Purges, fractures idéologiques et brutalité : La Révolution dévore ses enfants et le Nouveau Front populaire… ses parents<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Des membres du Nouveau Front Populaire à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024
Des membres du Nouveau Front Populaire à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024
©JULIEN DE ROSA / AFP

Nuit des longs coupe-ongles

Les dissensions entre alliés du NFP paraissent presque marginales au regard de la violence qui se déploie désormais au sein même de la galaxie LFI.

Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

Voir la bio »
Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

Voir la bio »

Atlantico : Lors du grand meeting du Nouveau Front populaire cette semaine à Montreuil, des tensions sont apparues, notamment avec François Ruffin. Ces incidents interviennent après les purges de Raquel Garrido et Alexis Corbière qui avaient émis des critiques vis-à-vis de la ligne de Jean-Luc Mélenchon. La Révolution dévore-t-elle ses enfants et le Nouveau Front populaire… ses parents ? Comment expliquer une telle violence et une telle dérive au sein même de la galaxie LFI ? 

Philippe d’Iribarne : Je ne crois pas qu’on puisse parler de dérives. Jean-Luc Mélenchon est simplement  fidèle à son éducation trotskyste. Souvenons-nous de la grande époque du communisme soviétique, de la place des purges, des procès de Moscou. Malheur à ceux qui n’étaient pas dans la ligne du parti, telle qu’elle était définie par le grand leader. Ceux qui sont aujourd’hui victimes de purge ont la chance de ne pas avoir leur vie en danger. LFI se situe dans une perspective révolutionnaire pour laquelle le fonctionnement paisible d’une démocratie n’est pas la référence. Les « socio-traitres » doivent être mis à l’écart.

Gaël Brustier : Il est important de resituer le contexte. Le lieu est important. Ce meeting s’est déroulé à Montreuil. Il s’agit presque de la première circonscription de gauche en France. Ni la droite ni l'extrême droite ne parviennent à s'implanter durablement à Montreuil. Tout le champ politique montreuillois est une projection du champ politique à l'échelle de la seule gauche. En France, Les Républicains et le parti d’Emmanuel Macron ne parviennent plus à exister. Par le passé, le Front National et la droite ont existé un certain nombre de fois électoralement. 

Actuellement, dans un champ politique où vous n'avez que la gauche qui domine, les tensions s'exacerbent en son sein. Il n'y a plus de Nouveau Front populaire puisqu'en fait ce Nouveau Front populaire devient le champ politique total. Or, cela n’est pas représentatif des aspirations de tous les électeurs. 

Une partie de la gauche est engagée dans une dérive lambertiste. Cela tient moins à son programme qu'à un état d'esprit, celui de l'exclusion de toute personne qui ne pense pas pareil. En ligne de mire aujourd'hui figure le couple Garrido Corbière. Ils sont victimes de toutes les accusations. Cette dérive va continuer. D’autres personnalités politiques seront ciblées. Clémentine Autain pourrait en faire partie. Elle s'était rebellée il y a quelques années contre la direction de LFI. 

Il y a donc une ambiance qui est tout à fait délétère. Cette ambiance ne concerne pas uniquement les militants qui font leur choix. Mais ce choix déteint sur absolument tout le tissu social. C'est la loi des suspects.

La Révolution ne dévore pas encore ses enfants mais elle leur fera du mal. Le but est de faire du mal. Certains militants et représentants de LFI n'ont qu'une obsession, ils veulent faire du mal à ceux qui ne pensent pas comme eux.

Le couple Corbière-Garrido, Clémentine Autain, Danielle Simonnet sont devenus des ennemis uniquement parce qu’ils se sont légèrement éloignés de la ligne de La France insoumise. Cela concerne des affaires internes au sein de la formation politique et cela témoigne de la brutalisation totale des rapports sociaux dans le champ politique au cœur de notre pays.


Qu’est-ce que révèlent cette violence et cette brutalisation de la vie politique qui se déploient au sein de La France insoumise? Qu’est-ce que cela traduit ?

Gaël Brustier : Il s’agit de la traduction d'une violence latente qui est présente au sein de la société. Cette violence et cette brutalité politique déployées par LFI est plus sophistiquée, plus rapide et plus théorisée. La France insoumise a le goût de la méthode. Qu’est-ce que cela traduit ? Ce n'est pas la menace de gauche uniquement, cela correspond à la menace d’une brutalisation générale de toute la société française. Cela agit comme un révélateur.

