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Comment Francine Shapiro a inventé le meilleur traitement contre le stress post-traumatique "grâce" à son cancer
©Pixabay

Bonnes feuilles

En découvrant l’EMDR ("désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux"), Francine Shapiro a permis de traiter des traumatismes psychiques handicapants et jusque-là difficilement curables par les moyens médicamenteux ou psychothérapeutiques traditionnels. En se fondant sur des exemples concrets, Jacques Roques fait le point sur les origines, les méthodes et les protocoles de l’EMDR, et dégage quelques hypothèses théoriques pour en comprendre les soubassements neurobiologiques, qui restent largement méconnus. Extrait de "Que sais-je ? L'EMDR" de Jacques Roques, aux éditions PUF

Jacques Roques

Jacques Roques

Psychanalyste et psychothérapeute, Jacques Roques inclut dans sa pratique plusieurs disciplines (hypnose, psychodrame, systémique...). Il découvre l'EMDR en 1994, varchar(50) de sa formation, co-fondateur d’EMDR France (avec David Servan-Schreiber et Michel Silvestre).

Il est notamment l'auteur de "Essai d'anatomie psychique basé sur les neurosciences" de "Psychoneurobiologie - Fondement et prolongements de l'EMDR". – BoD – 2015 ; "EMDR : Une révolution thérapeutique", 2016, Edition Desclée de Brouwer ; et de "L' EMDR", Collection: Que sais-je ?, 2016.

 

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La découverte de l’EMDR et son développement

La découverte

L’évolution scientifique ne suit pas un parcours linéaire. La sérendipité, cette irruption d’un hasard providentiel dans l’heuristique y tient une large place. Autrement dit le hasard fait parfois bien les choses. On se souvient de la légende (ou fait avéré ?) qui attribue la découverte de l’attraction universelle par Newton à l’observation de la chute d’une pomme d’un pommier.

On se rappellera aussi que l’invention de la pénicilline par Alexander Fleming résulte d’une maladresse. Nous sommes début sept 1928 et le docteur Alexander Fleming de retour de vacances constate que ses cultures de staphylocoques dans des boîtes de Pétri ont été contaminées par les souches d'un champignon microscopique, qu'utilise son voisin de paillasse. Il s'aperçoit qu'autour des colonies, le staphylocoque ne pousse pas. Il pense alors qu'une substance sécrétée par le champignon en est responsable. Comme il s’agit du penicillium notatum, il l'appelle aussitôt «pénicilline». Ce n’est qu’à partir de 1940 et d’une souche différente du penicillium, qu’Howard Walter Florey, dont le nom est moins connu, trouvera le moyen de produire en quantité cet antibiotique. L’EMDR, basée sur l’observation fortuite que fit en Mai 1987 Francine Shapiro, relève de la même sérendipité. Voici ce qu’elle en dit elle-même :

« Un jour, comme je me promenais dans le parc, je remarquai que des pensées que j'avais qui me perturbaient, soudain disparaissaient. Je réalisai aussi que quand ces pensées me revenaient à l'esprit, elles n'étaient pas aussi bouleversantes et valables qu'avant. […] Ce qui attira mon attention ce jour fut que ces pensées qui me tourmentaient disparaissaient et changeaient sans effort conscient . […] Je remarquai que quand ces pensées me venaient à l'esprit, mes yeux spontanément commençaient à bouger dans un mouvement de va-et-vient très rapide et vers le haut en diagonale. A nouveau les pensées disparaissaient, et quand je les faisais revenir à mon esprit, leur charge négative était grandement réduite. C'est alors que je commençai à faire bouger mes yeux délibérément tout en me concentrant sur une variété de pensées et de souvenirs perturbateurs et je découvris que ces pensées disparaissaient aussi et perdaient de leur charge. »

Que des pensées perturbantes disparaissent quand on bouge les yeux est une constatation, dont on peut raisonnablement supposer qu’elle a dû déjà être partagée, sans plus en faire cas, par un bon nombre d’individus avant Francine Shapiro. Mais en paraphrasant Louis Pasteur on peut affirmer que « Le hasard ne favorise que les esprits bien préparés » car à la différence de tous ceux qui la précédèrent le phénomène arrêta sa pensée et elle commença à voir les bénéfices potentiels de cet effet. Il y a une raison essentielle à cela : Francine Shapiro est doctorante en psychologie. Si le hasard tient parfois un rôle épistémologique essentiel, l’histoire personnelle des découvreurs n’en est pas moins importante. Beaucoup de gens font de la psychologie en raison de problèmes personnels. C'est son cas.

