Quand l'hypothèse "Che" à Matignon enflamme une partie de la gauche<!-- --> | Atlantico.fr
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Un "tumblr" baptisé #lecheamatignon est né pour faire vivre l'hypothèse de l'arrivée de Jean-Pierre Chevènement à Matignon.
Un "tumblr" baptisé #lecheamatignon est né pour faire vivre l'hypothèse de l'arrivée de Jean-Pierre Chevènement à Matignon.
©Reuters

Homme providentiel ?

Jean-Pierre Chevènement est l'invité de tous les plateaux pour la sortie de son dernier ouvrage, 1914-2014, "L'Europe sortie de l'Histoire". A 74 ans, l'ancien ministre de l'Intérieur connaît une véritable résurrection médiatique. A tel point que ses partisans et certains observateurs l'imaginent à Matignon.

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Le 6 novembre, l'hebdomadaire Marianne demande à 84 personnalités - politiques, syndicalistes, intellectuels, économistes, etc.- le nom du Premier ministre idéal pour succéder à Jean-Marc Ayrault. Réponse : Martine Aubry (24,3%), Manuel Valls (20,2%) et... Jean-Pierre Chevènement (8,1%). Depuis quelques jours, un Tumblr baptisé #lecheamatignon (voir ici) est même né pour faire vivre cette hypothèse. Après une longue carrière, on pouvait penser que Chevènement incarnait désormais le passé. Pour une partie de la gauche et même de la droite, il constitue pourtant toujours une solution. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Thomas Guénolé : Je l'explique par la consistance de ses idées et leur impact sur les programmes de gouvernement de la gauche. Jean-Pierre Chevènement, c'est à la fois le rédacteur principal du programme commun de la gauche de 1981, le principal théoricien du non socialiste au traité de Maastricht, le premier à gauche à avoir fait le travail de pédagogie politique pour expliquer en quoi être pour ou contre la politique monétaire de la BCE était une question cruciale, l'un des premiers à avoir réinvesti pour la gauche les valeurs d'ordre républicain et de discipline chez les plus jeunes, et enfin, le principal artisan de la récupération par la gauche des symboles de la République. En d'autres termes, Jean-Pierre Chevènement a eu, des années 1980 aux années 2000, une fécondité intellectuelle politique sans équivalent parmi les personnalités politiques de gauche.

De fait, il a aujourd'hui à gauche une postérité politique très abondante. Par exemple, les idées d'Arnaud Montebourg et de Jean-Luc Mélenchon sur la République, la politique industrielle, la réhabilitation du colbertisme, le rejet de la politique monétaire de la BCE, lui doivent beaucoup. De même, Manuel Valls ne pourrait pas avoir son discours actuel sur l'ordre républicain s'il n'y avait pas eu d'abord celui de Jean-Pierre Chevènement quand il était ministre de l'Intérieur.

À cela s'ajoute que tout souverainiste de droite ou d'extrême droite se retrouve dans les idées de Jean-Pierre Chevènement en matière de politique économique, en particulier la politique monétaire et la politique industrielle. Cela explique qu'on puisse retrouver aujourd'hui certaines de ses idées chez un Nicolas Dupont-Aignan ou un Florian Philippot. En revanche, bien sûr, si l'on prend les idées de Jean-Pierre Chevènement dans leur globalité, considérer le vice-président du FN ou le fondateur de "Debout la République" comme un continuateur du CERES est une thèse qui ne résiste pas à l'examen : avoir des points communs n'équivaut pas à une relation d'identité.

Qu'est ce que cela dit de la gauche et plus largement de la classe politique actuelle ?

Cela souligne par contraste le relatif désert au PS en termes de production d'idées. Hormis François Delapierre pour la gauche marxiste, Arnaud Montebourg pour la gauche socialiste d'ailleurs essentiellement continuatrice de Jean-Pierre Chevènement, feu Olivier Ferrand pour la gauche social-démocrate, et Louis Gallois pour la gauche social-libérale, il n'y a pas de personnalités engagées à gauche dans le débat politique qui prennent la peine de produire des idées neuves. Ça fait quatre ; ça fait peu. Dans ce désert, l'envergure intellectuelle de Jean-Pierre Chevènement apparaît d'autant plus impressionnante, alors qu'elle aurait été banale dans le débat public des années 1960, où les réflexions engagées d'un Raymond Aron côtoyaient celles d'un Jean-Paul Sartre.

Dans un contexte de crise de l'euro et de l'UE, ses prises de positions altereuropéennes séduisent-elles plus facilement ?

Oui, incontestablement, mais Jean-Pierre Chevènement n'en a pas l'exclusivité. Son analyse et son contre-projet sur les questions européennes sont les mêmes que ceux de Philippe Séguin à droite. D'ailleurs, leur doctrine identique là-dessus s'est forgée simultanément à l'occasion du référendum sur le traité de Maastricht.

En 1958, sur fond de crise en algérie, René Coty se résignait à appeler le Général de Gaulle. L'hypothèse Chevènement à Matignon est-elle totalement improbable ou peut-il faire figure d'homme providentiel en cas de crise de régime ?

Je dirais que cette hypothèse est hautement improbable, sans être rigoureusement impossible. Sa haute improbabilité vient simplement de l'absence de rapport de forces construit dans le débat public par des soutiens de poids pour l'imposer comme une évidence. Et ce, sur le modèle de l'efficace campagne de relations publiques effectuée, en particulier par plusieurs grands magazines, pour que Michel Rocard soit nommé à Matignon en 1988. Cependant, sur le fond du programme de politique économique, nommer Arnaud Montebourg à Matignon reviendrait sensiblement au même que d'y nommer Jean-Pierre Chevènement.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

A lire également, de Thomas Guénolé : "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" (First éditions), 2013, 16,90 euros. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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