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EDF doit rembourser une dette importante.
EDF doit rembourser une dette importante.
©REUTERS/Benoit Tessier

Bonnes feuilles

Criblé de dette après d'importants investissements dans les années soixante-dix et quatre-vingts, EDF doit désormais rentabiliser l'énergie nucléaire, au grand dam de notre portefeuille. Deuxième partie de "EDF, la bombe à retardement", dernier ouvrage de Thierry Gadault.

Thierry Gadault

Thierry Gadault


Thierry Gadault, journaliste économique indépendant, a travaillé pour La Tribune, l'Expansion et le Nouvel Économiste. Il est co auteur d’"Henri Proglio, une réussite bien française. Enquête sur le président d'EDF et ses réseaux, les plus puissants de la République" aux Editions du moment, (2013), et publie fin octobre une enquête sur EDF chez First édition, "La bombe à retardement". Il est également rédacteur en chef du site Hexagones.fr

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En lançant le grand plan d’équipement électronucléaire au début des années soixante-dix, puis en y ajoutant une tranche supplémentaire au début des années quatrevingt, les pouvoirs publics ont vu grand. Très grand. Trop grand même. Tous les experts le disent : les 63 GW de production nucléaire installée en France dépassent largement les capacités normales de consommation. Évidemment quand les pouvoirs publics s’en sont rendu compte, il était trop retard pour faire machine arrière, les centrales nucléaires étant déjà construites ou en cours de construction. Alors la France a essayé de trouver une solution pour permettre que le fonctionnement du parc installé soit suffisant pour être rentable il fallait bien aider EDF à encaisser les revenus nécessaires au remboursement de la dette constituée pour construire les cinquante-huit réacteurs. La solution s’est appelée le chauffage électrique : c’est la raison pour laquelle les immeubles d’habitation construits depuis les années quatre-vingt ont été massivement équipés en convecteurs.

Actuellement, au moins un tiers des foyers français est équipé en chauffage électrique, et ce chiffre continue de croître puisque ce moyen de chauffage, très peu efficace et très coûteux, équipe les deux tiers des immeubles en construction. Le parc de chauffage électrique français représente aussi près de la moitié du parc européen. Mais personne n’a vu son effet pervers.

La consommation électrique est en effet découpée en trois tranches : la base, qui correspond au niveau sous lequel la consommation ne descend pas, la semi-base, qui fait référence à la consommation supplémentaire en fonction des heures de la journée, et la pointe, ces pics de consommation exceptionnelle enregistrés quand les températures dégringolent en hiver. Un mix énergétique bien pensé se traduit par la mise en place d’outils de production diversifiés pour répondre aux évolutions de la demande.

Pour pouvoir faire face à la semi-base et à la pointe, il faut effectivement disposer d’outils souples (qui démarrent et s’arrêtent quasi instantanément), mais auxquels on doit garantir un temps d’utilisation dans l’année suffisamment long pour qu’ils soient rentables. C’est la raison pour laquelle, dans la plupart des pays qui ont développé un appareil de production électronucléaire, celui-ci est cantonné pour répondre essentiellement à la consommation de base, d’autres types de centrales (à charbon ou au gaz) venant compléter le dispositif pour répondre aux évolutions de la consommation. Mais pas la France.

Afin d’écouler la surcapacité nucléaire, l’équipement en chauffage électrique a donc été imposé. Ce qui a entraîné une très forte sensibilité du pays aux températures. Comme l’a expliqué Pierre Bonnard, le vice-président du directoire RTE (Réseau de transport d’électricité, la filiale d’EDF qui gère le réseau à très haute tension), devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale (le 16 janvier 2014), quand les températures baissent d’un degré en hiver, la consommation électrique en Europe augmente de 4 000 MW, dont 2 300 MW rien qu’en France ! Et sur l’ensemble de la pointe de consommation en Europe, qui dépasse les 300 000 MW, la part attribuable à la France atteint 100 000 MW. Forcément, pour faire face à un tel bond de la consommation électrique dans l’Hexagone, il faut que les centrales nucléaires tournent à plein régime durant les mois d’hiver.

