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Préfecture de Paris : ce qui se joue vraiment quand les réseaux sociaux s’enflamment
©BERTRAND GUAY / AFP

Foire aux rumeurs

Jeudi, un fonctionnaire administratif de la préfecture de police de Paris a tué quatre de ses collègues puis a été abattu. Les motifs de son acte ne sont pas encore connus : conversion à l'islam, craquage psychologique à cause de son travail, tensions dues à son handicap... Toute la panoplie des causes est évoquée sur les réseaux sociaux.

Nicolas Moreau

Nicolas Moreau

Diplômé d'école de commerce, Nicolas Moreau a exercé en tant qu'auditeur pendant une décennie, auprès de nombreux acteurs publics, associatifs et privés.

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Atlantico : Les réseaux sociaux s'enflamment autour d'informations parcellaires et non vérifiables. Est-ce cette absence de faits qui cause cet effet de résonance ?

Nicolas Moreau : Il est impossible de répondre à cette question, car il est impossible de chiffrer ceux que l’absence d’informations pousse à la prudence et au silence, et ceux dont l’absence d’informations stimule au contraire l’imagination et l’expression.

Si on s’intéresse à ceux qui s’expriment, les réseaux sociaux s’enflamment autour d’informations douteuses et parcellaires, tout comme ils le font autour d’informations vérifiées et détaillées : avec des biais cognitifs très importants, et notamment de forts biais de confirmation (qui poussent les individus à privilégier les informations confirmant leurs croyances préétablies, plutôt que celles poussant à les remettre en cause).

Ainsi, autour d’un tel évènement, que les informations soient nombreuses ou non, beaucoup chercheront confirmation de ce qu’ils croyaient au préalable. Mais le manque d’informations accroit le phénomène par deux leviers au moins. Le premier levier est la multiplication des hypothèses qui se forment.

Par exemple, le tueur s’étant converti à l’islam un an et demi avant l’évènement, certains penseront que l’islam est une nouvelle fois responsable d’un massacre. D’autres penseront à l’inverse que l’on cherche à accuser cette religion d’un acte de folie qui n’a rien à voir avec elle, et qui a pour cause un manque de considération par la hiérarchie du tueur, ou une tension due à son handicap.

Dans le cas de la tuerie de la préfecture de Paris, rien ne filtre, ou presque, de la préfecture elle-même. Les collègues du tueur, qui le fréquentaient depuis des années, n’ont ni confirmé, ni infirmé un éventuel changement de comportement, ou d’éventuels signes avant-coureurs de radicalisation (refus de serrer la main aux femmes, etc.). L’information permettant d’infirmer telle ou telle hypothèse n’est donc pas disponible, en conséquence de quoi ces hypothèses se multiplient sur les réseaux sociaux.

S’ajoute à cela un second levier, qui est celui des théories du complot. Pour celles-ci, l’absence d’information est forcément due à une volonté (gouvernementale ou autre) de contrôler l’information émise. Ces théories surfent évidemment sur le manque d’informations disponibles.

Cette situation où l’information est parcellaire est donc la cause de bruit sur les réseaux sociaux. Mais il est impossible de savoir si le bruit augmente, car les hypothèses et les théories du complot se multiplient, ou si au contraire ce bruit diminue, car en l’absence d’informations claires plus gens préfèrent se taire que s'exprimer. Pour avoir une réponse certaine à cette question, il faudrait connaitre la part de ceux qui s’expriment plus que la normale, et la part de ceux qui se taisent plus que la normale, dans une telle situation.

Chacun y va de son interprétation, qui confirme généralement son système de croyances. Est-ce que ces événements, maintenant de plus en plus fréquents, aboutissent à des changements dans l'opinion ou y a-t-il seulement confirmation des clivages politiques ?

S’ils ont pu l’être au départ, les réseaux sociaux ne sont plus représentatifs de la société française. Les plus radicaux s’y expriment, souvent violemment, et font fuir ou taire les plus modérés. Il n’y a donc plus grand monde à convaincre sur ces réseaux, les clivages politiques y sont très marqués, et ils ne changeront plus ou presque.

En revanche, parmi ceux qui ne s’expriment pas, ou parmi ceux qui ont indirectement accès aux réseaux sociaux (par les médias par exemple), il existe une masse d’individus n’ayant pas d’idée préconçue sur tel ou tel sujet, que les opinions exprimées sur les réseaux permettent petit à petit de convaincre.

Le fonctionnement est le même que pour un débat télévisé par exemple. Zemmour ne convaincra pas Naulleau, et Naulleau ne convaincra pas Zemmour. Mais l’un des deux convaincra plus de monde, parmi les téléspectateurs qui écoutent, que l’autre.

Le fonctionnement est le même pour les réseaux sociaux. Les minorités radicales qui s’y expriment ne changeront pas d’avis. Mais les silencieux qui les écoutent, et qui n’ont pas encore d’opinion tranchée et définitive sur tel ou tel sujet, seront convaincus par les uns ou par les autres.

L’opinion se forme ainsi, en penchant vers l’une ou l’autre de ces minorités bruyantes. Les minorités font l’opinion.

En quoi l'usage des réseaux sociaux accentue encore le phénomène de confirmation ?

Les algorithmes des réseaux sociaux invitent généralement à se rapprocher d’individus aux croyances proches des siennes. Pendant ce temps, les systèmes de blocage  permettent de ne pas s’imposer les opinions ou personnalités qui nous déplaisent.

Petit à petit, les groupes sur les réseaux sociaux se referment, et la confrontation d’idées divergentes se fait plus rare. On y trouve donc de plus en plus d’avis conformes aux siens, et d’informations correspondant à ses idées préconçues, et de moins en moins de pluralisme et de défi intellectuel.

De plus, likes, partages et retweets sont plus gratifiants qu'insultes et contre arguments. Les utilisateurs s'offrent donc les premiers par des messages clivants et marqueurs d'un certain placement idéologique, et s'évitent les seconds par des blocages.

Par cet usage, les réseaux sociaux accentuent le phénomène de confirmation.

Pour s’en sortir, chacun doit prendre conscience de ses propres biais, et s'astreindre à suivre les injonctions de Montaigne : "Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui." 

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