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Projet de loi pour Notre-Dame : cette obsession du temps court qui plombe notre avenir
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Start-up Nation

Emmanuel Macron a fixé à cinq ans la date de reconstruction de Notre-Dame. Une date butoir symptomatique d'un état d'esprit contemporain.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico: Le Projet actuel de rénovation de Notre Dame, s'il est en soi souhaité par tous les Français, n'est-il pas critiquable d'un point de vue symbolique, tout d'abord en ce qu'en se fixant une reconstruction en 5 ans, il souligne l'obsession de notre temps pour la vitesse, loin des siècles de construction et d'Histoire de Notre-Dame ?

Bertrand Vergely : 8h. 10. Sur France Info, interview  de Philippe Stark, le grand designer mondialement connu. Il est question de la reconstruction de Notre-Dame. Le journaliste qui l’interroge  prévient les auditeurs. Attention, ce qu’ils vont entendre est proprement génial. « Il faut » explique en substance  Philippe Stark « que la rénovation de Notre Dame soit l’occasion pour la créativité du génie humain de s’exprimer. Pour cela, je propose la création d’une commission dirigée par Cédric Villani, éminent mathématicien, médaille Fields (l’équivalent du prix Nobel en mathématiques) et regroupant  des chercheurs de tout horizon, artistes, philosophes, scientifiques, sociologues ».

8 h. 30. Dans le bistrot  où je prends habituellement mon café l’un des habitués du matin se tourne vers moi. « Ah. Je viens d’écouter France Info. Vous savez qui est Philippe Stark. Et bien sur la rénovation de Notre Dame, il a été génial. Il faut que cette rénovation soit l’occasion d’un changement, qu’elle serve l’expression du génie humain ». Mon interlocuteur est tellement enthousiaste que je n’ai pas le cœur à le décevoir. Ce qui se passe cependant est proprement effondrant.

Notre-Dame est une cathédrale. C’est un lieu hautement spirituel. Si Notre-Dame n’avait pas été portée par une haute spiritualité, par une foi déplaçant les montagnes, jamais celle-ci n’aurait été construite. Jamais elle n’aurait traversé neuf siècles. La vérité est que Notre Dame vient de Dieu et pas simplement des hommes. Elle vient d’un temps où le génie humain était un prétexte pour le génie de Dieu, où le siècle  était un tremplin pour l’éternité, où le monde était au service du religieux et du sacré.  De cela il n’est pas question le discours officiel étant de voir dans Notre Dame le génie de Dieu comme prétexte pour le génie humain, l’éternité comme tremplin pour le siècle, le religieux et le sacré comme relais au service du monde.

Le 15 Avril dernier, lorsque Notre-Dame a brûlé, pendant quelques heures, dans ce monde qui désacralise tout, la France a connu un élan du cœur proprement sublime.  Soudain, comme la rosée du matin, un peu de sacré a refait surface  au milieu des flammes de l’enfer. Durant quelques heures, on a cru que la postmodernité était sauvée. Les Français sont capables de voir Notre-Dame bruler sans se réjouir ni proclamer sur Twitter comme cette militante de l’UNEF désavouée par sa direction qu’ « elle s’en balek ». Que nous sommes naïfs ! C’était sans compter ce que la psychanalyse appelle « l’après coup ».

On peut se moquer de Notre-Dame qui brûle en se réjouissant de la voir brûler. On peut se moquer de Notre-Dame qui brûle en s’intéressant à sa reconstruction. N’est-ce pas ce qui est en train de se passer ?

Les décombres sont encore fumants que tout de suite des débats, des polémiques  éclatent. Reconstruire, soit. Mais comment ? Rebâtir Notre-Dame à l’identique ? Ah, non ! Il faut faire du neuf ! On est moderne ou on ne l’est pas ? Notre-Dame, édifice religieux, sacré, spirituel, expression de la grâce divine ? Ah non ! Notre-Dame, ce sont les hommes qui l’ont bâtie. Dieu, ça n’a rien à voir. C’est le génie humain qui a bâti Notre-Dame. C’est la créativité humaine. S’il n’y avait pas eu Dieu, ça se serait fait de toute façon !

François Pinault donne 100 millions d’euros. Ext-ce qu’il les a défiscalisés ? Bernard Arnault donne 200 millions d’euros, Liliane Betancourt 250 millions. Pourquoi on ne donne-t-on pas cet argent au peuple ? Et, pour clore le débat, la question du temps. La reconstruction de Notre-Dame, combien de temps ? Trente ans ? Vous n’y êtes pas, dit le politique. Cinq ans. Avec des compagnons et des matériaux nobles ? Pas sûr. Et les nouvelles technologies qu’st-ce qu’on en fait ?

