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2012 : gueule de bois du politique
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Dépression

Après avoir voulu "changer la vie" en 1981 ou prôner la "rupture" en 2007, les candidats à la présidentielle se veulent juste "normaux" pour 2012. C'est grave docteur ?

Christian Salmon

Christian Salmon

Christian Salmon est journaliste et écrivain.

Il a publié entre autres Storytelling la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (Paris, La Découverte, 2007).

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Atlantico : Les Français semblent croire de moins en moins en un changement politique possible et les mots d'ordre des candidats à la présidentielle ont évolué : après "changer la vie" en 1981 et la "rupture" en 2007, certains candidats proposent modestement d'être un Président "normal" en 2012. Comment analysez-vous cette évolution du discours?

Christian Salmon : La vie politique obéit désormais à des rythmes qui n’ont plus rien à voir avec le contenu idéologique, les programmes, les mots d’ordre… On est passé de cycles d’alternance politique à une sorte de courant alternatif qui fait se succéder des phases médiatiques d’excitation et des phases d’apathie, d’assoupissement.

Jacques Chirac avait un effet sédatif sur la société française, somme toute reposant et qui n'excluait pas d'agir quand il le fallait, comme aux temps de la guerre en Irak.

Nicolas Sarkozy, au contraire, est un agitateur, un excitant. On a pu dire qu'il "hystérisait" la vie politique. A trop vouloir stimuler les audiences, l’homme politique s’expose à une sorte d’effet feedback post-électoral, sous forme de déception voire de désenchantement. C’est un paradoxe de ces politiques de l’attention qui consistent à stimuler, doper les audiences, par des moyens de plus en plus sophistiqués et à provoquer en retour des retombées d’audience, des moments de dépression démocratique.

Lorsque François Hollande déclare vouloir être un président « normal », ou François Bayrou que le candidat élu sera « celui qui ne raconte pas d’histoires », ils prennent en compte cette demande de « ralentissement ».


L'évocation régulière de la nécessité d'être "pragmatique" en politique ne signifie-t-elle pas une absence de vision du monde ?

La vision du monde existe, c’est la mondialisation ou la globalisation, mais cette vision est perçue comme une fatalité. Depuis la crise de 2008, le pouvoir opère dans des conditions insécuritaires qui l'obligent à gouverner au ras du social, en tentant d'orienter des flux d'attention qui ont tendance à se disperser. Il doit pour cela piloter à vue, se rendre maître, au jour le jour, d'une opinion fluide, insaisissable. C’est cela le « pragmatisme », une action au jour le jour, qui fait de l'homme politique le modèle de l’individu néolibéral que  le sociologue américain Richard Sennett définit ainsi : un “nouveau moi, axé sur le court terme, focalisé sur le potentiel, abandonnant l'expérience passée".


De quelle façon la mondialisation influence-t-elle la pratique politique actuelle ?

Une mondialisation sans perspective et sans alternative a produit un homo politicus « survolté» qui masque son impuissance par une gesticulation sans conséquence, et faute de maitriser la situation, s’efforce de contrôler l’agenda médiatique. De changements de style en tournant politique, l’"homo politicus électrique" ce cesse de redessiner l'image fuyante de sa fonction et réduit l'exercice du pouvoir à la chronique agitée de ses faits et gestes.

Tous les chapitres de la vie politique sont affectés par cette versatilité qu'on analyse trop souvent comme un trait de caractère, alors qu'elle constitue un signe distinctif de l'agir politique sous le néolibéralisme, un agir impuissant. L'hyperprésident, maître de la séquence et de l'agenda, modélise jusqu'à la caricature un individu néolibéral, faisant sans cesse appel au volontarisme politique et au potentiel des individus ("Quand on veut, on peut.") et recourant sans cesse à la rhétorique de la rupture pour rejeter l'expérience passée : "Le laisser-faire, c'est fini.", "Les paradis fiscaux, c'est fini."...

Dans le cadre que vous décrivez, le clivage gauche / droite a-t-il toujours un sens ?

On voit bien ce qu’est la droite. Depuis 2007, elle applique sans les ambigüités du radical-socialisme à la française, le programme néolibéral anglo-saxon avec vingt ans de retard sur l’Angleterre et les Etats Unis. C’est un programme qui a le mérite de la clarté et qui peut se targuer d’une certaine efficacité s’il s’agit de détruire l’Etat providence et une certaine forme de contrat social en vigueur depuis la deuxième guerre mondiale.

En revanche, on voit de moins en moins ce qu’est la gauche. Michel Foucault pensait qu’il n’y avait pas de « gouvernementalité » de gauche, c’est à dire une rationalité alternative à la rationalité néolibérale. Et de fait, la gauche ne fait le plus souvent qu’opposer des valeurs à la gouvernementalité néolibérale. Ce qui l’oblige sans cesse à des contorsions sur la sécurité, l’immigration, les mœurs… En tous cas, elle s’est révélée incapable de penser les transformations liées à la mondialisation et à la révolution technologique en cours qui déstabilise les formes de la délibération démocratique. Le débat sur la démocratie est vif, intense, international mais il ne concerne pas la gauche française…

En quoi l'accélération du rythme politique (passage au quinquennat, immédiateté de l'info, Internet, etc.) joue-t-elle aujourd'hui sur le discours politique ?

L’accélération du rythme politique se manifeste moins par la réforme du quinquennat que par les excès du marketing politique. Le rythme politique s’est accéléré de manière brutale. Un journaliste américain en faisait la remarque après l’élection de Barack Obama en 2008, Si la séquence médiatique moyenne était jusque là de 24 heures, désormais disait-il avec humour, ce sont des cycles de 24 minutes qui scandent l’actualité. Le célèbre neurologue Antonio Damasio s’est alarmé de cette tyrannie de la vitesse. La démocratie se limite aujourd’hui a des effets d’attroupement autour d’états d’alarme synchrones. Cette stimulation trop puissante fait que les audiences assaillies de toutes parts, sont de moins en moins fidèles, de plus en plus rétives ou dispersées.

L’esprit du web ne s’accorde pas avec celui des administrations politiques. Le rythme survolté des campagnes ne résiste pas longtemps à l’enlisement des décisions quotidiennes, à la résistance des lobbies, à l’obstruction des oppositions. La foi dans le changement attisée par d’habiles communicants ne s’accommode pas facilement du statut quo imposé par les pouvoirs établis et les puissances d’argent. C’est un paradoxe de ces politiques de l’attention qui consistent à stimuler, doper les audiences, par des moyens de plus en plus sophistiqués qui alimentent la désaffection à l’égard de la politique.

Compte tenu de tout cela, comment envisagez-vous la campagne 2012 ?

On peut craindre qu’elle ne soit une pâle copie de la campagne d’Obama de 2008 : récit & rhétorique mâtinés d’Internet. J’entends déjà à gauche la rhétorique creuse du récit national, quand ce n’est pas l’écho du rêve américain à la française. A droite on va avoir un président protecteur revêtu de l’aura de la paternité. Au risque de se voir  accorder un congé parental par les Français.

L’espoir est ailleurs, dans les formes inédites des révoltes arabes, et dans le cri des manifestants de la Puerta del Sol: « Si vous nous empêchez de rêver, nous vous empêcherons de dormir ! ».

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