Proposition Liot d’abrogation de la loi retraites : l’arme qui pourrait se retourner contre syndicats et opposition<!-- --> | Atlantico.fr
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©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Rendez-vous du 8 juin

En organisant la prochaine mobilisation de l’intersyndicale le 6 juin, les syndicats misent gros sur la niche parlementaire qui pourrait permettre de revenir en arrière sur les retraites.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Les députés LIOT ont déposé jeudi 20 avril leur proposition de loi visant à abroger la loi retraites. Beaucoup misent dessus, et le RN ou encore Aurélien Pradié ont annoncé vouloir voter ce texte. Mais ne risque-t-il pas d’y avoir un problème juridique d’irrecevabilité financière (comme le prévoit l’article 40 de la Constitution) ?

Christophe Boutin : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique » (art. 40 de la Constitution). Or-, vous avez raison, le projet des députés LIOT, en revenant sur des mesures promulguées – l’âge de départ à la retraite et d’autres encore –, réformes qui devaient améliorer les comptes de cette branche, diminue sans nul doute des ressources publiques. Il s’agit d’une proposition de députés, elle doit donc être examinée sous cet angle, ce qui est prévu à l’article 89 du Règlement de l’Assemblée nationale. 

« Les propositions de loi présentées par les députés sont transmises au Bureau de l’Assemblée ou à certains de ses membres délégués par lui à cet effet. Lorsqu’il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution, le dépôt en est refusé. » (al.1). C’est aussi le cas pour les amendements présentés en commission, dont l’irrecevabilité est appréciée « par le président de la commission et, en cas de doute, par son bureau » (al. 2), des amendements déposés sur le bureau de l’Assemblée, avec cette fois une appréciation du Président de la Chambre (al.3). Par ailleurs, le Gouvernement ou tout député peuvent « à tout moment » opposer l’irrecevabilité financière « aux propositions de loi et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies » (al.4).

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On mesure la taille de ce barrage, et le Conseil constitutionnel estime qu’il est impossible d’engager la procédure d’examen de dispositions irrecevables. C’est pourquoi les parlementaires qui déposent un tel projet, conscients du problème, ajoutent généralement en fin de texte un article censé prévoir une mesure compensatoire ultérieure qui viendrait fort heureusement combler l’éventuel déficit, un « gage »… 

“La charge pour l'État est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre ler du livre III du code des Impositions sur les biens et services”, prévoit le texte. Est-ce crédible ?

C’est effectivement le « gage » de son article 3. Financièrement crédible, ou politiquement crédible ? Telle est la question. Le gage a-t-il ici comme utilité de permettre d’abroger les dispositions citées à l’article premier de cette proposition de loi, ou n’a-t-il comme utilité que de permettre passer le barrage initial de l’irrecevabilité financière pour qu’il y ait un débat à la chambre sur le texte ? On pencherait volontiers pour la seconde solution plus que pour la première, et cela ressort très nettement de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, centré avant tout sur la nécessité de sortir de la crise née autour de cette réforme par le dialogue, l’abrogation des dispositions nouvelles n’étant en fait qu’un préalable.

« La crise sociale qu’a provoquée l’examen de cette réforme des retraites – lit-on dans l’exposé des motifs - risque de se transformer en une crise politique démocratique durable si aucune leçon n’est tirée rapidement. Cette proposition de loi a pour objectif de sortir de l’impasse dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui, afin d’éviter que celui-ci ne se déchire davantage. Et de retrouver l’apaisement. »

Pour cela, son article 2 met d’ailleurs sur pied les conditions de ce dialogue retrouvé : « 1 - Une conférence de financement du système de retraite est organisée avant le 31 décembre 2023. Y sont notamment représentés l’État, les représentants des organisations syndicales de salariés, les représentants des organisations professionnelles d’employeurs, ainsi que des citoyens et des personnalités qualifiées. 2 - Le gouvernement remet, avant le 31 juillet 2024,1 un rapport au Parlement décrivant les solutions examinées et les nouvelles pistes de financement proposées par la conférence mentionnée au 1. Ce rapport peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. »

Cette esquisse de proposition de financement, n’est-elle pas le signe qu’aucun accord de financement alternatif n’existe ? Et que s’il y a une majorité de rejet, il n’y a pas de majorité de projet pour une réforme alternative ? 

Mais c’est justement l’absence de majorité « pour » la réforme que dénoncent les auteurs de la proposition dans l’exposé des motifs. Pour eux, les multiples éléments de procédure utilisés par le gouvernement pour aboutir à l’adoption du texte « sont la preuve qu’une majorité de députés était en réalité prête à rejeter cette réforme des retraites, pour des raisons de fond comme de forme. Ils sont un aveu de faiblesse du gouvernement qui n’a pas réussi à convaincre – ni les parlementaires, ni les Français – du bien-fondé de sa réforme. »

Pour autant, vous avez raison, la question que se posent les députés auteurs de la proposition est de savoir s’il ne faut pas changer notre système de retraite par répartition, estimant qu’elle ne correspond plus aux nécessités du moment « du fait de l’existence d’un rapport entre actifs et non-actifs de plus en plus déséquilibré ; et aussi, de la part croissante du capital dans la richesse nationale, au détriment du travail ». 

C’est pour cela que le texte propose la mise en place de la conférence évoquée, pour remettre à plat notre système, et on a finalement l’impression à les lire que la réforme actuelle est doublement mauvaise : mauvaise, d’abord, par la méthode utilisée et l’absence de débat, qui heurteraient parlementaires et opinion publique ; mais mauvaise aussi, et peut-être surtout - parce que ce serait un cautère sur une jambe de bois, et qu’il faudrait en fait repenser tout le fonctionnement du système. 

Pas de « majorité de projet » à ce stade, effectivement, mais la proposition de mettre en place un nouveau dialogue pour aboutir à cette majorité.

En organisant la prochaine mobilisation de l’intersyndicale le 6 juin, les syndicats misent beaucoup sur la niche parlementaire qui pourrait permettre de revenir en arrière sur les retraites dont l’examen est prévu le 8. Mais l’arme ne risque-t-elle pas de se retourner contre syndicats et opposition si le texte est évacué au nom de l’article 40 ou sur considérations techniques ?

Non, car même si l’on peut douter que ce texte aboutisse et que cette proposition de loi soit finalement votée, il n’en reste pas moins que les opposants à la réforme des retraites auront ainsi montré qu’ils sont allés jusqu’au bout, qu’ils ont su utiliser absolument tous les instruments que leur offraient les différentes procédures pour tenter contrer la réforme mise en place par Emmanuel Macron. Et il est important pour les parlementaires – des parlementaires ici de toutes origines politiques - de prouver cette constance de leur action, ne serait-ce que pour éviter de se faire voler un peu plus la vedette par les syndicats. 

Il s’agit aussi de montrer qu’il y a une convergence entre deux légitimités, la légitimité parlementaire, d’une part, celle des élus, et, d’autre part, la légitimité des mouvements sociaux, et qu’il n’y a pas une fatalité conduisant à l’opposition entre le peuple et ses dirigeants. Il s’agit en ce sens d’éviter que la colère des seconds n’en vienne à être dirigée contre l’ensemble de la classe politique, et ce alors même que, comme le notent fort justement les auteurs de la proposition, les mobilisations « expriment une colère qui, parfois, dépasse le strict cadre de la réforme des retraites ». 

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