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Pouvoir d'achat : les racines de la perception inflationniste de l'euro chez les consommateurs en France
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Jean Quatremer publie "Il faut achever l’Euro : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’euro (sans oser le demander)" chez Calmann-Lévy. Ce livre est une plongée dans la grande histoire de la construction monétaire européenne. Si les gouvernements n’ont pas le courage d’achever la construction de l’euro, cette monnaie disparaîtra. À l’heure du Brexit, Jean Quatremer lance un avertissement : ce qui se joue, c’est l’avenir de notre argent. Extrait 2/2.

Jean Quatremer

Jean Quatremer

Jean Quatremer est journaliste.

Il travaille pour le quotidien français Libération depuis 1984 et réalise des reportages pour différentes chaînes télévisées sur les thèmes de l'Europe.

Il s'occupe quotidiennement du blog Coulisses de Bruxelles.

Il est l'auteur de Sexe, mensonges et médias (Plon, 2012)

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Personne ne peut nier que tous les citoyens ont été confrontés, en 2002, à un dérapage des prix dans les achats quotidiens (pain, café, restaurant, salon de coiffure, débit de boissons, etc.), notamment en France, en Italie ou en Grèce, où le taux de conversion à l’euro était infiniment plus complexe qu’en Allemagne (où il suffisait de multiplier le prix par deux pour avoir l’équivalent en mark, alors qu’il fallait multiplier le prix par 6,56 pour obtenir son équivalent en franc). Autrement dit, plus la perte de repères des consommateurs était grande, plus les prix ont eu tendance à déraper. Le 21 janvier 2002, Laurent Fabius, ministre de l’Économie et des Finances, dénonce d’ailleurs les « eurotricheurs » : « Je veux lancer un appel aux consommateurs eux-mêmes. Lorsqu’il y a un commerçant qui a dérapé de façon indue, il faut lui demander de faire revenir son prix à un niveau normal ou faire jouer la concurrence. » Pourtant, les autorités européennes ont nié, chiffres à l’appui, tout effet inflationniste au lieu de traiter politiquement le problème. Ainsi, interrogé dès le 3 janvier 2002, Wim Duisenberg évacue le sujet par une plaisanterie : « Lorsque j’ai acheté un Big Mac hier soir, accompagné il est vrai d’un milk-shake à la framboise, vous saurez tout, cela m’a coûté 4,45 euros, c’est-à-dire exactement le prix que j’ai déjà payé pour le même repas en deutschmarks. » 

De fait, cet effet inflationniste ne s’est pas retrouvé dans l’indice des prix à la consommation, montrant ainsi qu’il y avait une divergence forte entre la variation mesurée et la perception par le consommateur. En janvier 2007, dans une étude sur le sujet, la Banque de France explique que les prix n’ont augmenté que de 0,2 % en janvier 2002, mais reconnaît que « le saut a été particulièrement fort pour les produits à faible prix en raison des effets d’arrondi : + 6 % en moyenne pour le café servi en salle d’août 2001 à avril 2002. Cette poussée s’est produite dans tous les autres pays de la zone. Partout, elle est restée temporaire et l’inflation est vite revenue à son rythme antérieur ». Une étude confirmée en mai 2017 par l’Insee, qui affirme que « les évaluations menées sur des données micro-économiques de prix ont conclu à un impact modéré du passage à l’euro de l’ordre de + 0,1 % à + 0,2 % sur les prix ». 

Surtout, poursuit l’Insee, depuis le passage à l’euro, les prix n’ont augmenté en moyenne que de 1,4 % par an, ce qui « est nettement inférieur au rythme moyen de l’après-guerre au milieu des années 1980 (+ 10,1 % par an en moyenne). C’est aussi un peu moins qu’au cours des quinze années précédentes (+ 2,1 % de 1986 à 2001), période au cours de laquelle le contre-choc pétrolier, les baisses de TVA, les politiques de convergence et de stabilité des prix, à la suite du traité de Maastricht, avaient permis d’entrer dans une phase d’inflation modérée ». L’inflation, depuis le passage à l’euro, n’a dépassé 2 % qu’à quatre reprises : 2003, 2004, 2008 et 2011 et elle a quasiment stagné en 2009, 2015, 2016 et 2017. Mieux, l’inflation sous-jacente, celle qui exclut les composantes volatiles comme l’énergie, n’a été que de  1,2 % en moyenne et de 0,5 % depuis 2013. Bref, s’il y a bien eu une monnaie historiquement inflationniste, c’est le franc.

Le sentiment inflationniste

Alors, comment expliquer ce sentiment populaire, qui a longtemps perduré ? Selon l’Insee, c’est parce que « l’indice des prix à la consommation se réfère à un panier de consommation moyen alors que les consommateurs retiennent probablement leur propre structure budgétaire ». La Banque de France, dans son étude de 2007, note que « depuis 1996, 40 % des ménages auraient subi une inflation plus forte que l’indice, 40 % une inflation équivalente à l’indice et 20 % une inflation inférieure. Ces écarts peuvent alimenter l’impression d’une inflation générale plus élevée ». Ensuite, toujours selon l’Insee, « les ménages accorderaient plus d’importance aux prix en hausse qu’aux prix en baisse ou stables, car ce sont les premiers qui peuvent constituer une menace pour l’équilibre de leur budget ». Et il est vrai que les commerçants, pour atteindre des prix « ronds », ont très souvent ajusté leurs prix à la hausse plutôt qu’à la baisse. 

De même, selon l’Institut, le consommateur observe d’autant mieux les variations de prix que les produits sont achetés plus fréquemment : ainsi, il est plus sensible aux hausses du prix du pain qu’aux baisses des appareils électroménagers. Enfin, « les ménages ont gardé ancré dans leur mémoire le dernier prix connu en francs : pour la baguette, par exemple, ils auraient tendance à comparer son prix actuel (0,87 euro en moyenne) à son dernier prix de 2001, d’en moyenne un peu plus de 4,30 francs (0,66 euro). Par nature, cet écart s’amplifie au fil des ans à mesure que la date du passage à l’euro fiduciaire s’éloigne ; un tel ancrage dans le temps n’est susceptible de se produire qu’à l’occasion d’un changement de monnaie ». Or, l’augmentation de plus de 30 % du prix de la baguette depuis 2002 correspond en réalité à une hausse annuelle de 1,9 %, soit légèrement plus que l’inflation. Ajoutons que le double affichage des prix, qui se prolonge en France, par exemple sur les relevés bancaires, ne facilite pas les choses, la somme en francs renvoyant à un taux de conversion vieux de vingt ans… 

Reste que la solution pour prévenir un tel sentiment d’inflation était d’une rare simplicité : instaurer un contrôle temporaire des prix. Chypre, Malte, la Slovaquie et les trois pays baltes l’ont fait lorsqu’ils ont rejoint l’euro, sur une base obligatoire ou volontaire, alertés par ce qui s’est passé en 2002. En France, en septembre 2000, lors d’un conseil informel des ministres de l’Économie et des Finances à Versailles, Laurent Fabius a écarté avec fermeté une telle solution. On ne saura jamais si c’était parce que le contrôle des prix était peu conforme à la doxa « libérale » en vogue à l’époque ou s’il a sciemment cherché à saboter le passage à l’euro, lui qui, quatre ans plus tard, appellera à voter non au traité constitutionnel européen et à cette Europe trop libérale à son goût…

Extrait du livre de Jean Quatremer, "Il faut achever l’Euro : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’euro (sans oser le demander)", publié chez Calmann-Lévy.   

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