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Présidentielle américaine : comment les Démocrates sont devenus le parti des riches (et pourquoi ça se confirme)
©CBS News

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Alors que les 4% des Américains les plus riches avaient voté démocrate lors de l'élection présidentielle américaine (fait rarissime dans l'histoire politique de ce pays), la situation pourrait bien se répéter lors de la présidentielle de 2016 entre Hillary Clinton et Donald Trump.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : En 2012, pour la première fois depuis 1964, les 4% d'Américains les plus riches avaient voté démocrate à l'élection présidentielle. En quoi l'évolution récente de la sociologie de cette frange de la population a-t-elle contribué à cette situation peu banale dans l'histoire électorale américaine ? 

Jean-Eric Branaa : Il n’est pas tout à fait exact de dire que lorsque les plus riches ont voté démocrate en 2012, ce n’était pas arrivé depuis 1964. En réalité, il y a un autre cas : en 1992. Ceci étant précisé, Lee Drutman a totalement raison dans son analyse publiée dans Vox : le cas de 1964 est très particulier. Si les Républicains s’étaient choisis Barry Goldwater pour candidat, cette idée effrayait l’establishment et les plus riches ont donc combattu le candidat du Parti républicain. C’était un épiphénomène et le parti a pu reconquérir cet électorat dès les échéances suivantes. L’année 1992 est donc le deuxième accident marquant dans la relation entre les riches, ou les supers-riches, et le parti censé les représenter. Trois éléments expliquent ce résultat, qui tient à une politique bienveillante à leur égard de Bill Clinton, à la présence d’un troisième larron – Ross Perot – qui misait tout sur la maîtrise des dépenses publiques et plaisait donc à cette frange de l’électorat, ainsi qu’à la promesse de Georges Bush de ne pas augmenter les impôts, maintes fois répétée, même sans le son, par un mime des lèvres, et qui ne fut au final pas tenue.

L’année 2012 aurait donc introduit des données nouvelles en raison d’un changement démographique profond : si les riches de 1952 étaient tous blancs, il n’en était plus de même 60 ans plus tard. L’influence de l’accès à l’éducation serait le deuxième facteur, puisque ces populations riches seraient de plus en plus éduquées et plusieurs études évoquent une corrélation entre un haut niveau d’éducation et une tendance à devenir plus libéral. Ainsi, une étude plus poussée de la situation professionnelle et économique révèle que, dans le boom des années 2000, l’économie américaine était particulièrement florissante dans la construction et l’immobilier, des secteurs qui ne nécessitaient pas un niveau d’étude très élevé. Cette tendance a suivi les effets de la crise et s’est écroulée, comme l’ont fait également les empires amassés dans ces secteurs. Avec la mutation des opportunités économiques, deux blocs sont apparus : les populations des campagnes, se réfugiant dans un conservatisme rassurant et celles des mégalopoles, qui ont porté le libéralisme au nues : New York, Boston, San Francisco ou Los Angeles sont alors devenues des places fortes pour les Démocrates. Les plus riches sont concentrés dans ces mégalopoles et la mutation n’est pas qu’un changement de façade puisque 17 des 25 circonscriptions électorales les plus riches ont fait le choix d’une représentation démocrate.

Au-delà de la sociologie de ces 4% d'Américains les plus riches, pourquoi le duel à venir entre Hillary Clinton et Donald Trump pourrait-il confirmer cette tendance, alors que traditionnellement les très riches votaient davantage républicain ? Au vu des positionnements, des propositions et des personnalités des deux candidats, le parti démocrate va-t-il une nouvelle fois remporter la bataille chez cette partie très aisée de l'électorat ?

Le duel à venir entre Hillary Clinton et Donald Trump s’inscrit dans un contexte très particulier : la mutation entre la société de 1950 et celle d’aujourd’hui est réelle et nous sommes passés d’une société industrielle à un société de l’information. Désormais, ce n’est plus Detroit mais la Silicon Valley qui donne le tempo. Les grands industriels ont été détrônés par Google, Facebook et autres géant d’Internet et les nouveaux entrepreneurs aspirent à toujours plus d’éducation, une prise en compte des questions environnementales et des conditions de vie améliorées pour tous, ce qui comprend une protection étendue, notamment en matière de santé.

