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Emmanuel Macron a présenté son programme pour l'élection présidentielle lors d'une conférence de presse, ce jeudi 17 mars.
Emmanuel Macron a présenté son programme pour l'élection présidentielle lors d'une conférence de presse, ce jeudi 17 mars.
©Ludovic MARIN / AFP

Président candidat

A trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a présenté les grandes lignes de son projet, estimé à 50 milliards d’euros par an. Le président sortant a notamment promis 15 milliards d’euros de baisse d’impôts et le « plein-emploi » d’ici cinq ans. L’opposition l’accuse de piller les idées de la droite.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Candidat à sa réélection, Emmanuel Macron a présenté son programme pour un second mandat. Qu'est-ce que ces nouvelles propositions nous apprennent de la nature même du macronisme ?

Christophe Bouillaud : Sur le contenu même de la partie du programme qui a été dévoilée aujourd’hui, je crois qu’il n’y a pas une personne en France qui ait suivi l’actualité des cinq dernières années qui aura été un tant soit peu surprise. C’est vraiment le changement dans la continuité. C’est l’annonce d’un quinquennat bis, où tout ce qui était engagé en matière économique et sociale dans le premier quinquennat sera poursuivi dans le second et où tout ce qui avait été envisagé dans le premier, comme la réforme des retraites ou la fusion de toutes les aides sociales, sera mis en œuvre dans le second.

Du coup, il faut admettre désormais que le macronisme comme idéologie aux paramètres bien déterminés existe bel et bien, au moins sur ces aspects économiques et sociaux. Emmanuel Macron a une ligne unique et principale,et il s’y tient. Or cette ligne, c’est la répétition ad infinitum des mêmes très vieilles recettes néo-libérales. C’est le catalogue de tout ce qui est déjà dans les livres sur l’histoire depuis 1970 des politiques publiques dans les pays occidentaux. On se contentera donc de faire du Thatcher ou du Schröder avec deux décennies de retard, et sans tirer aucune leçon des échecs de ces derniers. Les Républicains peuvent bien crier au plagiat, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. S’ils avaient innové, réfléchi, ils ne seraient pas allés à la bataille présidentielle avec le même programme que celui du Président sortant, ou ils en auraient tiré les mêmes conséquences qu’un Eric Woerth en se ralliant dès avant le premier tour.

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Premièrement, on recule encore une fois l’âge légal de départ à la retraite, à 65 ans désormais, avec toutes les conséquences qui vont avec dans un pays comme la Franceoù le marché du travail n’est guère accueillant aux plus de 50 ans. On continue à négliger tout ce que cela implique en réalité de dépenses sociales,comme celles liées aux arrêts maladie des plus 50 ans ou aux mises en invalidité, et aussi de souffrances pour des personnes forcées ainsi de travailler avec un état de santé dégradé, ou, pire encore, forcées de faire semblant de chercher un travail qu’elles ne trouveront évidemment pas.

Deuxièmement, Emmanuel Macron propose d’instituer l’obligation pour les bénéficiaires du RSA d’une activité pendant 15 heures par semaine permettant d’aller vers l’insertion professionnelle. On hésite à comprendre s’il s’agit de les forcer à travailler pour rien ou presque, ou bien s’il s’agit pour l’Etat de s’engager à leur offrir 15 heures de formation professionnelle ou d’aide à l’insertion. Dans les deux cas, cela part de l’idée des plus démagogiques selon laquelle les bénéficiaires du RSA se vautreraient dans l’assistanat et la fainéantise. Pour leur bien, il faut donc les secouer. Le Secours catholique a été la première association à réagir aux propos de Gabriel Attal annonçant dès hier cette mesure pour souligner que cela ne correspond en rien aux réalités des allocataires, toujours désireux de gagner leur vie, mais souvent hors d’état de le faire pour cause d’état de santé, de charges familiales, de niveau de formation, etc. Surtout, il faut rappeler à cette occasionque ce qui qui aiderait vraiment les bénéficiaires du RSA à trouver un travail rémunéré, c’est justement que l’on s’occupe vraiment d’eux en leur donnant accès de la vraie formation professionnelle. Or cela coûte très cher – pour donner un bon cours de mécanique, il faut un bon mécanicien, pour donner un cours de conduite, il faut un bon enseignant de conduite, etc. - , et, depuis l’invention du RMI en 1988, puis son remplacement par le RSA en 2008, jamais les pouvoirs publics n’ont investi vraiment cette tâche de remise à niveau des plus fragiles. Cela se comprend d’ailleurs : une partie des publics du RSA souffrent de telles difficultés en français, en mathématiques élémentaires, etc. ou souffrent de problèmes de santé physique ou mentale, d’addictions, etc. que les rendre employables, même à terme, parait un défi impossible à budget contraint. 15 heures de vraies formations par semaine ou même simplement d’attention de la part d’un professionnel de l’insertion pour le million de bénéficiaires du RSA, ce serait un budget énorme. Il faut aussi voir qu’en fonction du point précédent de plus en plus de bénéficiaires du RSA auront plus de 60 ans, et qu’il sera donc assez irrationnel du point de vue économique de chercher à les former à un travail qu’ils n’exerceront jamais. On se contentera donc de les occuper à quelque travail ancillaire, et encore, même cette exploitation coutera cher, car il faudra bien encadrer par du personnel dédié ces bataillons de malgré-nous. A moins que l’on utilise à cette noble tâche les très nombreux jeunes en service civique qu’on se promet par ailleurs d’embaucher ? On aura avec cette combinaison une masse énorme de gens, jeunes et vieux, disponibles à faire des travaux utiles à la collectivité pour une somme dérisoire, au regard de ce que cela coûterait en employant aux mêmes tâches sur des contrats de droit ordinaire même simplement payés au SMIC. Voilà qui est disruptif, des ateliers nationaux pour le XXIème siècle !

