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La façon dont un individu dépense son argent en dit long sur ses origines sociales.
La façon dont un individu dépense son argent en dit long sur ses origines sociales.
©Reuters

Série marqueurs sociaux

La façon dont un individu dépense son argent en dit long sur ses origines sociales et l'éducation qu'il a reçue. En effet, si le revenu peut évoluer, l'habitus restera le plus souvent le même. Une famille bourgeoise sans le sou continuera à maintenir un certain standing culturel dans son quotidien tandis qu'un ouvrier dont le revenu aura grimpé conserve le plus souvent les mêmes habitudes alimentaires.

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux est professeur émérite à la Sorbonne, université de Paris. Il est le directeur de la Formation doctorale professionnelle en sciences sociales et responsable du Centre de Recherches en SHS appliquée aux innovations, à la consommation et au développement durable. 

Il est aussi notamment co-auteur, avec Fabrice Clochard, de "Le consommateur malin face à la crise. : le consommateur stratège" (juillet 2013) aux éditions de L'Harmattant

Il vient de publier L’empreinte anthropologique du monde. Méthode inductive illustrée, Peter Lang

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Atlantico : En janvier 2014, le site américain salon.com publiait un article concernant les habitudes de consommations des riches parmi les riches. Aujourd'hui encore, ce genre de propos et d'études sont-ils justifiés ? Dans quelle mesure la façon dont nous dépensons notre argent peut-il représenter un marqueur social réel et crédible ?

Dominique Desjeux : C'est une évidence. La façon dont quelqu'un dépense son argent est bien évidemment un marqueur social ! Pourquoi l'argent ne serait-pas un marqueur social ?
Prenons l'exemple des dépenses de consommation : elles sont de toute évidence corrélées au pouvoir d'achat et au revenu. Si l'on parle de la classe moyenne supérieure, soit les 20% des Français les plus riches, on trouvera d'énormes différences entre les 20% et les 0,1% comme, par exemple, Liliane Bettencourt. Ces différences auront, par ailleurs, tendance à se matérialiser sur le quartier de vie, là où l'on s'installe. Ne serait-ce  qu'au travers des différentes boutiques, un type d'offre de commerce qui engrange plus d'argent et qui vend plus cher. A mon sens, la question doit se poser dans l'autre sens. Il va de soi que la façon dont on dépense son argent, et l'argent en tant que tel, sont des marqueurs sociaux. En fait, je crois que la véritable interrogation qu'il faut se poser, c'est comment dépense-t-on son argent selon sa classe sociale, son revenu et son patrimoine ? 

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En  partant du postulat que les individus dépensent leur argent différemment selon leur appartenance à telle ou telle classe sociale, quelles sont aujourd'hui les grandes tendances ?

Les différenciations sociales sont multiples. Cependant, à mon sens, la première d'entre elle se fait sur le logement. Les classes sociales moyennes, basses et pauvres sont directement touchées dans leur pouvoir d'achat par la contrainte que va représenter le logement. En revanche, chez les classes moyennes supérieures, le capital immobilier constitue l'un des plus grands discriminants, et cela se vérifie également vis-à-vis des autres classes sociales. A partir de ça, il existe nécessairement un type de dépense spécifique. Les classes supérieures ultra-riches ont souvent des yachts, des avions privés, et vivent dans des endroits souvent très définis. Prenons l'exemple de Paris, bien que cela soit quelque chose  de moins clair en France, tout l'Ouest est pavé par des espaces réservés. Le Tir-au-Pigeon, les Bois de Boulogne, les clubs qu'on trouve dans le XVIIe, dans le VIIIe, ou dans le XVIe. Il y a la fois les espaces d'habitats à proprement parler, mais également de sociabilité et de dépenses.
On constate que dans le 93, par exemple, il n'y a pas – ou peu – de riches à peu de choses près. Si, on revanche, on parle du XVIe, du XVIIe ou de Neuilly, on y trouve guère que des riches. L'espace et le quartier, et donc l'endroit où l'on choisit de vivre, permet de différencier les classes sociales. Il existe néanmoins des endroits relativement mixtes, et il convient de remarquer qu'il ne s'agit pas de l'unique indice. Les voitures représentent également un marqueur intéressant – on n'achète pas le même modèle, ni le même véhicule, selon les revenus dont l'on dispose et la catégorie sociale à laquelle on appartient, parce qu'on n'attachera pas la même importance au sujet. C'est également vrai pour tout ce qui relève de l'ordre de l'habillement ou de l'apparat, des bijoux. 

A quoi reconnaît-on un riche dans la façon dont il dépense son argent ? Quel type de dépenses va-t-il privilégier ? Tous les riches le dépensent-ils de la même façon, ont-ils tous le même rapport au patrimoine ? Est-il facile de distinguer les nouveaux riches des autres par ce biais ? Et les anciens riches désargentés perpétuent-ils leurs comportements de riches face à l'argent ? Pourquoi ?