Cette évidence saute aux yeux quand on regarde les statistiques de la puissance électrique installée en France et de la production. En 2003 (source EDF), la première année de production avec le parc nucléaire au complet (les deux derniers réacteurs ont été mis en au complet (les deux derniers réacteurs ont été mis en service en 2002), la puissance installée d’EDF (c’est-à- dire l’ensemble des capacités de production) s’élève à 101,227 GW : le nucléaire atteint 63,130 GW (soit 62,36 %), l’hydraulique 20,597 GW (20,34 %) et le thermique à flamme (charbon, fioul et gaz) 17,5 GW (17,28 %). Cette même année, la production d’électricité d’origine nucléaire représente 85,6 % de la production d’électricité totale d’EDF (490,9 TWh), l’hydraulique 9,3 % et le thermique à flamme 5 %.

Dix ans plus tard, le tableau des capacités électriques en France a connu quelques évolutions significatives. Si l’ensemble de la puissance installée est passé à 128,061 GW (source RTE), le nucléaire (stable à 63,130 GW) représente encore 49,29 % de la puissance, le thermique à flamme a été développé (19,97 %) et a rattrapé l’hydraulique (19,83 %), enfin les énergies renouvelables (éolien et solaire essentiellement), dont la puissance installée atteint 13,951 GW, représentent 10,89 % de la puissance installée totale. Côté produc- tion (550,9 TWh), le déséquilibre en faveur du nucléaire est toujours aussi visible : la part du nucléaire atteint 73,3 %, l’hydraulique 13,8 %, le thermique à flamme 8,1 %54, les autres énergies renouvelables 4,86 %. 

Chez EDF même, les choses n’ont guère bougé. En termes de puissance, le nucléaire représente toujours 65 % de ses capacités installées, l’hydraulique 20 % et le thermique à flamme 15 %. En termes de production, le nucléaire demeure archi-dominant à 87,4 %, suivi par l’hydraulique 9,2 %, puis par le thermique (3,4 %).

Nous avons mis tous nos œufs ou presque dans le même panier. Et nous nous sommes imposé une règle d’airain : faire tourner le plus longtemps possible les réacteurs nucléaires. La marge laissée aux moyens conventionnels de production est insuffisante pour leur assurer une rentabilité décente, l’exploitation des réacteurs ne pouvant s’arrêter sur un simple claquement de doigts. Évidemment, cette surexploitation du parc nucléaire a un impact tout aussi direct sur son vieillissement accéléré et sur la maintenance qui ne peut réellement intervenir que quand les réacteurs sont à l’arrêt pour changer le combustible (souvenez-vous des cuves des réacteurs de 900 MW qui sont des passoires à neutrons). Les travaux s’accumulent donc dans ces courtes périodes d’arrêt de tranche, le vieillissement accéléré des installations accroissant aussi la charge de travaux à réaliser.

Et il est impossible de faire machine arrière. D’abord, personne ne peut imaginer changer le mode de chauffage des immeubles équipés en convecteurs : le coût des travaux serait trop élevé pour que cela soit envisageable. Et qui paierait ? D’autre part, il faut laisser EDF optimiser la production de ses réacteurs nucléaires pour dégager les ressources financières à sa survie.

Raison pour laquelle, malgré ses grandes campagnes d’information sur le sujet, l’électricien n’apprécie guère les plans d’économies d’énergie : si les Français consomment moins d’électricité, qui paiera pour rembourser les dettes et financer les investissements ? « À Bruxelles, chaque fois que la Commission propose des mesures pour réduire la consommation d’énergie, EDF déploie son lobbying pour s’y opposer », raconte ainsi le député européen écologiste Yannick Jadot. EDF dispose de relais puissants au sein du Parlement européen, que ce soit parmi les élus français ou parmi ceux d’autres pays membres de l’Union qui misent sur le développement du nucléaire.

