelle étude américaine, menée par le docteur Ronald Melnick du National Institutes of Health (Etats-Unis) mets en avant le lien potentiel entre téléphone mobile et tumeur cérébrale. En dépit d'un accent un peu alarmiste, il est important de respecter le principe de précaution, face à des phénomènes dont on comprend encore mal les implications.

Philippe Vernier

Philippe Vernier

Philippe Vernier est Directeur de Recherche au Centre national de la recherche scientifique, et est le directeur de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay (CNRS Université Paris Sud).
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Atlantico : Selon une étude américaine mise en avant par le Daily Beast, le lien entre cancer et téléphones mobiles serait désormais plus reconnu que par le passé. Quel est exactement le degré de risque, à en croire ces recherches, et quelles sont les mesures de bon sens à appliquer avant de se débarrasser de son téléphone ?

Philippe Vernier : Cette étude à grande échelle qui porte sur les risques de cancer induits par les radiofréquences émises par nos téléphones portables a été conduite par l’une des plus importantes institutions gouvernementales aux USA (le National Institutes of Health, ou NIH). L’indépendance de cette institution vis à vis des lobbys industriels ainsi que la rigueur de la méthodologie employée confèrent une réelle crédibilité à cette étude. Elle montre effectivement que chez des animaux modèles (des rats de laboratoires) l’exposition prolongée à de fortes intensité de radiofréquences augmente légèrement le risque de survenue de tumeur cérébrales de type gliomes, et le risque de tumeurs cardiaques d’un type très rare (tumeurs dérivées des cellules de la gaine des nerfs cardiaques). Il faut toutefois tempérer un peu le caractère apparemment alarmiste de cette étude. Tout d’abord l’augmentation du risque est faible, de l’ordre de 2 à 5%, ensuite, elle concerne de fortes expositions à ces radiofréquences (très supérieures à celle des utilisateurs habituels du téléphone cellulaire), l’étude américaine est encore incomplète et il convient d’attendre la fin de l’étude pour avoir des données plus solides, enfin cette augmentation du risque n’a pas été retrouvée dans d’autres études, également bien conduites, et il peut y avoir des biais statistiques, toujours difficiles à maîtriser dans ces analyses.

Néanmoins, le principe de précaution doit s’appliquer aujourd’hui, et il vaut mieux éviter de s’exposer de façon trop importante à ces radiofréquences. Les mesures à prendre sont bien connues : il vaut mieux utiliser un kit de connexion avec un fil pour éloigner le téléphone de sa tête, mais aussi de son cœur (éviter de le porter sur la poitrine), poser le téléphone à distance de soi (1m au moins) quand on ne s’en sert pas, surtout la nuit, choisir un téléphone à faible puissance de radiofréquence (0,7W/kg par exemple, la limite autorisée en Europe étant de 2W/kg), téléphoner pendant des temps courts et espacer les appels, ne pas téléphoner en voiture parce qu’en plus des dangers pour la conduite, la voiture concentre les ondes fréquentielles (effet cage de Faraday).

D'autres études ont été menées sur ce même sujet sans se montrer concluantes dans la majorité des cas. Dans quelle mesure ces nouveaux travaux, pilotés par le docteur Ronald Melnick du National Institutes of Health (NIEHS USA), sont-ils fondamentalement différents des précédents ? Sans être alarmistes, quelle crédibilité porter à de telles conclusions, quand le chef de projet estime que "cela met fin aux affirmations prétendant qu'il n'y a pas de danger à utiliser un téléphone" ?

Ce qui est nouveau et remarquable dans cette étude est son ampleur (90 animaux par groupe analysé) et la rigueur des protocoles utilisés pour suivre les animaux, soumis ou pas à différentes exposition aux radiofréquences (tout le corps est irradié, pas seulement la tête). Ce travail semble corroborer certaines données d’études épidémiologiques de grandes populations humaines telle que l’étude CERENAT réalisée en France et publiée en 2014. Cette dernière étude montrait aussi une faible tendance à l’augmentation de gliomes dans la partie temporale du cerveau, la plus proche des ondes émises par les téléphones portables. Mais il est important de dire que d’autres études, également bien conduites, n’ont pas révélé d’influence des radiofréquences sur l’incidence des tumeurs cérébrales. Mais ces études sont en général difficiles à comparer par qu’elles ne se fondent pas sur les mêmes critères (le niveau d’irradiation par exemple), et elles n’étudient pas les mêmes populations. Dans l’état actuel des connaissances, dire que les radiofréquences n’ont pas d’effet sur le cerveau est certainement abusif. Mais dans le même temps, dire formellement que les téléphones portables sont dangereux est très exagéré. En tout état de cause, le principe de précaution s’impose, en particulier pour les enfants et les femmes enceintes.

L'étude fait état d'un constat surprenant : les rats mâles sont beaucoup plus touchés que les rats femelles. Comment expliquer de telles différences ? Traduisent-elles la proéminence de certains types de profils au sein des victimes ?

Cette observation est effectivement étonnante, et rien ne permet aujourd’hui de comprendre cette différence d’effet entre les animaux mâles et femelles. Elle permet cependant de souligner un point important : on ne connaît que très mal aujourd’hui les effets de ces radiofréquences sur les tissus et les organismes vivants. Pour ce que l’on en sait, ces radiofréquences n’ont pas d’effet sur l’ADN, à la différence des radiations ionisantes qui peuvent créer des mutations dans la séquence de l’ADN et qui favorisent la survenue de tumeurs par ce biais. Différentes conséquences des radiofréquences sur la biologie des cellules ont été rapportées, comme une stimulation de la division cellulaire (qui pourrait être corrélée aux développement de cancer), la production de molécules oxydantes et toxiques pour les cellules, mais rien d’évident, et encore moins rien de concluant n’a pour le moment été observé. Dans l’espèce humaine, les études actuelles ne rapportent pas de prévalence supérieure des tumeurs cérébrales chez les hommes par rapport aux femmes. Encore une fois, ces études épidémiologiques sont très complexes et lourdes à mener correctement, et la plus grande prudence doit être appliquée à l’interprétation des données actuelles.

Pour autant, au-delà de l'usage des seuls téléphones mobiles, quelles sont les principales causes de cancer aujourd'hui ? Lesquelles sont les plus dangereuses ?

Dans le cas des tumeurs cérébrales ou cardiaques, celles dont le risque pourrait être augmenté par les ondes des téléphones portables, le principal facteur de risque reste, et de loin, les radiations ionisantes, telles que les rayons X. Le risque de tumeur cérébral augmente de plus de 10 fois lorsqu’une personne a subit un traitement par radiothérapie, pour un autre cancer par exemple. Il existe aussi des formes familiales de ces tumeurs, qui se déclarent alors souvent dans l’enfance, mais aussi plus tard au cours de la vie. Il faut rappeler que les tumeurs cérébrales restent relativement rares et ne représentent qu’un peu moins de 2% des différentes formes de cancer de l’adulte, très loin derrière le cancer de la prostate ou le cancer du sein. De nombreux facteurs environnementaux favorisent ces cancers, et en particulier les perturbateurs endocriniens et certains pesticides. Leur effet néfaste sur le déclenchement et l’évolution de ces cancers est beaucoup plus fort que celui, encore incertain, des radiofréquences sur les tumeurs cérébrales ou cardiaques. Les cancers du système nerveux sont en revanche la deuxième cause de cancer de l’enfant, juste après les leucémies. Même s’il s’agit de formes particulières de tumeurs cérébrales, cette vulnérabilité justifie la plus grande prudence devant l’utilisation des téléphones portables chez les enfants.

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