Projet de loi de finances 2016 : retour sur la succession d’improbables paris économiques des budgets de l’ère Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
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Retour sur la succession d’improbables paris économiques des budgets de l’ère Hollande.
Retour sur la succession d’improbables paris économiques des budgets de l’ère Hollande.
©Reuters

Jouer avec la réalité

Ce mercredi 30 septembre, le PLF (Projet de loi de finances) 2016 sera présenté au Conseil des ministres. Avant même de le connaître, les agences de notation dégradaient déjà la note de la France, témoignant d'un manque de confiance en nos autorités. Et à raison !

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : La croissance est la pierre angulaire du budget français. Dans quelle mesure depuis 2012 a-t-elle était bien appréhendée dans le cadre des projets de loi de finance ?

Jean-Yves Archer : L'agence Moody's vient d'abaisser la note de la France de Aa1 à Aa2 du fait du " frein pour tout retournement conséquent du fardeau important de la dette de la France dans un avenir prévisible ". Ainsi donc, des analystes reconnus prennent désormais leur décision avant même que ne soit connu le détail exhaustif du PLF 2016 ( Projet de Loi de Finances ). C'est un indicateur non négligeable de la perte de crédibilité de nos finances publiques, du discrédit de la parole politique et de la portée amoindrie du futur débat parlementaire.

La crédibilité des Autorités françaises est largement entamée :

Il faut dire que " chat échaudé craint l'eau froide " si on se réfère aux prévisions de croissance retenues par les lois de finances et la vérité qui survient en fait. Ainsi, souvenons-nous du déni de réalité du duo Ayrault – Moscovici qui a été contraint de réviser la trajectoire des finances publiques au moyen de lois de finances rectificative.

Personne n'est dupe des formules et circonvolutions du Haut Conseil des Finances publiques qui énonçait dans son avis du 2013-03 d'il y a deux ans : " Le Haut Conseil considère que les prévisions de croissance sont plausibles. Toutefois, le scénario macroéconomique présente des éléments de fragilité". On connait la suite.

Un contexte macroéconomique à réviser profondément :

Cette année, nous sommes dans la même configuration intellectuelle imparfaite voire malsaine. Il suffit de regarder attentivement l'irruption de tensions déflationnistes en Chine et à nouveau au Japon. Il suffit de voir les tensions sur les dettes souveraines de certains grands pays émergents et le repli du commerce mondial pour assimiler une donnée : non, la notre croissance ne sera pas – hélas – de 1,6% en 2016. C'est un leurre destiné à perdurer pour boucler le contexte dit macroéconomique du budget. Compte-tenu du décrochage de la France par rapport à la moyenne de la zone euro, il convient de tabler sur 1% dans le meilleur des cas. En l'état actuel des données avérées.

Eric Verhaeghe : Il faut relire avec intérêt la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, qui a fixé les grandes hypothèses d'évolution pour le quinquennat. Cette loi vaut vraiment son pesant de cacahuètes. Elle prévoyait pour 2013 une croissance de 0,8 point, puis une croissance de 2 points chaque année. Finalement, en euros constants, elle n'aura jamais atteint 1 point. Pour 2013, elle fut de 0,7 point, ce qui est inférieur à la prévision, et elle a glorieusement atteint 0,2 point. Si elle atteint 1 point cette année, on aura énormément de chance. Le gouvernement n'est pas seul fautif dans cette affaire. Même la Cour des Comptes a affiché en son temps des prévisions trop optimistes. Autrement dit, quels que soient les intentions plus ou moins cachées du gouvernement, la détermination juste de la croissance est un exercice complexe et par nature incertain. Ce qu'on peut reprocher au gouvernement, c'est d'avoir cru trop vite et trop naïvement que la croissance allait revenir mécaniquement, quelle que soit son action. C'est l'époque où Karine Berger pensait obtenir le ministère du Budget en persuadant Moscovici et Hollande de cette idée totalement fausse que l'économie était gouvernée par des cycles aveugles et qu'il ne fallait pas s'en faire. Trois ans plus tard, Hollande peut se mordre les doigts de cette stratégie d'apprenti sorcier.  

