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Quand Steve Bannon prédit un conflit en mer de Chine du Sud : le conseiller spécial de Donald Trump est-il un lucide ou un dangereux va-t-en guerre ?
©REUTERS/11th Regional Coast Guard Headquarters-Japan Coast Guard

Mers chaudes

La récente déclaration de Steve Bannon au Guardian n'est pas qu'un avertissement. Le conflit qui couve en mer de Chine méridionale est réel, et si les cartes sont rebattues avec l'arrivée de Donald Trump et la montée en puissance de Xi Jinping, bien des choses semblent échapper aujourd'hui au contrôle de la Maison Blanche et de Zhongnanhai.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Dans un entretien accordé le 2 février au Guardian, le conseiller de Donald Trump chargé de la stratégie Steve Bannon a déclaré qu'il n'y avait pas de doute à avoir sur le fait qu'il y aurait une guerre en Mer de Chine du Sud dans les dix prochaines années. S'agit-il d'une prophétie auto-réalisatrice dangereuse ou d'un constat lucide à l'opposé de la naïveté de certains commentateurs ?

Jean-Vincent BrissetSteve Bannon n’est ni le premier ni le seul à s’inquiéter d’un possible conflit en Mer de Chine du Sud. Les ambitions stratégiques de la Chine en direction des espaces maritimes ne sont pas une nouveauté, mais elles ne sont pas, non plus, séculaires et bâties sur une légitimité historique. Il faut se souvenir que, en 1933, le Journal Officiel de la République Française (25 juillet 1933) publiait un simple "avis" du Ministère des Affaires étrangères "relatif à l’occupation, le 19 juillet 1933, de certaines îles [en fait, l’ensemble des Spratleys] par des unités navales françaises". Avis terminé par la mention "les îles et les îlots sus-indiqués relèvent désormais de la souveraineté française". Le tout sans réaction des autorités chinoises, à l’époque en pleine déliquescence. Ce sont des unités fidèles à Chang Kaishek qui ont profité, après 1945, de l’absence de toute occupation pour s’y implanter et ce sont les Taïwanais qui occupent actuellement Itu Aba, la plus grande des Spratleys. Le seul "jugement" récent et pertinent sur les problèmes de souveraineté dans la zone est celui prononcé en juillet 2016 par le tribunal arbitral de la Haye. Il s’appuie sur la Convention des Etats Unis sur le droit de la mer, ratifiée par toutes les parties prenantes (à l’exception de Taïwan, dont l’ONU ne reconnaît pas l’existence indépendante et des Etats Unis). Ce jugement, qui a fait l’objet d’un déni total de la part de Pékin, confirme l’existence d’une zone internationale au centre de la Mer de Chine du Sud, et donc invalide toutes les revendications sur des eaux territoriales dans cette zone. De son côté, la Chine affirme haut et fort une souveraineté sur l’ensemble de la zone, au ras des côtes de certains riverains et jusqu’à 1700 kilomètres au Sud du point le plus Sud de l’île de Hainan, qui était il y a encore quelques décennies le point de territoire national le plus méridional sur les cartes chinoises. 

Les riverains immédiats (Vietnam, Philippines Malaisie et Brunei) ou ceux concernés d’un tout petit peu plus loin (Singapour et Indonésie) sont depuis longtemps inquiets des revendications chinoises, qui s’affirment de jour en jour. Au-delà des simples déclarations, Pékin a créé une entité administrative -la municipalité de Sansha- qui englobe toutes les terres émergées dans la zone (y compris celles occupées par d’autres nations). Cette action se complète par la construction de structures portuaires et aéroportuaires basées sur des récifs, ce que font aussi les autres parties prenantes, mais sur une bien moindre échelle. Ces nouvelles installations, outre le fait qu’elles s’accompagnent d’un désastre écologique, ont une capacité militaire importante. 

En dehors des rivalités bilatérales qui s’exacerbent, la mainmise sur la Mer de Chine du Sud par la Chine pose, dès maintenant, un problème de liberté de circulation, tant maritime qu’aérienne, dans une zone où transitent 40% du trafic maritime mondial de marchandises. Et c’est au nom de la liberté de circulation, qui est vitale pour le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, que les Etats-Unis s’impliquent dans cette zone et y effectuent des patrouilles, en affichant un strict respect de la Loi de la Mer. 

On a parlé par ailleurs des tentatives faites par les riverains pour établir un "Code de Conduite", contraignant, y compris pour la Chine. Celle-ci, après avoir bloqué l’élaboration de ce code au niveau de l’ASEAN, s’emploie maintenant à rendre impossible toute entente sur le sujet entre les autres riverains, en alternant séduction envers les uns (Philippines surtout, mais aussi Malaisie) et dureté envers le Vietnam. Manille -ou du moins le Président Duterte, ce qui ne garantit pas que toute l’administration soit derrière lui- semble s’être rapprochés de Pékin. Par contre, on voit, de manière semi-officielle, les Vietnamiens "suggérer" que les Etats-Unis pourraient garantir la liberté de circulation en Mer de Chine du Sud.

