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Quand la Russie regarde à l’Est
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Géopolitique

Face à la Chine et au monde arabe, la tentation est grande de voir la Russie comme une puissance destinée à "rallier l'Occident". A y regarder de près, le plus vaste pays au monde poursuit aussi des desseins géopolitiques spécifiques quant à sa présence en Asie. Un moyen de gérer les défis auxquels cette "puissance pauvre" est confrontée.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Non, la Russie n’est pas devenue un "nouvel Occident". Dans les années 1990, la dislocation de la "Russie-Soviétie" et l’élargissement des instances euro-atlantiques à l’Europe centrale et orientale ont fait craindre en Russie un basculement géopolitique vers les profondeurs eurasiatiques.

Dans les faits, les évolutions politiques observables depuis les années 2000 ne confirment pas l’émergence d’un "nouvel Occident" et, à bien des égards, le "système russe" se rapproche plus des régimes en vigueur dans la majeure partie de l’aire post-soviétique que des régimes constitutionnels-pluralistes occidentaux. L’affaire Khodorkovski et le nihilisme juridique dont elle témoigne soulignent la chose. Ce pouvoir est  une forme d’autoritarisme fondé sur des relations de type patron-client, le contrôle de la rente, une combinaison d’ouverture sélective à l’économie mondiale et de verrouillage politique interne.

Appréhendé selon les catégories de la science politique, le "système russe" relève de l’autoritarisme patrimonial, un concept développé dans le sillage des travaux de Max Webersur le patrimonialisme. L’erreur serait de penser que la nature du régime politique n’a pas de retombées sur la politique extérieure d’un État.

Récemment, un collectif de personnalités françaises le rappelait : "Des partenariats stables et fiables avec la Russie ne peuvent exister que lorsque nos valeurs fondamentales communes sont partagées et appliquées : là où les droits de l’homme sont protégés, les droits de propriété sont garantis et la justice l’emporte sur la corruption" (article payant).

Un conflit russo-chinois très hypothétique

Selon un scénario devenu un classique du genre, le ressentiment chinois suscité par le souvenir des "traités inégaux" (1858-1860), les immenses déséquilibres démographiques de part et d’autre des frontières, la "soif" de produits de base de l’économie chinoise ainsi que le renversement de l’équation géopolitique sino-russe pourraient conjuguer leurs effets pour provoquer de futures crises, voire un conflit de grande ampleur entre Russes et Chinois. Cette représentation de l’avenir est maniée tant à Moscou que dans les capitales occidentales pour justifier une politique de rapprochement réciproque. Bien qu’il ne faille pas négliger les contrecoups sur les moyen et long termes de la montée en puissance chinoise, les relations entre Pékin et Moscou ne vont pas dans le sens d’un "grand conflit".

Liés par un "partenariat stratégique" depuis 1996, ces deux pays ont approfondi leurs relations, en bilatéral et dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Les différends frontaliers ont été très largement réglés (le traité de 2004 met fin aux revendications réciproques), et la coopération énergétique a débouché sur un oléoduc et des projets de gazoducs depuis la Sibérie orientale vers le nord de la Chine. Il est certainement hâtif de voir en la Russie une "puissance euro-pacifique" mais les confins russo-chinois pourraient voir se développer des logiques géo-économiques de coopération fondées sur des intérêts partagés, logiques qui dissiperaient le spectre du "péril jaune".

Retour en Asie centrale

De fait, les rivalités sino-russes sont moins fortes en Extrême-Orient qu’en Asie centrale où l’expansion des intérêts énergétiques et commerciaux chinois devrait bien plus inquiéter Moscou que le libre accès des Occidentaux au bassin de la Caspienne (voir le projet de gazoduc Nabucco). Les hésitations russes lors des pogroms du Sud-Kirghizstan, en juin 2010, ne doivent pas dissimuler le fait que la Russie s’est largement réinvestie dans ce "milieu des empires" depuis le milieu des années 2000, suite aux "révolutions de couleur". Plus largement, l’idée centrale de la politique russe est de rassembler tout ou partie des pays de la CEI dans des formats plus cohérents tels que l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) sur le plan politico-militaire ou encore la Communauté économique eurasiatique.

C’est à travers des modalités plus ou moins lâches de contrôle de l’"étranger proche" et en se plaçant à l’intersection de l’OSCE et de l’OCS que les dirigeants russes prétendent renouveler les bases de leur puissance. La manœuvre va donc bien au-delà d’un simple rééquilibrage du poids des Etats-Unis et de leurs alliés dans l’Ancien Monde, conduit dans la perspective d’une association de la Russie, sur des bases optimales, au système géopolitique euro-atlantique.

Une incertaine destinée géopolitique

Les prolongements des débats entre Slavophiles et Occidentalistes ont artificiellement réduit l’avenir géopolitique de la Russie à une simple alternative entre l’Occident et l’Orient.

Le déplacement des équilibres de puissance vers l’Asie-Pacifique et le développement de nouvelles opportunités économiques et diplomatiques dans ce "Grand Est" devraient conduire les dirigeants russes à assumer plus encore la nature eurasiatique de leur État-continent.

Il faut cependant prendre la mesure des défis pour ce pays toujours confronté aux dilemmes de la « puissance pauvre » et à la dérive du Nord-Caucase musulman, susceptible d’avoir des contrecoups sur d’autres territoires de la fédération (sud de l’Oural et de la Volga ).

Songeons enfin à la possibilité d’une contestation politique au "centre" même de la Russie, une sorte de "révolution orange" à retard qui viendrait révéler les limites d’un pouvoir dont la force apparente repose sur l’indifférence d’une population russe privilégiant  la sphère personnelle. La morale comme la praxis requièrent donc un langage de vérité.

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