Depuis 2012, quelles sont les hypothèses pertinentes et celles qui se sont révélées inexactes concernant les prévisions de recettes et de dépenses ?

Jean-Yves Archer : Le coup de massue fiscal, débuté en 2011 et considérablement alourdi en 2012 et 2013 a eu un effet pro-cyclique : du haut de ces 70 milliards cumulés, il a directement aggravé l'érosion de la croissance et a induit une crise de confiance dont le pays n'est pas sortie. 

Les hypothèses de recettes fiscales ont, à plusieurs reprises, été erronées du fait de la quasi-récession et de la faiblesse de l'inflation qui nuit aux rentrées fiscales.

Pour 2016, le Gouvernement avance, entre autres, deux hypothèses irréalistes : la croissance de la consommation des ménages ( 1,4% ) et la reprise de l'investissement privé. ( 4,9%  contre 2,4% en 2015 estimé ).

Le décalage de trois mois quant à la montée en puissance du Pacte de responsabilité a réintroduit le doute sur la lisibilité gouvernementale et ne laisse pas augurer une année aussi simple que le ministre Sapin ne l'a décrite lors d'un point de presse du 16 Septembre dernier. L'art de la communication ne saurait primer sur la quête de sincérité ou de lucidité budgétaire que l'on retrouve davantage dans les propos de Christian Eckert.

Eric Verhaeghe : Là encore, la lecture de la loi du 31 décembre 2012 réserve quelques belles surprises. A cette époque, le gouvernement soutenait que la dette publique serait revenue à 88,5% du PIB en 2015. Résultat: elle frôle les 100%. C'était l'époque où la nouvelle majorité donnait de grandes leçons sur le "redressement dans la justice". Dans la pratique, ces discours de matamores sont parvenus à creuser le déficit de 15 points en 3 ans, sans qu'une crise financière aiguë ne l'explique. C'est un très joli résultat, qui n'était pas donné à tout le monde, et qui justifie pleinement que le ministre des Finances de l'époque, Pierre Moscovici, ait reçu du galon. Mais le raté le plus inquiétant porte sur les espérances de recettes fiscales. La forte augmentation des impôts a démontré le bien-fondé de la courbe de Laffer. Plus les taux augmentent, plus le rendement diminue par un effet naturel d'éviction. A l'époque, on pariait sur un surplus annuel de 15 milliards de recettes. Or si, la première année, une hausse de 15 milliards s'est bien produite, le budget de l'Etat a commencé dès 2014 une descente infernale, avec une baisse de recettes de près de 10 milliards. La mise en place du pacte de responsabilité ne devrait pas améliorer la situation. 

Des annonces de grandes mesures ont rythmées ce quinquennat, comme la baisse des impôts, la création de postes de fonctionnaires ou le pacte de responsabilité. Quelles étaient les projets adaptés ou non à la situation françaises ?

Jean-Yves Archer : Une baisse des impôts marginale et électoraliste :

Après la bourde Ayrault qui avait surchargée jusqu'à la fiscalité des plus modestes, le Président Hollande tente de reconquérir un électorat dit populaire par des baisses d'impôts sur le revenu. Mais au-delà du geste politique, tout ceci n'est que poussière au plan économique. 2 milliards de baisse d'IR telle que configurée représentent moins de 300 euros par an et par foyer fiscal, soit moins d'un euro par jour...

Eric Verhaeghe : La création de postes de fonctionnaires a évidemment constitué une aberration dans un contexte où la France ne tenait pas ses engagements européens. Si ces créations avaient reposé sur un projet réfléchi, porteur de croissance, on aurait pu les pardonner. Mais l'expérience montre que les 60.000 enseignants de plus, dont il était évident que le marché du travail aurait toutes les peines du monde à y pourvoir, satisfaisaient l'électorat du PS mais ne correspondaient à aucune stratégie définie. Au lieu de poursuivre la politique de Nicolas Sarkozy de baisse du volume salarial public, la gauche a préservé un niveau de dépenses élevées pour une performance faible et, de ce point de vue, elle a lourdement ralenti les gains de productivité dans les administrations. Dans le même temps, l'annonce du pacte de responsabilité a semé le trouble parce que personne n'a véritablement compris comment les calculs macro étaient faits. Le pacte était-il une baisse de dépenses réelles ou bien une modération des hausses futures? Le gouvernement ne l'a jamais clairement expliqué, et quand l'impôt est compliqué, il est moins productif. 

