Quand Arnaud Montebourg faisait plus d'efforts que le reste du gouvernement pour comprendre la réalité de la situation économique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg.
Le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg.
©Reuters

Voix discordante, mais utile

Dans un entretien accordé au Monde, le ministre de l'Economie critique vertement la politique de réduction des déficits imposée par Bruxelles. Et au lendemain de cette interview, depuis sa fête annuelle de Frangy-en-Bresse, il a indiqué assumer avoir "proposé" et "sollicité" une "inflexion majeure de notre politique économique" d'austérité.

Atlantico : Dans une interview accordée au Monde (voir ici, accès limité), Arnaud Montebourg s'en prends vivement à la politique menée actuellement en matière économique, et notamment au sujet de la réduction des déficits publics. Pour sa traditionnelle fête de la rose, il a également choisi d’inviter Benoit Hamon, représentant lui aussi l'aile gauche de l'équipe gouvernementale. Peut-on parler d'un revirement à gauche de la part d'Arnaud Montebourg ? Comment définir son positionnement en matière de politique économique ?

François Lenglet : Le choix de critiquer l'austérité est évidemment revendiqué par des personnalités de gauche, mais également par d'autres plus à droite : je ne pense pas que ce soit un thème qui pourrait s'apparenter à un marqueur politique. La gauche traditionnelle est contre, par volonté de ne pas considérer le déficit ni la montée de la dette, mais d'autres disent que les choix de l'Europe s'apparentent bien à des choix sont stupides, voire dangereux, car l'Europe se retrouve donc dans une récession auto-entretenue. Une bonne politique appliquée à un mauvais moment devient donc une mauvaise politique. Le discours de Montebourg a donc une certaine force dans sa vision macro-économique. Le fait de dire que l'euro est trop cher, et que la politique macro-économique globale de l'Europe nous précipite dans le mur, me semble relever du bon sens. Charles Wyplosz, ainsi que les prix Nobel d'économie comme Krugman disent tous que la politique européenne est suicidaire, et ils ne se reconnaitraient sans doute pas du tout dans des idées de gauche.

Le positionnement d'Arnaud Montebourg n'est pas nouveau, ce qu'il avance est relativement cohérent avec son discours pour le "non" au référendum de la constitution européenne de 2005, cela témoigne d'une certaine continuité de sa vision. Après, bien entendu, il met en veilleuse certains aspects de ses convictions en fonction de la situation politicienne, mais devant les difficultés du gouvernement, et de l'Europe, il exprime de manière somme toute assez claire de son orientation.

Autant sur l'approche macro-économique, Arnaud Montebourg est assez pragmatique dans le fait de dire que l'austérité cumulative apporte beaucoup plus de difficultés qu'elle ne résout de problème, autant sur le plan micro-économique, ses positions sont beaucoup plus difficiles. Sur la thématique de la concurrence, il a une position assez variable. Le fait de défendre à la fois la nécessité d'augmenter la concurrence pour faire baisser les prix, en expliquant en même temps qu'il est nécessaire de diminuer le nombre d'opérateurs téléphoniques pour que les prix remontent, et donner plus de capacité d'investissement est plus paradoxal. Ses déclarations sur le rôle perturbant de l'innovation sont également troublantes : Au fond, si Montebourg avait été ministre au moment de l'invention de l'automobile, est-ce qu'il n'aurait pas été tenté de s'attaquer à elles pour défendre le secteur des diligences ? C'est là-dessus qu'on peut le trouver moins convaincant.

Lors du séminaire gouvernemental du 1er août, le ministre de l'Economie a insisté sur le risque déflationniste qui menace l'économie européenne. Que préconise-t-il, notamment au plan monétaire, pour y faire face et quel écho son positionnement a-t-il au sein du gouvernement ?

Arnaud Montebourg demande un plan d'investissement européen et une baisse de l'euro. Au fond, ce n'est pas tant le gouvernement qu'il vise, mais plutôt l'Allemagne. Concernant l'écho de sa position au sein du gouvernement, en apparence François Hollande et Manuel Valls se disent en accord avec la trajectoire européenne. Mais en réalité, la voix discordantes de Montebourg leur rend service.

Mario Draghi (Président de la BCE ndlr) a déclaré - un peu tardivement d'ailleurs, après avoir dénoncé les gouvernements qui ne tenaient pas leurs déficits - que les politiques pro-cycliques qui aggravent la récession n'ont pas lieu d'être, et qu'il vaudrait mieux être plus souple sur les déficits structurels, ce qui n'est pas si éloigné de ce que dit Arnaud Montebourg. Finalement, c'est plutôt la BCE qui devient montebourgienne que l'inverse, ainsi que sur la nécessité de la dévaluation qui contraste fortement avecles discours de Trichet par exemple.

Quelle est sa position sur la volonté de François Hollande de persister dans sa stratégie de politique de l'offre ?

On peut très bien faire une politique de l'offre et récuser l'austérité, c'est même précisément ce que dit Draghi. Je n'y vois pas une contradiction complète. J'observe que certaines des mesures promues par Montebourg, comme par exemple le fait de vouloir renforcer le potentiel d'innovation de certains groupes relève de la politique de l'offre.

Lors de la primaire socialiste de 2011, Arnaud Montebourg se faisait le chantre de la "démondialisation". En 2012, il s’en prenait "aux patrons voyous". En 2013, Vincent Bolloré et d’autres patrons lui rendaient hommage après avoir fait la paix avec certains. Comment peut-on analyser son évolution ? Y-a-t-il une cohérence dans le corpus idéologique du ministre de l’Economie ?

Il est toujours sur la même ligne de la démondialisation, on relève dans son discours un encouragement de la production nationale, et la nécessité de se protéger de la concurrence déloyale, et il n'a pas tort. En revanche, il est vrai que son attitude vis-à-vis des patrons a changé. Il a d'ailleurs regretté ses déclarations sur la famille Peugeot, et sur le fait qu'ils s'étaient "gavés" en dividendes. Et j'observe que nombre de grands patrons s'entendent plutôt bien avec lui.

Ses critiques à l’égard du gouvernement vont-elles s’accentuer à l’avenir, alors que le gouvernement n’entend pas "changer de cap" comme l’a précisé récemment Manuel Valls au JDD ? Peut-on imaginer une convergence à la gauche du PS entre Martine Aubry, les frondeurs, Cécile Duflot et donc Arnaud Montebourg ?

C'est possible, si l'on reste en croissance zéro, je ne le vois pas continuer dans ce bateau-là.  La seule façon de ranimer la croissance aujourd'hui serait de dévaluer l'euro. Si ça ne se produit pas, il y aura un changement de politique économique importante en France. Est-ce qu'il sera impulsé par Montebourg ? Je n'en sais rien, mais la politique économique de la France ne restera pas ce qu'elle est, c'est probable.

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