Projet de loi de Finances : la traditionnelle valse des niches fiscales et sociales <!-- --> | Atlantico.fr
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Les niches sociales permettent, officiellement, de soutenir les politiques d'embauche.
Les niches sociales permettent, officiellement, de soutenir les politiques d'embauche.
©Reuters

La nouvelle nuit du 4 août n'aura pas lieu

Remis fin août, le rapport de l'Inspection générale des finances examine les plus coûteuses et les moins justifiées des 92 niches sociales recensées en France, et propose un plafonnement de ces niches pour économiser 3 milliards d'euros. Mais le gouvernement n'est pas encore décidé à agir.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : En s'attaquant au dossier des niches sociales, le gouvernement affiche une volonté de traquer les privilèges là où ils seraient, pour les abattre et faire des économies. Mais, même si des rapports sont commandés, l'exécutif tarde à annoncer des mesures concrètes, préférant rester dans l'annonce plutôt que dans la décision : pourquoi est ce si difficile de s'attaquer réellement aux niches sociales?

Eric VerhaegheC'est la notion même de niche qui est trompeuse et difficile à expliquer, parce qu'elle constitue un effet pervers de la fiscalité décadente sous laquelle nous vivons. Rappelons-le, intellectuellement et historiquement, l'impôt doit servir à financer les dépenses publiques. La technostructure lui a assigné deux autres fonctions : redistribuer les richesses et inciter les contribuables à un certain nombre d'actions. C'est ce qu'on appelle la fiscalité incitative. Pour inciter, on crée des niches. La niche constitue donc une exonération fiscale, une sorte de privilège pour ceux qui vont choisir de se comporter de telle façon plutôt que de telle autre. Par exemple, un employeur qui crée un plan d'épargne salariale pour ses salariés bénéficie d'une niche sur les versements qu'il pratique : au lieu d'être assujetti aux cotisations sociales, il doit juste acquitter un forfait social (qui est tout de même de 20%). Cette niche vise à développer l'épargne salariale. C'est en quelque sorte un prêté pour un rendu.

Si vous remettez en cause ce système (devenu, tout le monde en est d'accord, totalement illisible et incompréhensible), vous déstabilisez les "externalités positives" créées par votre niche. Dans le cas de l'épargne salariale, vous annoncez par exemple la mort du dispositif ou son assèchement progressif. Cela pose quand même quelques problèmes majeurs. En premier lieu pour les salariés, qui vont voir ce substitut à la rémunération diminuer dans d'importantes proportions. Dans le cas de l'épargne salariale, le sujet est important, mais porte somme toute sur des montants modestes. D'autres niches existent qui pèsent beaucoup plus. Ce sont notamment les niches sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC, qui coûtent, bon an mal an, 30 milliards aux contribuables.

Les niches sociales permettent, officiellement, de soutenir les politiques d'embauche et dans une certaine mesure, le pouvoir d'achat, mais les rapports prouvent une inefficacité de ces allégements. Comment expliquer le maintien de ces niches, à l'heure de la traque d'une autre forme de privilège, les niches fiscales ?

Eric Verhaeghe : Il serait intéressant de pouvoir lire le rapport de façon ouverte et donc, il faudrait que le ministère des finances le publie pour qu'il soit mis au débat. De ce que je comprends, le rapport vise notamment les niches sociales portant sur les retraites supplémentaires et la prévoyance. Dans ce cas de figure, il est un peu difficile de parler de privilèges. Le cas des retraites supplémentaires s'explique en effet de façon simple : les cadres bénéficient d'un taux de remplacement moindre que les non-cadres quand ils partent à la retraite. Il est donc assez normal qu'ils prennent en charge leur propre destin en versant de l'argent sur un compte pour préparer leurs vieux jours. L'argent qu'ils versent a déjà été soumis à l'impôt : c'est une épargne dégagée après le passage de l'impôt sur le revenu. Expliquer que cet argent-là doit être imposé une deuxième fois lorsqu'il est "libéré", c'est-à-dire sorti du compte en banque lorsque l'âge de la retraite arrive, me paraît devoir être discuté sérieusement. Pourquoi certains payent-ils l'impôt une seule fois et d'autres deux fois? Cet exemple montre qu'une fois que votre système fiscal ne sert plus seulement à financer les dépenses publiques, mais qu'il poursuit plusieurs objectifs en même temps, les solutions deviennent de plus en plus complexes à trouver.

Qui paie le prix de ce jeu qui consiste à détruire d'un côté pour reconstruire presqu'à l'identique de l'autre ?

Eric Verhaeghe : L'instabilité fiscale a un effet dramatique sur l'ensemble du pays, parce qu'elle est un puissant facteur d'incertitudes et qu'elle est chronophage. Tous ceux (particuliers comme entreprises) qui rentrent dans ce système de niches s'arrachent chaque année les cheveux pour comprendre ce qui leur arrive au 1er janvier. Lorsqu'il s'agit d'un particulier, au fond, c'est moins grave parce qu'il va passer trois ou quatre heures sur sa déclaration d'impôt au lieu d'une heure. C'est ennuyeux, mais il n'y a pas mort d'homme. Quand il s'agit des entreprises, la situation est beaucoup plus gênante car l'instabilité socio-fiscale atteint la productivité des chefs d'entreprise. Ceux-ci sont accablés par des tâches de gestion dont une grande partie est due à ces changements annuels de réglementation dans lesquelles plus personne ne se retrouve. C'est aussi pour cette raison que la France a perdu 2 millions d'entrepreneurs en 50 ans. Les règles sont tellement incompréhensibles et les pénalités tellement lourdes qu'il est franchement plus simple de rester salarié et d'attendre son salaire plutôt que d'entreprendre et de coller au monde instable de la réglementation sociale et fiscale. Je dirais donc assez volontiers que ceux qui paient, ce sont les Français. L'instabilité réglementaire fait perdre de la croissance et de l'initiative à la collectivité.

Si on ne touche pas aux niches sociales, comment peut-on annoncer une hausse des financements de l'Etat sans toucher aux impôts directs, promesse de François Hollande pour 2016 ?

Toucher les niches sociales et fiscales, c'est une façon discrète d'augmenter les impôts. Si le gouvernement ne s'engage pas sur ce chemin, il devra trouver d'autres arbitrages impopulaires. Le fait que, début septembre, on en soit encore là (alors que le contenu du PLF, le Projet de Loi de Finances 2016, devrait déjà être bouclé) souligne bien le désarroi de la machine administrative face au casse-tête que constitue d'un côté la baisse des dépenses publiques et de l'autre la baisse de la pression fiscale dans un univers dégradé. Selon toute vraisemblance, on va rentrer dans le vif des sujets : le produit des impôts diminue plus vite que les dépenses publiques... Il va bien falloir trancher.

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