Que peut-on attendre de ce projet de loi de finance 2016 présenté mercredi ?

Jean-Yves Archer : Le PLF 2016 est construit à partir d'hypothèses macroéconomiques qui ne sont pas recevables à la lumière de nos fondamentaux nationaux et du contexte mondial. Bercy sait parfaitement élaborer un budget crédible. Mais les injonctions politiques et les incertitudes changent bien des facteurs. 

Préoccupé de cocher les cases des catégories socioprofessionnelles à reconquérir, le Président a changé de cap économique donc budgétaire.

La gauche de sa gauche voulait une relance par la consommation populaire telle qu'envisagée par le rapport de Jean-Marc Germain : c'est fait au moyen d'une baisse d'impôts de 2 milliards à valeur cosmétique. 

La gauche en général s'inquiète des " cadeaux " au patronat ( la politique de l'offre ) : alors, le pouvoir oubliant l'apport de la théorie des anticipations rationnelles décide d'un décalage de 3 mois dans l'application d'une partie du Pacte de responsabilité. 

La pression fiscale demeure élevée et les perspectives édictées par le Gouvernement sont systématiquement démenties. " La reprise ? mais elle est là ! " a été un propos hasardeux tandis que les hypothèses écrites dans le PLF 2015 pour l'année 2016 semblent sujettes à caution. Non, la dette publique n'a pas atteint son pic. Non, les 3,3% de déficit public en 2016 ne sont pas plongés dans un bain de sincérité si on consolide certains engagements hors-bilan dont le maniement est désormais un art chez le ministre Sapin. (http://lecercle.lesechos.fr/node/134117/ )

Selon mon analyse, ce PLF 2016 sera accompagné avant l'été d'un collectif budgétaire destiné à recadrer l'exercice initial !

Le Sénat a examiné le jeudi 9 juillet le DOFP ( Débat d'orientation des Finances publiques ) pour 2016.

Le Gouvernement a alors confirmé, dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018 les hypothèses macroéconomiques ( croissance, rentrées fiscales, déficit, dette, etc ) définies pour 2015-2017.

Ne pas intégrer la bascule mondiale qui est en train de s'opérer sous nos yeux est un contresens et relève de la tactique. Plus que de la rigueur intellectuelle.

Trop de paramètres convergent pour estimer, avec une assurance raisonnable, que la trajectoire des finances publiques ne sera pas tenue ou au prix d'économies de constatation pour reprendre un terme fréquent du rapport du sénateur Albéric de Montgolfier ( rapporteur général du Budget ).

Ainsi, selon son analyse, il est clair " que la stratégie de réduction de la dépense publique choisie par le Gouvernement répond plus à une logique de coup par coup qu'à une recherche de mesures permettant d'abaisser durablement le rythme d'évolution de la dépense. " ( page 16 : http://www.senat.fr/rap/r14-601/r14-6011.pdf )

Trois ans après son accession au pouvoir, la majorité reste prisonnière d'un défaut lancinant depuis 20 ans : les coups de rabot plutôt que la redéfinition stratégique du format même de l'Etat comme l'ont fait les Suédois ou les Canadiens.

Elle reste aussi adepte de tactique comme celle visant à modifier les hypothèses de PIB potentiel ce qui " pose un problème de principe " au HCFP ( avis du 13 Avril 2015 ). Dans une cour d'école, on parle alors de triche...

Les recrutements de fonctionnaires :

On ne peut passer sous silence la relance des recrutements dans la Fonction publique qui ira au-delà des seuls et légitimes besoins issus des armées et de la police en vue du renforcement de la sécurité intérieure.

Ainsi, près de 8300 créations nettes de postes ETP ( équivalent temps plein ) sont programmées en 2016 : ce chiffre étant un solde entre les créations dans les ministères dits prioritaires ( + 12232 ) et les suppressions dans les autres ministères ( - 3939 ).