Une des grandes caractéristiques de la bourgeoisie, presque culturelle aujourd'hui, c'est la discrétion. Il est, je crois, très intéressant de distinguer au sein des populations riches les "m'as-tu vu" – sans aucune connotation péjorative, bien entendu –, les riches qui auront tendance à exhiber leurs richesses et à l'afficher au vu et au su de tous, et la haute bourgeoisie dont la discrétion s'est fait l'une des spécificités. Chez ces gens-là, on ne remarquera pas nécessairement, au niveau de l'habillement du moins, qu'il s'agit de personnes particulièrement fortunées. C'est, entre autres, à cela qu'on fera la différence entre un nouveau riche, et quelqu'un qui l'est de plus longue date : un "vieux" riche sera habillé dans des vêtements qui n'ont rien de tape-à-l'œil tandis que le nouveau riche ressemblera sans doute plus aux caricatures que l'on peut voir dans les films sur les mafieux.
Je crois que ce qui permet, en vérité, de repérer des catégories et d'autres, ce sont les activités que l'on qualifie de culturelle et qui sont cumulatives. J'évoquais tout à l'heure le quartier de vie,  le logement, la voiture, l'habillement… Il faut également prendre en compte ce qu'on appelle en sociologie l'habitus : les habitudes de comportement. On constate, par exemple, que la grande bourgeoisie – même désargentée – continuera à conserver son référentiel culturel. Elle continuera à aller à l'opéra, au théâtre, au musée. Ces pratiques culturelles attachées à la tradition bourgeoises sont beaucoup plus fortes que celles de différentes catégories populaires. Et c'est également le cas dans le sport : le golf, en France, reste une pratique discriminante. Même si c'est également le cas du foot. S'il s'agit d'un sport véritablement vulgaire – au sens latin du terme – quand on le regarde, il est déjà plus discriminant quand il est question de le jouer.
Et ces dépenses culturelles de type théâtre, musée, art, resteront même si les gens ont moins d'argent, connaissent un revers de fortune. C'est le marqueur de classe social qui reste sans doute le plus longuement. En tout cas, bien plus que le revenu. Et c'est également le cas dans les autres classes sociales. Le revenu n'est pas mécaniquement un marqueur social : importent également la culture, les études, mais aussi – et plus spécialement pour la bourgeoisie, le réseau. On constate, par exemple, l'absence quasi-totale d'enfants d'ouvriers dans le corps des mines.

Et les classes moyennes ? Quelles sont leur caractéristiques à cet égard ? Les bobos constituent-ils un groupe à part dans le rapport à l'argent ?

A mon sens, il y a effectivement une grande différence. D'une part parce que la classe moyenne représente globalement la moitié de la population française, quand on se base sur le revenu : c'est donc par définition un groupe particulièrement et foncièrement hétérogène. Cependant, et contrairement à ce que pourrait dire – de façon très classique et marxiste – il existe bel et bien une conscience de classe pour cette population. Non pas au travers des luttes de classes comme auparavant, mais au travers des médias qui diront des choses comme "on matraque la classe moyenne", "la classe moyenne est paupérisée". A travers l'ensemble des débats se forme une conscience d'appartenir à cette classe moyenne, qui reste pourtant très mélangée – tant en termes de métiers représentés qu'en termes de différences de revenus.
Ces gens-là présentent une diversité en termes de dépenses et de consommation qui explique les secteurs de différenciations en termes de marketing. On trouve des habitudes et des attitudes tout à fait différentes qui nécessitent et induisent les segmentations de ces secteurs. Si on croit les chiffres de l'Insee, les revenus par personne s'étalent de 1300 à 3000 environ. Et la première dépense va, encore une fois, au logement. La deuxième relève de l'énergie, chauffage comme déplacement. C'est pour cela que la classe moyenne est parmi les plus sensibles vis-à-vis des hausses des prix du pétrole et des hydrocarbures.

Et les plus pauvres ?

Le logement est là aussi le premier post de dépense, qui est le plus souvent subi. D'autant plus quand les revenus sont bas. Plus ceux-ci le sont, plus la dépense associée au logement est importante. Ainsi,  pour ceux qui touchent moins de 900 euros, cette dépense peut représenter jusqu'à 70% du revenu.
Autres dépenses importantes, qui rejoignent parfois celles de la classe moyenne, la mobilité et la santé. Cependant, un des postes de dépenses les plus prononcés au sein des populations les plus pauvres (nettement plus qu'au sein de la moyenne nationale) correspond à tout ce qui est de l'ordre du numérique. Si cela occupe 8% du budget de la majorité des Français, on constate que cette part grimpe jusqu'à 17% dans les milieux les plus défavorisés. Et si cela peut paraître une dépense superficielle, il convient de bien réaliser qu'elle est devenue socialement obligatoire. Les besoins biologiques n'expliquent pas tout.

Comment peut-on expliquer, au travers des différentes informations exposées,  le rapport plus ou moins décomplexé à l'argent selon les catégories sociales ?

En France, je ne connais pas de rapport décomplexé par rapport à l'argent, bien au contraire. A mon sens, et si l'on compare avec d'autres nations comme la Chine ou les Etats-Unis, la France est tous sauf décomplexée. En Chine, il est aisé de savoir combien gagne un collègue, et quelles sont les différences de revenus. En Amérique, également. Alors qu'en France, ce complexe relève d'une vieille tradition, qu'on attribue souvent au catholicisme. Sans prétendre que telle ou telle situation soit la meilleure, force est de constater qu'il existe, chez nous, une vraie méfiance vis-à-vis de l'argent. Etre riche, ça n'est "pas bien". Ce qui ne veut évidemment pas dire que les gens n'aimeraient pas être riches, mais la norme morale impose de dire qu'il n'est pas bien d'être riche. Ce n'est pas un rapport sain à l'argent, mais un rapport complexé. Cependant, cette dualité quant à l'argent fait partie de la vie et de ses ambivalences.

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