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Programmes scolaires  : l'enseignement de la préhistoire, ce prétexte pour diffuser un "charabia multiculturaliste" parfaitement anachronique
©DR

Bonnes feuilles

Toute une génération ne cesse de répéter « J’ai le droit », exprimant de manière péremptoire un « droit de s’élever contre » : l’école, l’autorité parentale, les règles communes et même la loi en général. Plus que jamais cette revendication symbolise un individualisme irresponsable et témoigne d’une faillite collective accablant. Extrait de "Génération 'J’ai le droit'" de Barbara Lefebvre, aux éditions Albin Michel (2/2).

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste. Auteur de C’est ça la France (Albin Michel). Elle a publié en 2018 Génération « j’ai le droit » (Albin Michel), était co-auteur en 2002 de l’ouvrage Les territoires perdus de la République (Pluriel)

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Les programmes de 2015 ont aggravé la tendance aux raccourcis. En CM1, l’enseignant doit utiliser ses quelques heures annuelles pour faire explorer aux élèves l’histoire de France de la préhistoire à l’Empire ! Grotesque. Au collège, le zapping est de rigueur. Un exemple : les causes de la Première Guerre mondiale s’effacent progressivement. En 2008, elles sont présentées à l’aide de cartes, avec les programmes de 2015 on ne les explique plus du tout. Après L’Histoire pour les nuls, à quand L’Histoire simplissime ? Presque tous les collègues expérimentés ne respectent pas de telles instructions officielles de caviardage et prennent au moins une heure pour expliquer les causes de la guerre de 1914. Mais il n’en va pas de même des nouveaux titulaires plus obéissants ou des vacataires, ces emplois précaires sans formation toujours plus nombreux à mesure que le métier n’attire plus la fine fleur des étudiants.

À chaque niveau de classe, on observe que des sujets ont été amputés d’éléments explicatifs ou de développements importants pour la suite du programme d’histoire. Ainsi, la décision de remettre la préhistoire au programme de 6e a obligé à faire des coupes dans d’autres chapitres. La préhistoire avait disparu au milieu des années 1990 , la raison de sa réapparition s’éclaire par son intitulé : « La longue histoire de l’humanité et des migrations ». Simplifions l’objectif : l’élève doit retenir d’une part que les races n’existent pas puisque nous descendons tous de l’Africain Homo sapiens, d’autre part que « le phénomène de migration dans cette longue histoire est décisif pour le peuplement de la planète à partir de l’Afrique comme dans la diffusion de l’agriculture et de l’élevage au Néolithique à partir du Proche-Orient1 ». Ces assertions sont justes, mais la question est celle de leur interprétation par des élèves de 6e ayant encore beaucoup de mal à se repérer dans le temps. À 10-11 ans, la plupart des enfants ont des représentations du temps historique inabouties. La psychologie du développement l’a montré : les constructions temporelles à l’âge scolaire sont complexes. Ainsi, le temps historique nécessite de maîtriser les règles du temps conventionnel (ordre, récurrence, durée, etc.), ce qui est loin d’être acquis chez beaucoup de nos élèves . Pour beaucoup de ces élèves, je vérifie chaque année qu’entre les dinosaures, la préhistoire et François Ier, cela se compte en centaines d’années tout au plus.

Le travail sur la chronologie est donc essentiel pour que les élèves acquièrent une meilleure perception du temps historique pour être en mesure de comparer le présent et le passé lointain. Si à ces difficultés de représentations temporelles, s’ajoute l’acculturation qui s’accompagne de toutes les généralisations simplistes, on transforme la préhistoire en prétexte pour diffuser un charabia multiculturaliste et antiraciste aussi benêt qu’anachronique. Bientôt, on apprendra aux élèves qu’entre le « peintre » de la grotte Chauvet et le génie de Léonard de Vinci ou Dürer il n’y a aucune différence. Des migrations hors d’Afrique d’Homo sapiens il y a moins de 100 000 ans aux migrations actuelles, le pas est vite franchi pour des esprits enfantins. Et aussi ridicule que cela paraisse aux adultes, j’ai observé qu’un grand nombre d’entre eux établissent ce lien. Il est assez naturel qu’un enfant de 10-11 ans cherche à comprendre un temps aussi lointain en le rapprochant de son temps à lui, ici et maintenant. Ces anachronismes sont à déconstruire par la transmission de savoirs à l’école, au lieu de quoi on les encourage par la répétition constante tout au long des programmes du déchiffrage historique sous l’angle des flux migratoires et des échanges (bienfaiteurs) qu’ils induiraient.