A ce sujet, il est significatif de relever que le ministère des Finances verra ses effectifs diminuer de 2548 agents là où le ministère de l'Economie n'effectuera un effort qu'à hauteur de 20 personnes ce qui laisse nécessairement songeur.

A Bercy, il y aurait donc deux longueurs de foulée lorsqu'il s'agit de gestion des effectifs. Certains persifleurs diront que Macron et gestion sont deux mots disjoints.

La défausse sur les collectivités locales :

En 2015, le Gouvernement a cru habile de se défausser sur les collectivités locales et a sous-estimé la sensibilité citoyenne à la hausse des impôts locaux. Tout comme une certaine Madame Thatcher ( poll tax ) ou un certain Vincent Peillon ( rythmes scolaires ).

Il a installé la gronde dans les crânes des mères de famille, des maires, des entrepreneurs et des assujettis résiduels à l'impôt sur le revenu qui ont le sentiment de ramer pour beaucoup de monde. Les chiffres de l'économie souterraine évalués par des Think tank sont révélateurs de stratégies de contournement de la crise. Où est la réponse tramée de l'Etat ?

Pragmatique, Manuel Valls a annoncé 1 milliard d'aides aux communes en difficulté ce qui revient à détricoter une partie de la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Que doit-on en déduire sur les 50 milliards de baisses des dépenses publiques sur 3 ans ?  Chimère d'estrade ou objectif tangible et documenté ? Pour mémoire, la France s'est engagée face à Bruxelles à réaliser 23 milliards d'euros de réduction de dépenses publiques dans le PLF 2016...

Un déficit générateur de dette :

Le PLF 2016 va probablement présenter un déficit de plus de 70 milliards que l'honorable Christian Eckert fera de son mieux pour justifier. Lui travaille tandis que son ministre de tutelle rêverait – dit-on - de se voir nommer au Conseil constitutionnel.

Face à de telles élucubrations de carrière, comment voulez-vous que le pays suive avec intérêt les futures heures de tauromachie parlementaire alors que toute cette corrida ne le rassure pas pour l'avenir de ses enfants voire pour l'immédiat de son pouvoir d'achat ?

A titre d'épilogue

Le Secrétaire d'Etat Christian Eckert, connaisseur de notre économie et de notre champ social, a toujours regardé avec prudence les contours de la politique de l'offre et le trop fameux CICE. L'exégèse comparée de ces propos ministériels et de ceux qu'il tenait lorsqu'il était préalablement Rapporteur général du Budget le démontre sans détours.

Nous aurions pu espérer que le PS et la Gauche française parviennent à vivre l'équivalent du Bad Godesberg allemand de 1959. Avec cette célèbre phrase du SPD uni : " le marché autant que possible, l'intervention publique autant que nécessaire ".

Du fait des oukases présidentiels, force est de constater l'inertie structurelle qui atteint le champ des dépenses publiques, que la Cour des comptes ne cesse de stigmatiser de plus en plus vertement.

Face au miroir de l'Histoire, le Président et ses équipes se disent avoir été surpris par la situation " trouvée " en 2012. C'est curieux qu'ils oublient collectivement de nous rappeler qu'un certain Jérôme Cahuzac – alors Président de la Commission des Finances de l'Assemblée – avait toutes les données..... Le " nous ne savions pas " ne tient pas la route, loin de là.

Eric Verhaeghe : On saisit mal la stratégie de l'Etat. On a l'impression qu'il procède par rustine pour soigner une jambe de bois. Prenons l'exemple de l'impôt sur le revenu. Le gouvernement en baisse sans cesse le produit et s'organiser pour que moins de la moitié des ménages y soit soumis. L'idée est populiste, mais elle peut se tenir. Simplement, comment tout cela est-il financé? Par un bout de réduction passée du quotient familial, c'est-à-dire par les classes moyennes et par des tas de petites mesures de toutes sortes qui paupérisent chaque fois un peu plus les classes moyennes. Tout cela désincite les Français à travailler car le coût marginal de la réussite sociale est toujours plus important. Le bon sens que l'on peut attendre du PLF est de sacrifier au choc de simplification et de limiter l'instabilité fiscale. Mais on peut avoir quelques doutes sur l'atteinte de cet objectif.

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