Le 15 Avril 2019, Notre-Dame a brûlé. Depuis le 16 Avril il y a quelque chose d’aussi précieux qui brûlé en même temps que cette cathédrale : la décence, la pudeur, l’humilité, la dignité de l’’être humains. Le 15 Avril, durant quelques  heures, nous avons cru en l’homme. Le 16 Avril, la réalité nous a rappelé que les rapaces ne brûlent jamais et que leur avidité pour piller en se disputant la dépouille des morts franchit sans égratignures tous les incendies.

Il n’aurait pourtant pas été difficile d’avoir de la décence, de la pudeur et de l’humilité. Il aurait sufi de dire : « Nous pensons que, par son talent, sa richesse, ses compétences,  notre modernité peut apporter beaucoup pour la rénovation de Notre-Dame et, pourquoi pas, pour faire régner sur cet édifice un souffle nouveau. Mais, bien évidemment nous ne ferons rien sans l’accord de l’Église catholique ». Philippe Stark propose de créer un collège de savants, d’intellectuels, de sociologues et de philosophes pour la rénovation de Notre-Dame, ce collège étant confié à un mathématicien. On reste stupéfait. Dans ce collège, pas un prêtre, pas un croyant. Notre-Dame sera rénovée, mais les prêtres et les croyants vous êtes priés de rester en dehors de cette rénovation, celle-ci étant trop importante pour que vous y participiez ! Cela s’appelle une gifle.

Dans ce contexte, s’agissant du temps de la reconstruction, le chiffre de cinq ans a été lancé. Que cette reconstruction ne traîne pas est en soi un projet louable. Que très vite les catholiques puissent retrouver leur cathédrale, est également louable. Que les millions de touristes qui se pressent chaque année pour la visiter ne soient pas tenus à l’écart durant des décennies est également hautement souhaitable.  Mais, pourquoi avoir chiffré le temps ? Quelle mauvaise idée ! Résultat : tout le monde sort son chronomètre. La reconstruction n’est plus une reconstruction mais une course. Quand Notre-Dame a été construite, les bâtisseurs ont pris tout leur temps. Cela n’a pas duré cinq ans. Cela a duré un siècle. Le temps importait peu. Dieu était ce qui comptait. Notre-Dame a été construite parce que cela a été une aventure de l’âme. Aujourd’hui, sa reconstruction est un challenge.  

On va reconstruire Notre-Dame, mais on ne va pas reconstruire nos âmes qui vont avec. Résultat : Notre-Dame sera reconstruite mais nos âmes vont continuer d’être en ruines. Si l’on avait été intelligent, si nos gouvernants avaient été intelligents, ils auraient dû dire : «  Nous allons reconstruire Notre-Dame mais nous allons en profiter pour nous reconstruire spirituellement à cette occasion. Nous allons dont pour cela prier, méditer, chanter, rendre grâce, louer la vie, rentrer en nous-mêmes, écouter ce qui vient du plus profond de la présence  infinie qui vit en nous ». La reconstruction de Notre-Dame aurait pu alors devenir le point de départ de la construction d’une postmodernité la plus géniale qui soit. Mais, veut-on que la postmodernité soit géniale ?

Non. Notre monde préfère la guerre. Notre-Dame brûle ? La question n’est pas de devenir plus spirituel à cette occasion mais de rallumer la guerre du nouveau contre l’ancien en proclamant haut et fort que l’on reconstruire Notre-Dame à condition que cela se fasse de façon nouvelle, moderne et vite.

En liant sa reconstruction aux Jeux Olympiques de 2024, le gouvernement ne montre-t-il pas la faiblesse spirituelle d'une telle entreprise ?

Cinq ans. Cela veut dire : 2019 + 5 ans =  2024. Paris. Les Jeux Olympiques. Pour les jeux, tout doit être fin prêt. Notre-Dame réparée va être le symbole de ce défi à relever. Il y avait la religion qui fabriquait des saints. Puis il y a eu le sport qui a fabriqué des champions.  Il y avait le salut religieux. Il y avait la performance sportive. Désormais, il y a la technique qui tient lieu de salut et de performance avec les techniciens et les programmeurs qui font office de saints et de champions. Pauvreté spirituelle ? Pire que ça. Écrasement spirituel. Destruction spirituelle.

