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Premières leçons de la guerre en Ukraine
©RONALDO SCHEMIDT / AFP

2 mois après

Alors que le canon gronde toujours dans le Dombass et que les Ukrainiens relèvent leurs morts dans les régions de Tchermihiv et Jytomyr enfin libérées, les premières leçons de la plus grande conflagration en Europe depuis les guerres de Yougoslavie se dégagent. Le vieux monde est bien mort.

Raphaël Chauvancy

Raphaël Chauvancy

Raphaël Chauvancy est officier supérieur dans l'infanterie de marine, détaché depuis 3 ans au sein des UK Commando forces - Royal Marines. Il est également chargé du module "intelligence stratégique et politiques de puissance" à l'école de guerre économique (Paris). Il a publié une dizaine d'ouvrages, et collabore régulièrement à différentes revues (Conflits, Diplomatie, Marine et Océans...) et sites internets (Theatrum Belli, geopoweb...).

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La fin de l’innocence allemande

Il y a encore peu, Madame Van der Leyen, alors ministre de la Défense de la République fédérale d’Allemagne, refusait de vendre des armes à l’Ukraine. Les Etats développés devaient régler leurs différends par le dialogue plaidait-elle, illustrant les illusions de tout un peuple. Satisfaits d’être enfin sorti d’une histoire qu’il avait largement perturbée, les Allemands se préoccupaient peu des malheurs du monde et des tracas de la géopolitique, trop occupés à vendre leurs voitures de luxe dans le monde entier.

Ils paient aujourd’hui l’obsession de leurs intérêts à court terme et d’une insouciance coupable. Après avoir fermé leurs centrales nucléaires, ils ont bâti leur modèle énergétique sur les abondantes livraisons de gaz russe sans prévoir la possibilité de leur interruption. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Berlin s’est livré pieds et poings liés aux Etats-Unis pour sa sécurité. Bref, il faut choisir entre Moscou et Washington et Berlin ne le peut pas, révélant une fois de plus son immaturité stratégique. Une fois passés les premiers émois d’une nouvelle guerre à l’Est, les Allemands vont-ils renouer avec leurs errements traditionnels ? L’avènement de l’autonomie stratégique européenne dépendra largement de leur attitude. Déçus par l’amant russe réinvestiront-ils dans le mariage européen ou se jetteront-ils dans une aventure plus poussée avec l’oncle Sam ? 

Si vis pacem, para bellum

L’offensive russe a rappelé que les relations internationales ne s’articulaient qu’à partir des rapports de force et qu’il n’y avait aucune raison pour que les armées en soient exclues. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » disaient les Anciens. Vladimir Poutine a rappelé aux Européens que les pays qui ne savent pas se défendre n’ont pas voix au chapitre. Ils doivent en tirer la leçon tout en se posant quelques questions. Leurs « protecteurs » américains ont-ils les moyens conventionnels de la protéger alors que leur principal compétiteur est maintenant à l’autre bout du monde, en mer de Chine ? La garantie nucléaire américaine a-t-elle une quelconque valeur ou repose-t-elle sur un bluff ? Quel président américain prendrait véritablement le risque d’attirer une riposte stratégique sur Washington en cas d’invasion d’un Etat de l’OTAN ? La tentation ne serait-elle pas plutôt d’employer alors des armes atomiques tactiques en dernier ressort, au risque de transformer l’Europe en champ de bataille nucléaire ? Il n’y a pas d’alternative au réarmement du continent.

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Enfin, il ne faut pas se tromper de menace et laisser l’évènement nous aveugler. Aujourd’hui, la crédibilité militaire russe est atteinte et ses forces vives entamées par les pertes subies en Ukraine. Bien que les combats s’y poursuivent, le spectre d’une menace militaire immédiate sur l’Europe est momentanément passé. L’urgence n’est donc pas de réarmer n’importe comment mais d’établir les bases structurelle d’une défense dissuasive, efficace au besoin, infrangible dans tous les cas afin de ne plus subir de pressions sur notre sécurité. La sous-traitance sécuritaire aux Etats-Unis ne répond à aucun de ces besoins.

L’Occident n’existe pas

Journalistes et commentateurs reprennent avec innocence ou complaisance le terme d’« Occident ». Or celui-ci désigne un bloc géopolitique fictif au service du leadership américain.

L’idée d’« Occident » n’exprime que la subordination d’une Europe impuissante aux intérêts anglo-saxons.  Ainsi voit-on une Europe faible acheter du matériel militaire américain et financer les bases de l’US Army entérinant le régime du protectorat. Cette dépendance régalienne garantie Washington contre l’émergence d’un concurrent potentiel. Cerise sur le gâteau, c’est l’argent du Vieux Continent qui finance le lobby militaro-industriel d’outre-Atlantique.

