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Quand, à l’Élysée, après le bal, les Parisiennes ôtaient leur corset pour "dévorer" dindes aux truffes et autres pâtés d’anchois
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Bonnes feuilles

Avec l'art de la narration qui le caractérise, André Castelot raconte l'histoire du siècle d'or de Paris : de novembre 1783, premier survol de la ville en montgolfière, jusqu'au printemps 1871, derniers remous de la Commune... Extrait de "Le grand siècle de Paris", d'André Castelot, aux éditions Perrin 1/2

André Castelot

André Castelot

André Castelot (1911-2004), historien réputé, est l’auteur de nombreuses biographies à succès dont, chez Perrin : Henri IVNapoléon BonaparteLa reine MargotMarie de MédicisMadame de Maintenon, et Diane, Henri et Catherine.

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Le doux contour n’était guère difficile à découvrir. On l’avait, en somme, sous la main, car les femmes recherchaient alors la simplicité grecque et se décolletaient jusqu’à faire galoper leurs attraits, selon une expression du temps. On s’en souvient, Wicar, l’élève de David, membre de la Société patriotique des arts, avait préconisé sous la Terreur l’abandon des fichus qui couvraient les charmes les plus agréables ; la mode devait bientôt le satisfaire totalement avec l’apparition, au lendemain de la grande tourmente, de robes à l’omphale ou au lever de l’aurore, ensembles si joliment transparents qu’une marchande mit en vente un tablier-fichu, recommandé en ces termes par le Journal des dames :  "Si l’on vient à considérer la finesse transparente de la robe qui souvent sert de chemise, on reconnaîtra à cette parure la même utilité qu’aux tabliers des sauvages".

Un poète du temps ne pouvait, certes, être taxé d’exagération, en rimant, à propos de cette grécomanie :

Sous un mince et léger costume,

Elle cherchait des compliments

Et revenait avec un rhume.

À l’Élysée, après le bal, les Parisiennes, qui n’ont plus la gêne "du corps et des corsets, nous rapporte Mercier, peuvent manger à satiété. Elles dévorent les dindes aux truffes et les pâtés d’anchois  : elles mangent pour le rentier, pour le soldat, pour le commis, pour chaque employé de la République ; et, tout en dévorant, elles disent du mal affreux de cette République. Il n’y a rien d’horrible comme le régime actuel ; si elles dansent, c’est pour le faire enrager ; car elles ont ouï dire que les deux conseils –  les Anciens et les Cinq-­Cents  – n’aimaient point les danses. Elles ajoutent qu’il n’y aura que le bal qui ne périra pas en France. Cependant, ces femmes, qui maudissent cet épouvantable régime républicain, sont filles, sœurs, femmes de fournisseurs de la République : elles ne cessent de dévorer ; elles ne boivent plus de vin à cause de la faiblesse de leurs nerfs ; mais elles avalent le kirschwasser, le marasquin et toutes les liqueurs des îles".

À l’Élysée, on mangeait aussi des glaces. Dans l’un des salons, Garchy, le glacier en vogue, avait installé son comptoir. Accompagnées de biscuits aux amandes, on y servait des "glaces divines qui jaunissaient en abricots ou s’arrondissaient en pêches succulentes". Garchy ne paraissait que rarement en personne. Il avait son propre établissement : le fameux Frascati, situé à l’angle du boulevard et de notre rue de Richelieu, alors rue de la Loi. Royaliste, il avait été blessé, le 5 octobre 1795, en combattant contre les troupes du général Vendémiaire. Les anciens Jacobins se vengèrent en envahissant un soir les huit salons décorés à l’antique du glacier et en blessant grièvement plusieurs consommateurs. Les chaises étrusques volèrent contre les panneaux de bois orange. Mme Garchy, qui venait d’accoucher, prit le parti de s’évanouir… L’établissement comptait également des salles de bal, des salles de jeu et, surtout, un petit jardin de vingt-­cinq mètres sur douze où les Parisiens venaient manger les fameuses glaces sous des tonnelles de glycine et de vigne vierge.