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Troisièmement, en lien avec le point précédent,Macron repart sur son idée de fusionner toutes les aides sociales, là encore pour éviter que certains ne se contentent de peu. Cela promet d’ailleurs avec l’idée d’automatiser à cette occasion le versement de toutes les allocations sociales des situations ubuesques. Des gens vont recevoir des sommes auxquelles finalement ils n’avaient pas droit, et, ensuite, on leur demandera de les restituer. Il faut aussi souligner que des personnes peuvent ne pas vouloir d’allocations comme le RSA pour ne pas être surveillées dans tous leurs faits et gestes. En effet, déjà aujourd’hui, comme l’ont bien montré les travaux de Vincent Dubois,les bénéficiaires du RSA n’ont plus droit à aucune protection de leur vie privée, puisqu’ils sont tous considérés par l’administration comme des fraudeurs en puissance.

Quatrièmement, Emmanuel Macron veut renommer Pole Emploi en France Emploi, ce qui en pratique signifie sans doute la poursuite de l’étatisation de l’assurance chômage, et à terme l’adoption d’un modèle d’indemnisation de ce dernier à l’anglo-saxonne. C’est bien l’idée forte du néo-libéralisme que seul l’Etat peut formater le marché du travail, et surtout pas les partenaires sociaux.

Cinquièmement, ilressort la très vielle idée néo-libérale de mise en concurrence des établissements scolaires par la transparence des résultats. Ce n’est pas faute d’avoir eu sous les yeux les exemples des pays où cela a été mis en œuvre et où cela a abouti à une nette augmentation des inégalités scolaires. De même on continue avec l’idée de faire des enseignants de simples employés de leur établissement scolaire, destinés en plus à travailler beaucoup plus pour gagner un peu plus. Pour l’Université, c’est la mythique autonomie qui est appelée au secours, avec là aussi les mêmes conséquences inégalitaires.

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Bref, les partisans de ces réformes néo-libérales auront beau jeu de dire que cela a marché partout, donc que cela ne peut que marcher en France. Les opposants feront remarquer qu’à force de rendre la vie difficile et risquée pour la plupart de nos contemporains en cas d’aléas les frappant on risque fort de renforcer les tendances populistes, autoritaires, à l’œuvre dans la population. L’élection de Trump et le Brexit n’auraient-ils rien appris à personne ? Mais il est vrai que l’élection d’un populiste en France est réputée impossible, puisqu’encore en ce printemps 2022, comme en 2002, les « castors » qui feront barrage au second tour constituent une assurance à toute épreuve contre une aventure zémourienne, lepéniste, ou mélenchoniste.

Enfin, l’on pourra se consoler de tout ce fatraset des quelques promesses qui n’engagent que ceux qui les croient sur la démocratisation de nos institutions avec la convention citoyenne sur la fin de vie. C’est sûr qu’après cette vie de compétition acharnée et de travail telle que la promeut le programme présidentiel il se pourrait qu’il faille prévoir des nouvelles voies de sortie pour certains d’entre nous.

Emmanuel Macron a dévoilé son programme ce jeudi, qu’en avez-vous pensé ?

Don Diego de la Vega : Je pense qu’on peut résumer ça en trois syllabes, « bla-bla-bla », en un concept, « marketing », en une phrase : « quand on a échoué pourquoi ne pas continuer dans la même voie ». Ce programme, s'il le suit, est dans la continuité de ce qui a été fait, en pire. La seule bonne nouvelle c’est qu’avec les politiciens actuels, on sait que les programmes ne veulent rien dire, n’engagent à rien. Le programme n’est pas très bon et certains points sont véritablement calamiteux. Il y a des manquements impressionnants, notamment peu de choses sur le nucléaire. On est censé avoir 14 réacteurs opérationnels en 2042 avec des premiers réacteurs en 2036. Et pour ça il faut s’y mettre dès maintenant. Donc cela devrait être un des grands axes d’investissements. Ça ne l’est pas. A la place, il y a des positions don quichottesque sur ses thèmes de prédilection, comme le plein emploi, et toutes les manies françaises. Il veut conditionner le RSA, c’est quelque chose que l’on entendait déjà sous Sarkozy. Également, il n’est jamais question du rapport de force avec l’Allemagne, la BCE, donc jamais question des sujets monétaires. 

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Quelles sont les annonces que vous jugez mauvaises ?

Don Diego de la Vega : Elles ne sont pas mauvaises, car elles sont marketing. Il parle d’investir dans l’armée mais sans être précis, sans dire concrètement ce qu’il veut faire. On pourrait se donner de vrais objectifs. Et préciser comment, quand, et avec quel argent ? Ce n’est pas mauvais de dire qu’on va investir plus dans le régalien, mais c’est en contradiction totale avec son action depuis cinq ans. C’est un point qui lui est dicté par l’actualité, mais quid dans six mois. Le problème est qu’il n’investit que les causes médiatiques du jour. 

Il a aussi évoqué l’idée de travailler à une information crédible et concrète, de qualité, sous-entendue, ni biaisée ou complotiste. Je ne sais pas ce que ça peut avoir comme implications concrètes, mais je trouve que c’est une pente dangereuse. Par ailleurs, il y a des sujets sous la table : l’immigration, la sécurité. 

Interrogé sur son projet, il mentionne un « effort supplémentaire » de 50 milliards par an, dont une baisse d’impôts de 15 milliards. Il veut compenser ces dépenses par : le plein emploi et la réforme des retraites, des réformes et des réductions de coûts de fonctionnement. Que faut-il en penser ?

Don Diego de la Vega : D’abord, on parle de dépenses de 50 milliards. L’effort c’est trouver l’argent correspondant pour rééquilibrer car les dépenses, elles, sont relativement certaines. Le premier axe, miser croissance et plein emploi, je demande à voir comment il s’y prend. Deuxièmement, s’il y a des réformes de l’état à mener, pourquoi ne l’a-t-il pas fait pendant cinq ans, s’il pense qu’on peut économiser 20 milliards sur cinq ans. Et cela sans licencier de fonctionnaires ? Cela paraît compliqué. Donc à moins de définir un nouveau périmètre de l'État, je ne vois pas comment l’équipe de Macron peut sérieusement prétendre à cela. Si on remet en cause l’emploi à vie des fonctionnaires, qu’on vire 300 000 personnes, je peux l’imaginer, mais ce n’est pas ce dont il est question. L’hypothèse de croissance est grotesque, celle de la réforme de l’Etat aussi. 

Que penser de son annonce du plein emploi pour 2027 ? Et de sa réforme des retraites ?

Don Diego de la Vega : Le plein emploi est un concept qui a trop de sens pour être concret, chacun le voit à sa façon. Le plein emploi, c’est toujours un projet, un mantra, mais ce n’est pas un vrai élément de programme. Le vrai problème ce sont les retraites. La retraite à 65 ans, pourquoi pas, mais il semble vouloir lier cela à la pénibilité, qui est une horreur. C’est surtout à mille lieux de la réforme à points que voulait initialement Macron, en s’inspirant du modèle Suédois. On a abandonné cette idée, pour revenir à une vision française bien plus paramétrique. En sommes, il récupère des mantras à gauche, à droite, mais derrière c’est une capitulation gigantesque sur les retraites. Ce devait être une réforme des retraites générale, c’est maintenant une promesse de réforme paramétrique qui ne touche à aucun des vrais problèmes. Les 65 ans, ce n’est pas une vraie réforme, c’est un totem, un marqueur. 

Beaucoup voient dans le programme de Macron une copie du programme de Valérie Pécresse. Qu’en est-il ?

Don Diego de la Vega : Tous les programmes se ressemblent du centre du PS jusqu’à la droite Pécresse/Le Pen. Seuls Zemmour et Mélenchon ont des programmes différenciants. Tant qu’on accepte la dominance de la BCE et le cadre maastrichtien, cela rend la variance des politiques publiques très faible. J’aimerais qu’on soit dans un cadre plus critique vis-à-vis des institutions européennes, de la BCE. Sans cela, Pécresse, Macron ou Hidalgo, ce n’est pas fondamentalement différent. C’est vrai qu’il donne des gages au centre droit car il a compris qu’il avait une réserve de voix chez Juppé et Sarkozy. Et dans le même temps, il pose quelques marqueurs progressistes pour rassurer les anciens électeurs hollandistes. Ce programme est digne de l’UDF. Mais dans la dynamique des finances publiques, ce n’est pas sérieux. Les maigres réformes sont des réformettes. Le gros morceau, c’est la réforme des retraites, et c’est une honte au vu de ce que j’ai expliqué plus haut. Hormis cela, c’est très consensuel : travailler plus, s’organiser mieux. Macron, c’est la synthèse entre Alain Minc et Jacques Attali.

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