Philippe d’Iribarne : La France insoumise agit en accord avec sa perspective révolutionnaire. Il s’agit de faire monter le refus du résultat des urnes. Pour elle, les émeutes de juin 2023 apparaissent comme les prémices du grand soulèvement à laquelle elle appelle. Elle voit bien qu’elle ne peut compter sur les couches populaires « blanches », mais qu’il y a, dans les populations issues de l’immigration, un réservoir de haine et de désir de conquête qu’elle entend bien mobiliser. Elle sait que des armes de guerre sont disponibles, que c’est le monde de la drogue qui s’est opposé à leur utilisation en 2023, craignant pour son chiffre d’affaires, mais elle pense sans doute que cela peut changer. Sa position radicalement pro-palestinienne, s’inscrit dans cette stratégie.

Les enquêtes d’opinion indiquent qu’aux yeux d’une majorité de Français, la plus grande menace pour la démocratie aujourd’hui n’est plus le RN mais LFI, même chose sur l’antisémitisme. La gauche ne s’enferme-t-elle pas dans une bulle cognitive ? Les leaders modérés de gauche comme François Hollande ou Jean-Marc Ayrault qui apportent leur soutien au Nouveau Front populaire, et qui donc adoubent la stratégie de LFI, renient-ils leurs valeurs et commettent-ils une faute politique ?

Philippe d’Iribarne : Oui, on a affaire à une bulle, comme celle qui a longtemps existé à l’égard du communisme. A une époque où on savait depuis longtemps ce qu’il en était du Goulag, de la réalité du « paradis soviétique », que la plus grande partie de la gauche continuait à le célébrer. Il ne fallait pas « désespérer Billancourt ». Le journal Le Monde a célébré Pol Pot. Ne parlons pas de l’idolâtrie de Mao. La gauche antitotalitaire a longtemps eu bien du mal à se faire entendre. Etre « de gauche » aujourd’hui relève moins de l’adhésion à un projet politique réaliste que de l’entretien d’un imaginaire porteur d’une forte identité jointe à pas mal de nostalgie. Jacques Julliard parlait du « surmoi marxiste » de la gauche qui lui rend difficile de s’opposer à la gauche de la gauche, donc, dans son imaginaire, la gauche la plus authentique. 

Gaël Brustier : Ils ont tous connu des moments où il y avait beaucoup de députés de gauche, en 1988 notamment. La vie est beaucoup moins simple quand il n'y a pas de députés et lorsqu’il n’y pas de ressources. Les leaders et les représentants politiques de gauche au sein du Nouveau Front populaire ont parfaitement conscience du risque qu’ils prennent en s’alliant avec La France insoumise. Ils font ce choix en conscience et ils prennent le risque. Chacun est libre de juger. Christian Paul (PS) dans la Nièvre ou François Hollande en Corrèze prennent leur risque et se présentent. Ils sont mithridatisés à la violence mélenchonienne dans la mesure où cette violence est née au sein du Parti socialiste. 


Au meeting de Montreuil, certains militants ont noté que des personnalités comme Taha Bouhafs ont hué François Ruffin et l’ont traité de “raciste”. Comment expliquer de telles tensions ? Cela s’apparente-t-il à une dérive sectaire de la part de certains membres, représentants, militants ou sympathisants LFI ? 

Gaël Brustier : Il s’agit d’une manipulation politique qui consiste à éliminer des camarades au nom de la lutte antiraciste. Après avoir construit la gauche durant quatre décennies sur la seule lutte antiraciste, il n'est pas du tout étonnant de voir que François Ruffin prenne ses distances avec les dogmes actuels, ceux de l'antiracisme différentialiste. Le fait qu’il subisse ensuite ce genre d’attaques et de critiques n’est pas vraiment étonnant. Tout cela est caractérisé par une violence extrême et par une grande tentation de manipulation et afin de faire pression sur des personnalités comme François Ruffin.


Une vidéo partagée par un compte anonyme et reprise par de nombreux militants insoumis prétendait que le député LFI sortant Alexis Corbière aurait qualifié Mathilde Panot de « poissonnière » lors d’un échange privé avec Ian Brossat lors du rassemblement du Nouveau Front Populaire à Montreuil lundi soir. Alexis Corbière a réagi pour dénoncer « un fake immonde ». Il s’est expliqué sur le réseau social X en expliquant avoir prononcé les mots suivants : « c’est tellement un bulldozer cette meuf », en évoquant les chances de victoire de Danièle Simonnet. Cette polémique illustre-t-elle le climat de chasse au sorcière au sein de LFI ? De telles polémiques peuvent-elles fragiliser l’unité au sein du Nouveau Front populaire ?

Gaël Brustier : Alexis Corbière n’est pas irrespectueux de l'intégrité morale des autres. Alexis Corbière n'est pas quelqu'un de malhonnête ou qui serait violent verbalement ou physiquement, de manière infondée.