En effet, passionnée de littérature, Francine Shapiro se destinait à une carrière littéraire et avait pris pour sujet de thèse à l’université de New York le 19e siècle et en particulier la poésie de Thomas Hardy. Un sujet la fascinait tout particulièrement dans sa recherche : le rapport existant en littérature entre les caractères des personnages et l’intrigue d’une part, et d’autre part l’approche causale qu’elle trouvait exprimée par la psychologie comportementale après avoir lu les travaux d'Andrew Salter et de Joseph Wolpe.

Mais en 1979, on lui découvre un cancer. Elle se soigne mais l’oncologue à l’issue du traitement lui dit : "Votre cancer est guéri, mais un certain pourcentage de gens l’ont à nouveau. Nous ne savons pas dans quel cas ni comment, alors bonne chance". Persuadée qu’il existe un lien entre la maladie et le stress, elle change de cap. En 1987, elle est de nouveau doctorante, mais c'est en psychologie cette fois. Elle réalise alors les bénéfices potentiels de sa découverte. Elle va en faire son sujet de thèse.

Premières approches

Pour cela, elle entreprend tout d'abord de tester le phénomène avec d’autres personnes : des amis, des collègues et ceux qui participaient aux séminaires de psychologie auxquels elle assistait. Comme beaucoup de gens, ils présentaient un large éventail de problèmes non pathologiques, mais pouvaient évoquer des humiliations vécues au cours de leur petite enfance, diverses frustrations professionnelles actuelles. Bien que Francine Shapiro leur montrât comment faire aller et venir leurs yeux rapidement, ils n’arrivaient pas à poursuivre durablement le mouvement. C'est la raison pour laquelle elle leur demanda de suivre ses doigts avec leurs yeux pendant qu’elle faisait aller et venir sa main afin de reproduire le mouvement oculaire qu’elle avait constaté sur elle-même dans le parc.

Premières recherches

Francine Shapiro consulte la littérature scientifique sur les mouvements oculaires et prend connaissance de certains travaux à ce sujet. Elle cite dans son ouvrage « une documentation conséquente en lien avec les processus cognitifs les plus élevés et avec la fonction corticale (Amadeo & Shagass, 1963 ; Antrobus,1973 ; Gale & Johnson, 1984 ; Leigh & Zee, 1983, Monty , Fisher & Senders, 1978 ; Monty & Senders 1976 ; Ringo, Sobotha, Diltz & Bruce, 1994) » et suppose qu’ils ont été « préalablement identifié comme corrélés à un changement du contenu cognitif (Antrobus, Antrobus & Singer, 1964) »

Par ailleurs elle poursuit ses essais cliniques. Après avoir ainsi expérimenté avec plus de 70 personnes, Francine Shapiro met progressivement en place une procédure standard focalisée sur la réduction des symptômes et la diminution de l’angoisse. En effet elle remarqua que parfois des personnes commençaient à se sentir mieux mais qu’ensuite, elles restaient bloquées sur du matériel perturbant. Pour dépasser cela, elle essaya plusieurs sortes de mouvements oculaires (plus rapides, plus lents, dans diverses directions) et demanda aux patients de se concentrer sur une variété de choses différentes (telles que les multiples aspects du souvenir ou leur ressenti). Ainsi par expérimentation et tâtonnement, progressivement, elle put identifier les stratégies qui avaient le plus de chances de fournir des résultats positifs et complets et établir les meilleurs protocoles standard possibles afin d'ouvrir et de clôturer les séances.

Elle baptisa EMD, soit Eye Movement Desensitization pour Désensibilisation par les Mouvements Oculaires, cette première forme de traitement. Lorsqu’elle s’aperçut un peu plus tard que non seulement les charges émotionnelles négatives étaient réduites, mais que dans le même temps l’estime de soi croissait, elle appela sa méthode EMDR, le R du Reprocessing (Retraitement), venant souligner cet apport thérapeutique majeur.

Extraits de "Que sais-je ? L'EMDR", de Jacques Roques, publié aux éditions PUF, juin 2016. 

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