Quand les cartes sur la progression de la guerre sont un instrument de pouvoir (plutôt à l’avantage de Vladimir Poutine en l’état…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Une carte de l'Ukraine est photographiée au centre de commandement des opérations des forces armées allemandes à Schwielowsee, le 4 mars 2022.
Une carte de l'Ukraine est photographiée au centre de commandement des opérations des forces armées allemandes à Schwielowsee, le 4 mars 2022.
©CLEMENS BILAN / POOL / AFP

Guerre des cartes

Dans de nombreux médias, on peut apercevoir des cartes présentant l'avancée des forces russes, qui contrôleraient de grandes étendues sur le territoire ukrainien. Pourtant, la réalité sur le terrain est tout autre

Hugo Billard

Hugo Billard

Professeur d’histoire géographie et géopolitique en prépa ECS dans un grand lycée parisien, diplômé d’histoire et de géographie, membre de jurys des concours des grandes écoles, Hugo Billard est directeur de nombreux ouvrages de géopolitique pour les classes préparatoires (Ellipses, PUF). Il est l’auteur de l’atlas de référence Mon Atlas de prépa  et de l'Atlas des frontières, retour des fronts, essor des murs aux éditions Autrement (2018 et 2021).

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Atlantico : Dans de nombreux médias, on voit des cartes que l’on utilise pour décrire l’avancée de Poutine dans de grandes zones au Nord et à l’Est de l’Ukraine notamment.  Ces zones seraient sous contrôle russe. Est-ce une simplification de la réalité ?

Hugo Billard : C’est une optique traditionnelle lorsqu’on veut expliquer un conflit : on présuppose toujours le contrôle complet de la totalité des territoires dans lequel se trouve une armée, ce qui est faux. Le problème est qu’aujourd’hui, nous sommes en pleine guerre et que cela signifie un rapport de force de communications politiques, ou de propagandes, réciproques. Or les militaires russes ne contrôlent que les routes dans lesquelles ils se trouvent. Ils n’ont ni vraiment pris le contrôle des zones économiques ou de municipalités ni rétabli l’ordre. Pour l’instant, ils sont dans la conquête, ils n’ont pas établi d’autorités nouvelles dans ces zones.  Il faudrait montrer les points où se trouvent les unités et leur point d’avancée maximum, ce qui serait plus juste que des zones qui donnerait l’impression que presque un quart de l’Ukraine est sous contrôle russe. Les seules régions véritablement sous emprise à la fois politique, économique et militaire sont la Crimée et le Donbass.

Quels sont les points stratégiques que contrôlent concrètement les Russes ?

Les aéroports, les carrefours routiers, quelques zones de circulation ferroviaire, et encore. Dans les images qui nous parviennent, il semble que le réseau ferroviaire ukrainien reste encore sous contrôle ukrainien. Les Russes n’ont pas l’air d’avoir réussi grand-chose de ce point de vue.  

Comment expliquer une telle simplification de la situation sur le terrain ? Est-ce un problème de données ?

Nous sommes tous, collectivement, des fainéants. L’objectif est de voir simplement la perception des rapports de force afin de voir où sont les Russes et où sont les Ukrainiens. Une carte simplifiée, c’est une manière de voir le rapport de force depuis l’extérieur. Cela permet que le lecteur comprenne plus vite. Ce ne sont pas les informations qu’on utilise dans l’armée à l’intérieur de ces zones.

Dans quelle mesure est-ce que ces cartes peuvent devenir un instrument de pouvoir a l’avantage de Poutine ? Est-ce la façon dont Poutine veut que nous pensions ? En quoi les cartes sont un instrument important de puissance en temps de guerre ?

Je pense que pour l’instant, Poutine s’en fiche. Au bout de quelques semaines, dans chaque conflit, il y a des querelles de cartes. Les deux protagonistes se battent par cartes interposées pour réclamer ce qu’ils contrôlent. Mais aujourd’hui la guerre n’est pas assez avancée. Il n’y a pas eu assez de prises territoriales pour justifier cette guerre des cartes. Si les Russes prennent Odessa, ils feront des cartes pour dire qu’ils contrôlent tout le littoral ukrainien, et ça aura un impact politique. De même s’ils relient la zone nord et le Donbass. Ils pourront dire qu’ils contrôlent les frontières de l’Ukraine et peuvent avancer comme une mâchoire, ce qui nourrira la propagande militaire.

De fait, ces cartes donnent un avantage au russe mais elles ne sont pas encore un outil de propagande, mais elles le deviendront. S’ils avaient pris Kiev, les choses auraient sans doute été différentes, y compris sur le point des cartes.

L’autre aspect des choses est que montrer une présence russe plus étendue qu’elle ne l’est en réalité peut donner à l’Ouest le sentiment d’une menace plus importante pour l’Etat ukrainien. Cela peut ainsi être une manière de pousser les opinions publiques à aider les Ukrainiens. Mais je ne vois pas les acteurs utiliser les cartes de la sorte actuellement.

A terme, quels sont les avantages d’une guerre des cartes ?

La guerre des cartes permet de revendiquer une victoire, le contrôle des lieux symboliques et politiques, les lieux économiques, les nœuds de mobilités, etc. L’objectif des cartes est de montrer qu’il n’a plus d’éléments, de ressources, qu’il est bloqué. Pour les opinions publiques locales, cela leur indique qu’il faut se soumettre.

En Ukraine, cela arrivera si la guerre perdure et que les Russes commencent à piétiner. Mais ce n’est pas pour tout de suite. 

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