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Quand Pierre de Coubertin estimait pour les JO que les femmes étaient "impratiques, inintéressantes et inesthétiques"
©Reuters

Bonnes feuilles

La compétition sportive est-elle aussi ouverte aux femmes qu'on le pense ? Est-elle même faite pour elles ? Rien n'est moins sûr. Certes, la quasi-totalité des disciplines sportives se sont féminisées et les sportives sont de plus en plus médiatisées ; mais alors pourquoi des sportives sont-elles contraintes de passer des tests de féminité, donc de prouver qu'elles sont des femmes ? Extrait de "Des femmes et du sport", d'Anne Saouter, aux éditions Payot 1/2

Anne Saouter

Anne Saouter

Anne Saouter est anthropologue et s'intéresse à la question de la production des corps sexués dans les pratiques sportives. Elle a écrit "Etre rugby : jeux du masculin et du feminin" et est également l'auteur du livre "Des femmes et du sport (éditions Payot), en 2016. 

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Des hommes et des muscles 

"Nous les mecs, c’est dingue ce qu’on n’est pas prêteurs. Notre pré carré, c’est un rectangle vert, avec un acte de propriété fourni dès la naissance". Les sports modernes, tels qu’on les connaît aujourd'hui, structurés par des règles formelles permettant leur diffusion et l’organisation de rencontres, naissent à la seconde moitié du XIXe siècle. Ils se constituent en clubs, en fédérations nationales, puis internationales. Ainsi purent se dérouler les jeux Olympiques de 1896 à Athènes, lieu hautement symbolique pour renouer avec la tradition antique.

Dans l’esprit du baron de Coubertin, leur initiateur, les Jeux œuvraient en faveur de la paix et de la fraternité entre les hommes : "Ceux qui ont vu trente mille personnes courir sous la pluie pour assister à un match de football ne trouveront pas que j’exagère. Exportons des rameurs, des coureurs, des escrimeurs : voilà le libre-échange de l’avenir, et le jour où il sera introduit dans les mœurs de la Vieille Europe, la cause de la paix aura reçu un nouvel et puissant appui."

Mais d’emblée, les femmes ne sont pas prévues dans ce projet de civilisation des mœurs : elles y seraient, selon lui, "impratiques, inintéressantes et inesthétiques". Citius, altius, fortius, tel que l’affiche la devise olympique, ne saurait donc s’adresser aux femmes. En revanche, ces dernières, toujours selon le baron, sont suffisamment qualifiées pour couronner les athlètes des lauriers de la victoire à l’issue des épreuves.

Fragiles et élégantes, les femmes de l’élite sociale étaient attendues pour honorer les premiers héros sportifs, mais d’aucune façon sur la ligne de départ. Loin du stade, la femme paysanne connaît le même traitement : "Il lui est interdit de courir les champs ou de grimper aux arbres comme les garçons ; elle doit rester assise, avec un ouvrage de tricot, de couture, de raccommodage. La modestie tranquille et le labeur assidu conviennent aux filles."

Le Moyen Âge, qui nous a légué le mot "sport", que les hommes pratiquaient sous diverses formes (lutte, natation, tir à l’arc, tournoi, soule, etc.), avait déjà bien établi une répartition des sexes. Face à la figure de la pucelle, effacée et silencieuse, en effet, la littérature fait référence aux jeunes garçons actifs et fougueux. "Si les femmes médiévales ne font pas véritablement de sport, explique Bernard Merdrignac, c’est sans doute parce qu’elles n’en ont pas le temps. Les jeunes filles n’ont pas d’adolescence et occupent précocement la place qui leur est dévolue dans la société médiévale. Le “desport” n’est pas fait pour elle."

Il est évident que l’effort physique ne pouvait être totalement absent des occupations féminines, mais il n’était pas valorisé en termes d’exploit, ni même prévu dans un temps limité comme celui de l’apprentissage ou de l’initiation. Ce temps-là était plutôt celui de l’intégration de la limite : activités dans des espaces clos ou restreints, usage contraint des corps dans l’espace public, tenues vestimentaires imposant une mécanique restrictive des corps, tabous liés aux menstrues et pertes post-partum, ou encore contrôle de la sexualité, ont toujours, et partout, été observés.

Les hommes, quant à eux, sont plutôt encouragés à développer leurs capacités physiques dans un esprit d’appropriation de l’espace social, mais aussi "sauvage". Chasse, pêche, conquête des sommets ou traversée des mers sont autant d’occasions d’éprouver leur puissance. Le parcours biographique des femmes connaît cependant un changement quand l’âge du mariage est différé : advient alors un nouveau temps, le "temps de la jeune fille".

Extrait de "Des femmes et du sport", d'Anne Saouter, aux éditions Payot. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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