Les tensions sont vives, mais il est difficile d’imaginer une montée en puissance de forces se positionnant face à face et aboutissant à un conflit frontal. Par contre, les frictions de plus en plus nombreuses entre navires chinois et ceux d’autres nations pourraient aboutir à un accident. On peut se dire, cyniquement, que si cette collision cause la mort de marins vietnamiens ou philippins, il n’y aura pas de grosses conséquences. Par contre, si des marins américains ou chinois devaient en être victimes, la gestion de crise sera complexe et pourrait donner lieu à une montée en intensité. 

Les deux nations ont connus des changements importants ces dernières années. Quels sont les stratégies diplomatiques des gouvernements de Xi Jinping et Donald Trump dans cette zone de tension toujours plus prégnante ? 

Depuis quelques années, le gouvernement chinois et en particulier celui de Xi Jinping affirme de manière de plus en plus ferme, et toujours aussi unilatérale, sa totale souveraineté sur la Mer de Chine du Sud. Mais il faut bien comprendre que cette affirmation n’est qu’un élément de la monté en puissance géostratégique de l’Empire du Milieu. En direction de la mer, le Sud n’est qu’une petite partie d’une vision stratégique qui vise à l’établissement de zones très étendues, un « périmètre de défense » au sein desquelles la Chine serait capable de contrôler l’ensemble des circulations. La première chaîne d’îles, qui était l’objectif 2010, va de la pointe Sud du Japon aux Natuna. La seconde chaîne, objectif 2030 ou plus, s’étend jusqu’aux possessions américaines dans le Pacifique. A cela s’ajoute le collier de Perles (devenue Route de la Soie maritime), qui regroupe tous les points d’appui des marines chinoises, tant marchande que militaire, jusqu’au Golfe d’Aden. Cette stratégie est autant l’expression de la volonté de puissance de la Chine qu’un recours au nationalisme, recours traditionnel du pouvoir chinois pour ressouder sa population en cas de difficultés sur le plan intérieur.

Il est plus difficile de dire dès aujourd’hui ce que sera la stratégie diplomatique des Etats Unis, que ce soit en direction de l’Asie ou d’ailleurs. Côté Asie, Trump a hérité de la précédente administration le Pivot et le traité Transpacifique, deux actes dont il a dit qu’il les remettrait en question une fois élu. Le Traité Transpacifique, qui n’était pas entré en vigueur, est d’ores et déjà dénoncé. Le Pivot ne consistait pas, contrairement à ce qui a pu être dit, à un renforcement des implantations militaires en Asie de l’Est, mais à leur redéploiement. Au nom du pivot, Obama aurait aussi du restreindre les forces US en Europe, mais il a fait le choix contraire. Dans le cadre d’une politique générale de repli, les restrictions de volume devraient porter sur toutes les forces positionnées hors territoire national. Par contre, les capacités de projection et de frappe à distance pourraient bien, au contraire, bénéficier du changement d’orientation. En Mer de Chine du Sud, il serait logique de voir les Etats Unis continuer de s’opposer aux prétentions chinoises, mais ils devraient se contenter de le faire par le biais d’une présence non agressive. 

Un tel conflit aurait une portée planétaire : comment se positionne-t-on en Europe sur ce sujet aujourd'hui ? 

L’étincelle la plus capable de provoquer un conflit sino-américain est une collision, aérienne ou navale. Toutefois, on ne peut pas exclure une réaction de Washington à un acte de conquête de la part de Pékin, prise par la force d’une île occupée par un des pays de la zone (Japon compris) ou une invasion de Taïwan. Si un tel conflit devrait prendre de l’importance, même en restant larvé, il faut bien comprendre que, pour l’Europe, la première conséquence, très pratique, serait l’arrêt de l’usine du monde. Avec toutes les pénuries de biens de consommation que l’on peut imaginer. Mais il est très difficile de prévoir quelles pourraient être les réactions des Européens à un tel conflit. Les conséquences des décisions que prendra Trump dans les débuts de son mandat sur la réalité de la politique étrangère des Etats Unis sont loin d’être prévisibles. L’Europe est aussi dans une zone de turbulence, et il n’existe tout simplement pas de politique de l’Union en direction de l’Asie. On se souvient que, très récemment (Shangri-La, Le dialogue, le 5 juillet 2016 à Singapour), le Ministre de la Défense français avait annoncé que l’Europe devrait effectuer de manière régulière des patrouilles en Mer de Chine du Sud. Cela devrait rester au niveau du vœu pieux. 

On peut se poser la question de voir un conflit débouchant sur une alliance Chine-Russie contre les Etats-Unis. L’Europe, dans ce cas, serait pour le moins divisée, et ce sont sans doute les pays les plus forts qui se rapprocheraient des Etats Unis. Mais pour la Chine, un retour à la bipolarisation conduirait à un repli sur elle-même qu’elle ne peut pas se permettre. Elle est trop dépendante de ses échanges avec l’extérieur, dans lesquels les pays occidentaux tiennent une part prépondérante. 

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