Dans les nouveaux programmes, la préhistoire sert à diffuser des messages idéologiques qui n’ont aucun rapport avec l’archéologie et les savoirs passionnants qui lui sont liés. Pour preuve, on trouve sur le portail national officiel de ressources pédagogiques Éduscol consacré à l’histoire-géographie, la mise en ligne de trois contributions de chercheurs lors d’un colloque intitulé « Archéologie des migrations » datant de novembre 2015. La première porte sur les migrations au temps préhistorique, donc en lien direct avec le programme de 6e , la deuxième intitulée « Présence arabo-musulmane en Languedoc et en Provence au Moyen Âge » et la troisième « S’affranchir ou s’enraciner : le droit de la migration depuis les colonies françaises vers la métropole à l’époque de l’esclavage ». Cela en dit long sur l’idéologie prévalant au thème des migrations qui parcourt les programmes scolaires. Le politiquement correct et sa lecture multiculturaliste de l’histoire nationale sont plus que jamais présents. Jamais au Moyen Âge aucune population arabo-musulmane ne s’est implantée durablement en France, tout juste s’agit-il de découvertes archéologiques attestant du passage de troupes militaires au VIIIe siècle et de quelques céramiques ou monnaies laissées par des marchands arabes dans un port français de Méditerranée quelques siècles plus tard. Pourtant, avec des indices aussi douteux, on commence à tisser une mythologie parfaitement inscrite dans les pas du mythe d’Al-Andalus ou de la prétendue diffusion par les Arabes de la pensée grecque dans la chrétienté médiévale. Il n’est pas inutile de savoir que Marc Terrisse, l’auteur de la contribution sur le Languedoc médiéval musulman, est actif à l’université et à l’Institut du monde arabe pour valoriser l’histoire des migrants et des minorités aux époques médiévale et moderne. Il est ainsi l’auteur de « Nos ancêtres Sarrasins », une exposition hébergée notamment par Francetv Éducation et dont un manuel scolaire fait la promotion dans son chapitre consacré à l’islam . La narration de cette animation est édifiante : la France apparaît enrichie à de nombreuses reprises, voire de façon continue tout au long de son histoire, par la civilisation musulmane. À tel point qu’on pourrait apparemment en conclure qu’une partie de nos ancêtres étaient Sarrasins. Un nouveau « roman national » plus acceptable et vivifiant que celui des Gaulois même s’il ne tient pas plus la route historiquement ?

Pour faire de la place aux nouveaux thèmes à la mode, il fallut en congédier d’autres. Pour faire honneur à Toumaï et « aux génies » de la grotte Chauvet, des coupes faites dans les programmes ont outré beaucoup d’enseignants de collège. Sont ainsi tombés aux oubliettes l’étude approfondie de la démocratie athénienne, le portrait d’Alexandre le Grand ou le panorama des savants grecs. Autre « espèce » en voie de disparition au collège : le règne de Louis XIV qui avait longtemps occupé une place importante. À la place, un long chapitre est consacré aux relations entre Charles Quint et Soliman le Magnifique, apparemment plus essentielles que celles qu’il entretenait avec François Ier, son ennemi irréductible.

En 4e , le programme commence par un long chapitre centré sur la traite négrière occidentale, puis on enchaîne avec les Lumières, sauvé in extremis des oubliettes grâce à la mobilisation des « néoréacs » avant la publication officielle des programmes. Pire : la révolution américaine et la naissance des Etats-Unis ne sont plus au programme. Or cette étude est indispensable pour comprendre les échanges intellectuels entre penseurs américains et les Lumières, l’abolitionnisme, la diffusion du modèle démocratique en Europe. Son effacement est aberrant et ampute une part de la compréhension de la Révolution française qui surgit ainsi du néant, comme si aucun phénomène révolutionnaire ne l’avait pré- cédée. Cela fait d’ailleurs plusieurs années que les révolutions anglaises du XVIIe ont disparu de nos programmes !

L’enseignement de la Révolution française mériterait un ouvrage en soi : aucun des programmes ou manuels ou ne sont parvenus à problématiser cette période de façon pertinente. Il en résulte une collection de thématiques sans continuum chronologique, un va-et-vient constant qui donne le tournis. Les programmes de 2015 sont pires que les précédents, l’enchaînement factuel est complètement noyé par l’approche thématique. Un exemple : on étudie guerres révolutionnaires et guerres impériales sans les distinguer véritablement ! Avec l’affirmation de cette approche thématique qui exclut une progression chronologique rigoureuse, l’élève est vite perdu et ne retient que quelques grands faits caricaturaux à faire bondir un historien.

On atteint des sommets avec le dernier thème de 4e , pour des élèves de 13 ans, qui ressemble à une question de concours : « Société, culture et politique dans la France du XIXe ». Plus question d’étudier l’histoire politique de la France durant cette époque charnière, indispensable pour comprendre la IIIe République et la première moitié du XXe siècle. Le XIXe nous a laissé des monuments de la littérature témoignant de l’intensité politique de l’époque, mais cela ne mérite apparemment pas que l’élève en connaisse l’histoire. Entre la Révolution et la IIIe République, c’est un tunnel obscur pour nos élèves : la Restauration, la monarchie de Juillet, le Second Empire sont passés par perte et profit et la IIe République tire timidement son épingle du jeu pour évoquer l’abolition de l’esclavage et le suffrage universel masculin. Voici les deux angles sous lesquels on doit expliquer le XIXe aux élèves : « Voter de 1815 à 1870 » et « Conditions féminines dans une société en mutation ». Aussi passionnants que soient ces thèmes, ils ont davantage leur place dans un cursus de classe prépa ou en fac d’histoire.

Extrait de "Génération 'J’ai le droit'" de Barbara Lefebvre, aux éditions Albin Michel 

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