D’ailleurs les politiques d’économies d’énergie ciblant les foyers, mises en place en France, n’ont, pour le moment, donné aucun résultat significatif. Comme l’ont constaté, en juillet 2014, le député Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Marcel Deneux, auteurs, pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, d’un rapport sur les économies d’énergie dans le bâtiment et titré : « Le besoin d’une thérapie de choc ».

Selon Andreas Rüdinger, un chercheur allemand de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) qui était auditionné par la commission d’enquête parlementaire fin janvier 2014, une étude comparative entre les systèmes énergétiques français et allemand, publiée en 2011 par son institut, montrait que la consommation électrique des foyers allemands s’était stabilisée entre 1998 et 2010, alors que celle des ménages français (hors chauffage et chauffeeau) s’inscrivait toujours en hausse. Les foyers allemands consommeraient aujourd’hui 30 % d’électricité en moins que les foyers français, alors que ces deux consommations étaient équivalentes en 1998. Certes, les tarifs d’électricité élevés en Allemagne peuvent expliquer les efforts faits en matière d’économie d’énergie, mais cela montre aussi qu’en France, aucune politique ambitieuse n’a été mise en place. 

C’est dans ce contexte que doit être analysé le projet de transition énergétique présenté par Ségolène Royal, la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, fin juillet 2014. Sur le papier, les objectifs affichés peuvent paraître très ambitieux : réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (et les diviser par quatre d’ici à 2050), réduire de moitié la consommation d’énergie d’ici à 2050, réduire la consom- mation d’énergies fossiles de 30 % d’ici à 2030, passer la part des énergies renouvelables à 23 % d’ici à 2020 et à 32 % en 2030, ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025. La ministre a notamment annoncé un plan de 10 milliards d’euros, sur trois ans, pour rénover les bâtiments.

Première surprise, s’il y a bien un objectif en matière de réduction de la consommation d’énergie, rien n’est apparemment chiffré spécifiquement pour l’électricité. Cet oubli est significatif : pas question de contraindre l’électricien national. Deuxième point, l’objectif annoncé pour les énergies renouvelables est très prudent : la part actuelle cumulée de l’hydraulique et des autres énergies renouvelables dans la production électrique atteint déjà près de 19 % (et près de 30 % de la puissance installée). Malgré les à-coups incessants de la politique gouvernementale en matière de dévelop- pement des énergies renouvelables, l’objectif fixé par la ministre paraît donc facilement atteignable. 

En revanche, on voit moins comment la ministre va s’y prendre pour ramener la part du nucléaire à 50 % dans la production électrique en 2025 : cela signifierait que 50 % de la production électrique soit fournie pour moitié par les renouvelables et pour l’autre moitié par les énergies carbonées, compte tenu des objectifs fixés pour le développement des renouvelables. Le thermique à flamme verrait ainsi sa part dans la production d’électricité être triplé en 2025, entraînant donc une hausse significative des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre, contre lesquels ce plan est justement censé lutter !

Le plus probable est que le nucléaire continuera en 2025 à assurer une part bien plus élevée de la production d’électricité que l’objectif fixé à cette date de 50 %. 

À moins que, d’ici 2025, la consommation d’électricité soit massivement réduite en France : mais cela n’en prend pas le chemin. Les aides publiques annoncées par la ministre constituent aussi une minuscule goutte d’eau face à l’ampleur du chantier à entreprendre pour rénover les logements et engager de réelles économies d’énergies. Selon les deux parlementaires qui ont rédigé le rapport sur le sujet pour l’OPECST, le montant du chantier de la rénovation des logements peut être évalué à quelque… 900 milliards d’euros ! Soit 60 milliards par an sur quinze ans, si on se fixe l’année 2030 pour terminer ce chantier. Au final, le plan gouvernemental ressemble, à s’y méprendre, à de l’affichage politique, les véritables mesures étant, une nouvelle fois, reportées à demain.