S’il doit être critiqué, cela ne doit pas être sur une telle polémique mensongère. Il est possible de le critiquer sur ses choix politiques passés, sur le fait qu’il aille sur le plateau de Cyril Hanouna ou pour certaines décisions contestables ou discutables. Mais ces accusations liées à la vidéo semblent être montées de toute pièce pour lui nuire. Raquel Garrido et Alexis Corbière sont des personnalités qui sont politiquement honnêtes.


Est-ce qu'il n'y a pas un risque que l'unité affichée à gauche pour ces élections soit fragilisée par certains militants ou figures de la galaxie LFI qui cherchent à discréditer des candidats ou des personnalités du Nouveau Front populaire ? 

Gaël Brustier : Le Nouveau Front populaire n'existe pas réellement. Il s’agit d’une représentation visant à se répartir des circonscriptions pour bénéficier d’un financement public. Il y a un théâtre d'ombres ou un théâtre de Guignol qui vise en réalité à liquider ses anciens amis ou à faire de l'exhibitionnisme idéologique. Mais il n'y a absolument aucune existence du Nouveau Front populaire. Il s’agit d’un écran de fumée. 


Le nouveau Front populaire n'a absolument aucune réalité politique, philosophique, sociale, intellectuelle, morale ou collective. Quelle est la réalité du Nouveau Front populaire en dehors de son logo ? 

Gaël Brustier : Le Front Populaire a été souhaité en premier par deux personnages dans l'histoire de France : Jacques Doriot et Marcel Déat. Si c'est pour que les personnalités les plus radicales actuellement finissent ainsi, autant qu'ils nous avertissent avant.


Il y a de plus en plus de voix qui tentent d’alerter sur les difficultés, les tensions et les dérives au sein du Nouveau Front populaire. Le philosophe Bruno Karsenti a notamment indiqué dans L’Express que "l’alliance de la gauche s’effondrera si elle n’affronte pas l’antisémitisme…". Les intellectuels peuvent-ils alerter sur les dérives de La France Insoumise au sein du Nouveau Front populaire ? Ont-ils des chances d’être entendus ? Cela peut-il aboutir à une véritable prise de conscience au sein de la société ?

Philippe d’Iribarne : L’imaginaire communiste a fini par s’effondrer. Qu’en sera-t-il pour celui qui vient de se ranimer autour de la LFI. L’antisémitisme de celle-ci tend à la disqualifier dans une bonne partie de la population, mais il lui sert au sein des populations qu’elle entend mobiliser dans la rue. Ses troupes me paraissent totalement imperméables à ce que peuvent dire des intellectuels qu’elle ne fera que taxer de « conservateurs », voire « d’extrême-droite ». 

Gaël Brustier : Il n'y a pas suffisamment de lutte contre l'antisémitisme à gauche. Les socialistes au sein du PS sont intimidés par ceux qui, soi-disant à gauche, ont décidé de passer par pertes et profits la défense du peuple juif et la défense de l'Etat d'Israël. J'ai grandi dans un monde où la devise de tous les progressistes était l'an prochain à Jérusalem.

Il y a actuellement un basculement coupable et que l'histoire jugera. Ce basculement est celui de Jean-Luc Mélenchon et de ses camarades. Ils ont basculé dans la connivence avec des groupes antisémites, au point qu'il est possible de se demander s'ils n'en ont pas adopté l'idéologie.

Faut-il s’inquiéter d’une potentielle arrivée au pouvoir du Nouveau Front populaire, notamment via l’action potentielle de la galaxie LFI et au regard des purges et de cette brutalité, en cas de victoire lors des législatives ? Les forces de gauche traditionnelles seront-elles débordées par La France insoumise après un potentiel sacre aux législatives ?

Philippe d’Iribarne : Je ne crois pas que le risque soit grand de voir la France insoumise arriver au pouvoir par les urnes et je doute que ce soit vraiment dans son projet. Il s’agit pour elle, quel que soit le résultat des élections, de déborder ses alliés du moment, en lesquels elle voit des « idiots utiles », et de mener une action révolutionnaire. Considère-t-elle que le moment est venu, ou qu’il faut encore faire monter la pression en attendant le moment du « grand soir » ? Je l’ignore.

Gaël Brustier : Au regard des sondages, de la carte des circonscriptions et d’après les premières projections sur les résultats anticipés des législatives, le Rassemblement national aura une majorité relative. Ce n'est pas un souhait mais un constat. La gauche va siphonner beaucoup de circonscriptions, surtout dans les métropoles, au macronisme. Il faut se préparer à une tension extrême car comme les choses sont mal expliquées elles peuvent devenir violentes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !