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Pression du chiffre, conditions de travail, rapport avec la mort... le douloureux sujet des suicides dans la police
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Bonnes feuilles

Ils s’appellent Tony, Betty, Manu, Yasmine, Sylvie, Mélissa, Mourad, Corinne, Jeff. La plupart du temps, vous ne les remarquez pas… sauf quand vous en avez besoin. Pourtant ils sont là. Travaillant au contact de la rue, de la violence, de la misère sociale et de la mort. Voici le vrai visage des 149 000 flics de France. Extrait de "Paroles de flics" de Jean-Marie Godard aux éditions Fayard (1/2).

Jean-Marie Godard

Jean-Marie Godard

Jean-Marie Godard est journaliste depuis 1990. Reporter durant vingt ans au bureau français de l'agence Associated Press, il exerce aujourd'hui sa profession en indépendant et est l'auteur du livre Paroles de flics (Fayard, 2018), une plongée dans le quotidien des policiers de base pour raconter l'humain derrière l'uniforme. Il est également co-auteur, avec Antoine Dreyfus, de La France qui gronde (Flammarion, 2017), road-trip au travers du pays.

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Les suicides dans la police. Un sujet sur lequel les syndicats et les associations de policiers alertent sans arrêt leur hiérarchie et le ministère de tutelle. Le 28 janvier 2015, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve reçoit les syndicats de police pour annoncer des mesures « destinées à renforcer la prévention des suicides dans la police », après une année catastrophique en 2014 où cinquante-cinq policiers se sont donné la mort, « contre une quarantaine les années précédentes »2 . Il annonce notamment le recrutement de sept psychologues supplémentaires au sein du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO), créé en 1996, rattaché au ministère de l’Intérieur, et qui compte une centaine de psychologues à l’écoute des policiers à travers toute la France. Son plan prévoit également le recrutement d’autres psychologues chargés de « l’accompagnement des élèves policiers de tous grades durant leur scolarité », et un rappel à l’ordre des chefs de service afin qu’ils s’assurent « que les policiers répondent réellement aux convocations des médecins de prévention ». Une convention de suivi est également signée avec Le Courbat pour le retour des policiers en service après un congé de longue maladie. Il décide aussi de multiplier les casiers individuels permettant de déposer son arme en fin de service et de la laisser sur place.

En 2015, ils sont quarante-cinq policiers à se donner la mort1 . Les syndicats mettent en cause la pression du chiffre, de la hiérarchie, les conditions de travail de plus en plus dures. Ce qui les révolte, c’est le fait que l’on puisse mettre systématiquement en avant des « raisons personnelles ». « Oui, le suicide, il y a certainement des raisons personnelles, dit un gardien de la paix de la police-secours. Mais moi, quand j’en entends dire doctement: “Il s’est tiré une balle au commissariat, c’est peut-être parce qu’il avait envie de faire chier son monde…”, j’enrage. Moi, j’ai une collègue qui s’est suicidée il y a deux ans. Je travaillais avec elle… Putain. ça fait bizarre qu’on puisse en arriver là… » Le suicide est une épreuve terrible pour l’entourage, une énigme encore plus douloureuse lorsqu’elle s’accompagne du silence de celui qui part et ne laisse pas un mot, pas un message, pas une clé pour tenter de comprendre quelque chose qui peut parfois finir par n’avoir aucun sens pour ceux qui restent, avec des questions, des interrogations qui tournent en boucle dans la tête et ne trouveront jamais de réponse.

La psy des flics Emmanuelle Lépine, qui a travaillé plus de dix ans auprès de policiers de différents services, confrontés à des choses parfois extrêmement difficiles, explique que le rapport à la mort chez eux peut être très particulier. Et que la familiarisation avec la mort peut se faire à un point tel qu’on finit par ne plus craindre son propre décès. « Et puis, ajoute-t-elle, ce n’est pas parce que tout semble aller bien chez vous que vous ne ressentez pas par rapport à votre travail une forte dévalorisation qui peut être complètement déconnectée de votre position, de votre grade.» Être confronté à la mort continuellement. Et la perte de sens de ce métier… On en revient à des choses entendues au Courbat, le centre de soins pour policiers en burn-out. Cette difficulté à trouver l’équilibre entre l’image extérieure du RoboCop solide, résistant à tout, qu’on voudrait donner, et sa fragilité naturelle d’être humain qui ne parvient pas à s’exprimer dans ce carcan. Et puis le rapport continuel à la violence. Ces scènes qui peuvent se répéter, s’accumuler jusqu’à « devenir un poids tel que certains peuvent en mourir ». Autant de « pistes de réponse » sur un éventuel élément déclencheur, qui n’apportent en revanche aucune clé quant à la raison pour laquelle « une personne plus qu’une autre va passer à l’acte ».

La part de mystère que recèle tout suicide amène à s’interroger sur les limites de n’importe quel plan de prévention. N’empêche : s’il y a bien un travail à très fort potentiel humain, avec un risque d’être confronté à des situations émotionnelles extrêmes, c’est celui de policier. Et si l’on devait souligner une constante parmi les paroles de toutes les personnes rencontrées, c’est l’importance des conditions de travail pour pouvoir y faire face et surtout l’implication de la hiérarchie proche, directe, au plus près des troupes sur le terrain. Redonner du sens et du respect. Mais aussi ouvrir des espaces qui permettent à tous les policiers d’échanger sur des confrontations particulièrement difficiles, sans être obligés d’en passer obligatoirement par le psy… Car, on l’a vu, il est parfois difficile pour un policier qui va mal de le dire, d’apparaître comme « le maillon faible », de faire la démarche volontaire d’aller voir le médecin, le psychologue. Alors peut-être, dit Emmanuelle Lépine, que la prévention pourrait passer par des réunions collectives, obligatoires, régulières, entre pairs, portées par quelqu’un qui connaît le métier, et en présence d’un supérieur impliqué pour faire le point sur telle affaire un peu difficile et la manière dont elle a été vécue.

Pas de la thérapie, mais des « groupes de soutien mutuel », en dehors des désormais traditionnelles « antennes de soutien psy » qui sont mises en place lors d’événements traumatisants, comme un attentat. Reste qu’instaurer ces réunions dans tous les commissariats de France nécessite, une fois de plus, du temps et des moyens. La police le mérite, l’enjeu vital aussi.

Extrait de "Paroles de flics" de Jean-Marie Godard, aux éditions Fayard

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