En fait, comme l’affirment tous les spécialistes, qu’ils soient gouvernementaux (comme ceux de l’Ademe), ou indépendants (l’association négaWatt ou Greenpeace), une véritable politique de l’énergie doit nécessairement être fondée sur une ambitieuse politique de rénovation des logements, qui seule peut permettre de réduire la consommation d’énergie (électricité et énergies carbo- nées), et être accompagnée d’un plan de soutien massif aux énergies renouvelables. Ce que n’envisage pas l’actuel projet de loi de transition énergétique. 

Depuis que la France a ratifié les accords de Kyoto (les premiers accords internationaux concernant la réduction des émissions des gaz à effet de serre conclus en 1995), le pays a fait le minimum. Depuis 1998, date de la définition des objectifs en la matière des pays membres de l’Union européenne, la France n’a ainsi réussi à construire que 14 GW en énergies renouvelables et la consommation d’électricité a continué de croître. Par comparaison, l’Allemagne a construit 60 GW en énergies renouvelables, soit l’équivalent du parc nucléaire tricolore alors que l’Allemagne est bien moins lotie en matière d’énergies renouvelables que la France, tout en réussissant à diminuer sa consommation d’électricité de 19 TWh entre 2010 et 2013.

Et puis, pour développer réellement les énergies renouvelables, il faudrait, peut-être, qu’EDF s’implique plus que ce qu’il n’a fait jusqu’à présent. Pourtant, l’électricien communique régulièrement sur le sujet, et quand ils sont interrogés, les dirigeants d’EDF affirment maintenant que les énergies renouvelables sont complémentaires du nucléaire et qu’il est tout à fait possible de développer les deux. Un changement de discours notable, puisque jusqu’à très récemment, les renouvelables étaient vues comme une menace, EDF estimant que, compte tenu de son parc hydraulique, il n’avait pas besoin de faire d’efforts supplémentaires.

Mais dans sa communication financière, le sujet ne constitue pas une priorité. D’ailleurs, quand il évoque sa production d’électricité en France, il ne parle jamais  des énergies renouvelables. Il est vrai que l’électricien aurait, très certainement, du mal à préciser ce qu’il fait en la matière. Dans son rapport annuel, le sujet est ainsi relégué dans un sous-chapitre consacré à sa filiale EDF Énergies Nouvelles, qu’il contrôle à 99,1 %. Y figue notamment un beau tableau sur ses investissements dans ce secteur, détaillant la puissance installée dans les différents pays où EDF Énergies Nouvelles agit, dont la France. On y apprend ainsi que les projets auxquels participe la filiale d’EDF dans l’Hexagone représentent une puissance installée (hors hydraulique) d’un peu moins de 1 GW. Soit moins de 8 % de la puissance installée en énergies renouvelables (éolien et solaire) en France ! Et n’allez pas chercher à quel niveau de production effective cela correspond : le chiffre ne figure nulle part.

Remarquez, ce silence est compréhensible. Pour EDF, le sujet prioritaire n’est pas de développer ses capacités de production dans les énergies renouvelables, mais de faire tourner le plus longtemps possible ses réacteurs nucléaires. Tout le reste est anecdotique. D’ailleurs, le gouvernement l’a bien compris, puisqu’il a abandonné toute volonté de reprendre en main la politique éner- gétique du pays : la mesure qui aurait permis à l’État de fermer une centrale nucléaire a été enterrée et remplacée, dans le projet de loi de transition énergétique, par le plafonnement de la puissance installée en nucléaire à son niveau actuel. Autrement dit, quand l’EPR de Flamanville sera, enfin, opérationnel, EDF devra fermer deux réacteurs. Ce qui ne devrait pas trop lui poser de difficultés, vu les problèmes qu’il rencontre avec certaines des cuves. Pour le reste, EDF a les mains libres pour continuer à surexploiter ses centrales nucléaires. Tic tac, tic tac…

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