Bien sûr, si Notre-Dame est reconstruite dans cinq ans et si les millions de touristes qui vont venir à Paris à l’occasion des Jeux Olympiques  peuvent la visiter, on criera bravo et on aura raison. Mais en même temps, quel échec spirituel. Que verra-t-on dans Notre-Dame ?  Un lieu spirituel ?

Non. On verra notre ego et notre orgueil. Nous nous admirerons nous-mêmes à travers la reconstruction rapide de ce lieu. Et nous nous féliciterons que l’argent du tourisme puisse à nouveau garnir nos caisses. Qu’aimerons-nous dans Notre-Dame reconstruite ? Notre Dame ? Non. Notre orgueil et l’argent. Si bien que cette reconstruction sera un effondrement.

En fait, la reconstruction de Notre-Dame va devenir un sport afin de servir cette cathédrale que vont être les Jeux. Et l’on aura réussi, par cette confusion, ce qui est le but numéro un de notre monde : ne surtout pas parler de Dieu. Qu’il ne soit faut aucune mention de celui-ci ni du religieux. Surtout que Dieu et la religion soient tués et qu’ils soient morts et bien morts.

Lors de la Révolution française, lorsque Robespierre a établi le culte de l’Être Suprême, le message qu’il a délivré en substance a consisté à dire : « La religion, nous allons la faire et elle ne sera plus la religion de Dieu et de la religion mais la religion de l’Homme et de la raison ». Aujourd’hui, la reconstruction de Notre-Dame va permettre à l’Évangile postmoderne de délivrer comme message : « Le reconstruction de la cathédrale, c’est nous qui allons la faire et celle-ci sera le symbole du génie humain et en aucun cas de l’inspiration divine ».

En donnant un cadre exceptionnel à cette reconstruction, le gouvernement ne prend-il pas aussi le risque de reconstruire sans prendre le temps de la réflexion, et donc donner un mauvais exemple pour les autres monuments du patrimoine nombreux aujourd'hui à être en péril ?

Quel est le problème de fond posé par la reconstruction de Notre-Dame ? C’est celui de la place de Dieu et de la religion dans notre monde.

Quand Notre-Dame a brûlé, soudain, sidérée par ce qui se passait, la France, pays laïc et républicain,  mais surtout pays très fortement athée et quasiment totalement déchristianisé, s’est aperçue qu’au fond elle y tenait à cette cathédrale. Problème cependant : quand une cathédrale comme Notre-Dame brûle,  comment faire pour expliquer que ce n’est pas à la religion et à Dieu que l’on tient mais au bâtiment qui, dans Paris, a une certaine allure et une certaine efficacité touristique ? Un seul moyen : ramener le spirituel et le religieux au passé et le passé à une réinvention postmoderne du passé. De ce fait, que traduit ce qui se passe aujourd’hui à propos de Notre-Dame ?  Le fait de vouloir penser le patrimoine sans intégrer dans cette notion le spirituel, le religieux et le transcendant, en ramenant le patrimoine au passé.

La science fait partie du patrimoine spirituel de la modernité. Quelle tête ferait-on si demain, on voulait penser la modernité sans la science ? On serait sidéré. On veut penser le patrimoine de la France. On omet d’intégrer le religieux en le  ravalant à l’héritage du passé. Personne ne s’en émeut. Au contraire. On trouve cela génial. C’est sidérant.

Il serait pourtant facile de mettre tout le monde d’accord. La réalité qui est la nôtre se compose de trois éléments : la matérialité, les hommes et le transcendant. Être intelligemment religieux consiste à certes avoir un sens du transcendant en y croyant mais aussi à respecter les aspects matériels et humains de l’existence. Être intelligemment non religieux consiste à avoir le sens de la matérialité comme des aspects humains de l’existence tout en admettant l’’existence du transcendant, admettre ne voulant pas dire que l’on y croit. Quand on acceptera de respecter tous les aspects de l’existence humaine en étant discret et humble, on vivra une modernité apaisée.

Il va falloir changer notre culture C’est le message de ce qui se passe actuellement après l’incendie de Notre-Dame. En voulant faire de Notre Dame, l’expression du simple génie humain ainsi que de la créativité humaine, en ne voyant en elle qu’un héritage du passé et un site touristique à retaper d’urgence pour 2024, on n’en prend pas le chemin. Signe que nous avons bien des choses à comprendre et à appendre. L’humanité du respect et de l’intelligence, de la discrétion et de la pudeur reste à inventer.

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