La compétition stratégique entre la vision franco-européenne et la vision anglo-saxonne relève d’une véritable guerre sous-terraine. Contrairement à ce que prétendent de manière intéressée les Anglo-saxons pour la discréditer, le but poursuivi par la diplomatie française n’est pourtant pas la rupture des vieilles solidarités entre démocraties ou la fin de l’OTAN, ce pilier essentiel à notre défense collective. Il consiste à rééquilibrer les forces entre les deux rives de l’Atlantique pour transformer un protectorat de fait en une alliance effective. La défense globale des valeurs partagées autour des droits de l’homme ne pourrait qu’y gagner. En prime, les Européens ne seraient plus contraints de subordonner leurs intérêts nationaux à ceux des Américains qui finiraient d’ailleurs par découvrir qu’il vaut mieux avoir des alliés forts, quitte à accepter certaines frictions, que des vassaux inutiles.

Les ravages de l’hybris

L’histoire est riche de désastres nés de l’hybris, de la démesure, des peuples ou de leurs dirigeants. Les Russes ont ainsi largement surestimé leurs forces et sous-estimé les capacités de résistance d’une nation ukrainiennes dont ils niaient jusqu’à l’existence. Sans doute Vladimir Poutine voulait-il sidérer ses voisins par une intervention militaire éclair, tétaniser les Européens pour les empêcher de réagir et reprendre l’ascendant sur les Américains en les mettant une fois encore devant le fait accompli. C’est raté. Il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire. Si le Kremlin s’était cantonné à élargir les frontières du Dombass et à faire main-basse sur les côtes de la mer d’Azov, il aurait atteint ses objectifs de guerre. En voulant en prime un changement de régime, la fameuse « dénazification », il a présumé de ses forces. Le siège de Kiev était un fiasco prévisible : on ne prend pas une ville sans la détruire et les représentations russes et orthodoxes de cette cité, berceau de leur civilisation, ne permettaient pas de la faire. Le président Poutine s’est condamné à un humiliant échec prévisible dès ses premiers mouvements. Ils ont coûté si cher à la puissance russe, qu’il n’a plus d’autre choix que de parvenir au moins à atteindre ses buts de guerre minimum. Il y mettra toute ses forces et sa volonté. L’enjeu en est le maintien du statut de grande puissance de son pays.

Ce dernier point ne semble pas avoir été compris par Volodymyr Zelensky. Il a probablement sauvé son pays dans les premiers jours de l’invasion grâce à une fermeté inattendue qui a empêché l’effondrement que tout le monde attendait. L’ancien acteur semble malheureusement s’être coulé dans la peau du personnage qu’il a créé aux dépens du recul politique et stratégique que la situation exige. La résistance de ses troupes et l’élan de sympathie suscité dans toute l’Europe lui promettait de ne perdre finalement que les territoires russophones intenables plus quelques excroissances, et de se rapprocher de l’Union Européenne et de ses financements, en attendant une intégration à plus ou moins long terme. Un moment de grâce s’est présenté quand les Russes ont évacué Kiev et le nord du pays. Grisé par le succès, Zelensky, l’a laissé passer.

Par ailleurs, les leçons de morale du président ukrainien à la France et à l’Allemagne, accusées de ne pas l’aider suffisamment et de ne pas avoir intégralement rompu leurs relations économiques avec Moscou, risquent de se retourner contre lui. Ne continue-t-il pas lui-même à chauffer son peuple avec le gaz de ces Russes qui le bombardent ? Il n’est pas certain non plus que Paris, déjà échaudé par l’intégration dans l’UE des pays d’Europe de l’Est ultra-atlantiste, se montre très chaud partisan d’y ajouter un jour l’Ukraine, dont l’alignement total sur les Anglo-Saxons s’accentue jour après jour. Zelinsky n’a pas de culture politique et ne semble pas mesurer les risques qu’il prend. Il pourrait découvrir rapidement les limites de la politique-spectacle et en faire involontairement payer le prix à son peuple. 

La France, une puissance nécessaire

La scène mondiale se recompose sous nos yeux et la grande stratégie est de retour. Bien qu’elle n’ait pas réussi à s’imposer en médiatrice, la France a rappelé dans ce contexte qu’elle était une puissance indispensable à la sécurité collective européenne.

Moins forte militairement que la Russie, elle demeure un acteur crédible, doté de surcroît de l’arme nucléaire. Sans jamais renoncer à ses principes, droits de l’homme et équilibre entre les puissances, elle présente une troisième voie conforme à ses traditions politiques entre l’impérialisme russe et l’intransigeance belligène anglo-saxonne. Sa « diplomatie raisonnable » est la seule susceptible d’éviter des engrenages ou des blocages dangereux pour l’Europe, à condition de se déployer sans complexes ni inhibition.

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