La différence de positionnement des deux candidats reflète ce changement de société et l’opposition entre deux mondes qui ne cessent de s’éloigner l’un de l’autre : Hillary Clinton est le camp du "Pour" alors que Donald Trump est le camp du "Non". Hillary Clinton propose une politique libérale en matière d’échanges commerciaux, une politique migratoire assumée, et défend l’idée d’une relance soutenue par la reprise d’un plan ambitieux d’infrastructures. Elle est aussi pour la prise en compte des questions environnementales, croit à l’extension des droits des LGBT et est favorable à la diversité. Cela fait d’elle la championne des populations riches des grandes villes, ceux qu’on pourraient appeler les bobos américains. Donald Trump, ou plutôt son camp, veut quasiment tout le contraire. Il y a une frange très influente du Parti républicain qui actuellement réclame un retour à l’isolationnisme, accuse l’immigration d’être à l’origine de certains maux de la société, s’oppose à l’extension des droits LGBT et défend l’idée de valeurs familiales fortes et traditionnelles, ne considère pas que la défense de l’environnement doive permettre de s’opposer au progrès ou aux libertés individuelles. Cela fait de Donald Trump le champion de l’Amérique rurale.

Le trublion milliardaire détonne cependant par des prises de position très personnelles, qui brouillent le jeu et rabattent les cartes, en brisant parfois des tabous à droite. La taxation des plus riches ? Il propose de la limiter puisque ce sont eux qui produisent de la richesse, et s’inscrit donc dans une logique propre à son camp. La couverture santé ? Il déclare qu’il faut bien protéger tout le monde, laissant planer le doute sur ses intentions. L’avortement ? Il déclare que cette question mérite débat. Les droits LGBT ? Il estime qu’on en fait toute une histoire quand il s’agit souvent d’apporter simplement des réponses pragmatiques. Ainsi, il ne comprend pas pourquoi on s’excite pour savoir quelles toilettes les transgenres doivent utiliser : "Ils le savent bien eux-mêmes, moi ça me suffit", déclare-t-il pour la plus grande satisfaction des associations LGBT. Sur le salaire minimum ? "Je ne sais pas comment on peut s'en sortir avec 7,25 dollars de l'heure. Il faut que les gens gagnent plus", dit-il encore, mais sans promettre d’intervenir.

L'avantage pris par les démocrates au sein des riches Américains peut-il s'inscrire dans la durée et perdurer au-delà de l'élection présidentielle de 2016, malgré la campagne très réussie médiatiquement parlant de Bernie Sanders ?

Les riches Américains ont très certainement parié en grand nombre sur la victoire d’Hillary Clinton. Ils ont donc été surpris par le phénomène Sanders, qu’ils ont observé jour après jour afin de mieux en évaluer les possibles conséquences. L’influence de Sanders sur le programme Clinton a commencé à être visible lorsqu’elle s’est prononcée pour l’arrêt du programme Keystone XL ou qu’elle a annoncé de nouvelles propositions pour l’extension des droits sociaux, avec un soutien clair au relèvement du salaire minimum à $15. Elle n’a pourtant pas suivi le sénateur du Vermont sur tous les chemins : la charge la plus lourde de celui-ci a été portée en faveur des lois Dodd-Franck, qui visent à protéger les consommateurs contre les crédits toxiques et à recréer une barrière étanche entre les banques de dépôt et les banques d’investissement. Pour lui, les Démocrates centristes comme Hillary Clinton sont coupables de collusion avec les grands banquiers de Wall Street au même titre que les Républicains. Les plus riches, pour leur part, ont appris à vivre avec cette loi et n’ont qu’une seule aspiration : qu’on les laisse faire des affaires sans rallumer de guerre inutile.

Le choix va donc être difficile pour cet électorat aisé – voire très aisé – qui se sent courtisé par les deux camps et pourrait se diviser… entre les deux camps. Le positionnement de Bernie Sanders, très anti-Wall Street, ne fait pas particulièrement peur aux plus riches, qui considèrent qu’Hillary Clinton est presque une des leurs : cela fait plus de 30 ans qu’elle évolue dans les mêmes cercles qu’eux, elle sait leur parler et sait même parfois les comprendre. C’est sur ce terreau-là, cette opposition, que Bernie Sanders a prospéré et a su séduire les jeunes et les plus défavorisés. Il n’y a donc pas de danger immédiat pour les plus riches et ils vont très certainement répéter leur vote de 2012, cochant la case Clinton comme ils cochèrent celle de Barack Obama. La situation deviendrait plus complexe en revanche si elle décidait de choisir Bernie Sanders comme vice-président, ce qui n’est pas impossible, notamment dans une ultime tentative de reconquête de cette jeunesse qu’elle semble pour l’instant avoir perdue.

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