Frascati et l’Élysée avaient un terrible concurrent  : le bal de l’hôtel Richelieu. "Dans ce lieu enchanté, écrit un habitué, cent déesses parfumées d’essence, couronnées de roses, flottent dans des robes athéniennes, exercent et poursuivent tour à tour les regards de nos Incroyables à cheveux ébouriffés, à souliers à la turque. Là, les femmes sont nymphes, sultanes, sauvages. Leur gorge est nue, leurs bras sont nus. Les hommes, par contraste, sont trop négligés. Ils rappellent quelquefois à ma vue ces laquais qui, dans l’Ancien Régime, dansaient au salon une fois l’année, le jour du mardi gras à minuit, vingt minutes avant le coucher de leurs maîtres…" On s’y écrasait, et, selon le même témoin, aucun bal de Paris ne pouvait être comparé à celui de l’hôtel Richelieu. Ils devaient s’effacer "comme des gratte-­cul devant les roses".

Les Hovyn, eux, ne voulurent pas s’incliner et organisèrent dans le parc de l’Élysée des jeux forains et des attractions. On y verra un mouton enlevé par un ballon, puis le quitter grâce à un mécanisme bien réglé et atterrir en parachute en poussant les bêlements que l’on devine. Un autre soir, les Hovyn eurent l’idée d’inviter un nouveau diplomate dont tout Paris s’entretenait. Il s’agissait d’un Turc –  un vrai Turc  – accrédité par la Sublime Porte auprès de la République. Comme l’a dit Lenotre, "depuis que la Révolution guerroyait contre toute l’Europe, les représentants des puissances étrangères se faisaient d’une rareté insigne". Et ici, il s’agissait d’un Turc aux "doux yeux de gazelle" et portant un bonnet gaufré surmonté d’un turban ! Lorsqu’il accordait audience, il offrait deux pastilles aux femmes accompagnées de leur mari. Les femmes venues seules avaient droit à la douzaine. Aux demoiselles chaperonnées par leur mère, il offrait des gouttes d’essence de rose en leur disant :

— Venez sans votre mère.

Lorsqu’on sut qu’il avait accepté l’invitation des Hovyn, ce fut du délire. On s’écrasa à l’Élysée, bien que le prix des places eût été porté de trois à cinq francs. Toutes les belles du Directoire étaient là. On lui présenta la maîtresse de Barras, Mlle Lange, dont la beauté était, paraît-­il, "virginale".

— Il est beau, déclara Sa Seigneurie.

Quand il vit Mme Tallien, à demi nue comme l’exigeait la mode, il s’arrêta, ébloui devant les formes opulentes de celle qui passait pour la plus belle femme de Paris. On vit le diplomate se concentrer, réunir toutes ses connaissances de la langue française, regarder amoureusement Mme Tallien et lui assener ce compliment :

— Beauté publique !

C’était exact. "Cette femme, disait un témoin, affiche le luxe le plus insolent au milieu de la misère publique… Elle donne le ton à tout ce que Paris renferme d’impur dans les deux sexes". Elle venait de quitter Tallien qui, elle l’avouait sans ambages, n’avait été pour elle "qu’une planche de salut", et s’était laissée aller dans les bras de Barras, "roi de Paris et des pourris". Cela lui avait permis d’être toute-­puissante dans les bureaux et de s’offrir le luxe de donner une pièce de drap d’uniforme à un général qui ne possédait qu’une tenue, râpée au-­delà de toute expression. Elle lui avait annoncé le résultat heureux de ses démarches, en lui criant à travers son salon, rempli d’invités :

— Eh bien ! mon ami, vous les avez, vos culottes !

Le général s’était incliné, mais n’oubliera jamais. Il s’appelait Napoléon Bonaparte. Grâce à Barras, il avait pu sauver la Convention expirante en canonnant, sur les marches de Saint-Roch, les royalistes partis à l’assaut du régime. Il était devenu l’amant, puis le mari de la meilleure amie de Mme Tallien : José­phine de Beauharnais qui avait été, elle aussi, la maîtresse de Barras. Les deux femmes avaient des goûts semblables… même pour s’habiller, témoin cette lettre envoyée par Mme Tallien, la veille d’une soirée  : "La fête serait bien languissante sans vous. Je vous prie de vous y montrer avec ce dessous fleur de pêcher que vous aimez tant, que je ne hais pas non plus et dont je me propose de déployer le pareil".

Extrait de "Le grand siècle de Paris", d'André Castelot, publié aux éditions Perrin, juillet 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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