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Pourquoi vous ne devriez vraiment pas vous fier à Instagram pour décider de votre nouvelle décoration intérieure
©MIGUEL MEDINA / AFP

Insta-drame

Les professionnels du milieu de la déco sont de plus en plus nombreux à utiliser le réseau social Instagram pour mettre en avant leurs créations.

Emilie Coutant

Emilie Coutant

Emilie Coutant est sociologue, consultante en mode, médias, tendances, risques et addictions.
Docteur de l’Université Paris V, elle a soutenu une thèse intitulée “Le mâle du siècle : mutation et renaissance des masculinités. Archétypes, stéréotypes, et néotypes masculins dans les iconographies médiatiques” (2011). Fondatrice et dirigeante de la société d’études qualitatives et prospectives Tendance Sociale, elle réalise études et enquêtes sociologiques pour le compte d’entreprises ou d’institutions. Enseignante dans diverses universités et écoles de mode, elle est également Présidente du Groupe d’Etude sur la Mode (GEMode), rédactrice éditoriale des Cahiers Européens de l’Imaginaire et secrétaire du Longeville Surf Club.
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Atlantico : Comment est-ce qu'Instagram a raccourci la durée des tendances en termes de décoration et d'architecture d'intérieur ? De manière générale quel a été l'impact d'Instagram sur ces sujets et les professions qui y sont liées ?

Emilie Coutant : Ce que l’on observe ces dernières dans le domaine de l’architecture d’intérieur est une prolongation d’un mouvement initié dans le monde de la mode. En matière d’inspiration créative et de décoration, ce sont de nouveaux acteurs (influenceuses, modeuses, blogueuses, instagrammeuses…) qui, à travers les réseaux sociaux, donnent le LA et révèlent les tendances à suivre à coups de hashtags au caractère très éphémère. Or, plus ces images et styles seront partagés, plus ils risquent d’être rapidement dépassés. Les tendances suivent une courbe de Gausse: plus elles sont suivies, plus elles risquent de rapidement tomber en désuétude. L’immense réservoir d’images partagées avec les mêmes hashtags et dans un objectif de courses aux likes accélère la durée de cycle des tendances.

Cependant, si les tendances à suivre semblent aussi éphémères que les mots-clés qui y sont liés, c’est bien la tendance de fond qui est révélateur d’un changement à l’égard du rapport à la consommation et la construction du soi. Les recherches sur des réseaux comme Pinterest avant d’acheter sont devenues pratiques courantes et Instagram apparait désormais comme un réseau social incontournable pour les passionnés de décoration intérieure, d’upcyling et autre Ikea Hack (détournement de meubles Ikea), faisant de cette plateforme un véritable lieu de rencontres, de partages d’expériences et de mise en avant de ses choix identitaires. En effet, ces expositions de soi et mises en scènes de la vie personnelle participent de la construction de l’identité. La société dans laquelle nous vivons est de moins en moins individuelle et de plus tribale. Nos désirs d’achats et choix personnels sont guidés par cette volonté d’appartenance tribale. Il s’agit là d’un parcours initiatique dans lequel chacun s’inspire tout en inspirant l’autre. Nous ne sommes plus dans cette logique verticale et ascendante de la mode mais bien dans une transmission horizontale de valeurs. Or, les marques et entreprises se sont insérées dans ce parcours en ayant également “pignon sur rue” sur ces plateformes. Les réseaux sociaux dans ce secteur sont un moyen d’accroître leur visibilité et de promouvoir leurs produits.  En utilisant ces canaux, et en favorisant la transmédialité, les marques décuplent leur performance sociale constituée de leurs communautés, des publications et des interactions. L’impact de ces réseaux a été de favoriser un engagement fort d’une communauté autour d’un secteur dans lequel marques et influenceurs s’inspirent mutuellement en inspirant d’autres acheteurs.

Quel risque prend-t-on on vouloir calquer ce que l'on a pu voir sur ce réseau social sur son propre lieu de vie ?  Ne risque-t-on pas de se lasser assez rapidement ?

L’imitation est, avec la distinction, une des dimensions de la dialectique de la mode. Gabriel Tarde plaçait l’imitation au principe même de toute activité humaine : “la réalité sociale c’est l’imitation sous toutes ses formes.” La mode concilie ces deux sentiments  contradictoires présents dans la société : le besoin de distinction et le désir d’appartenance. Elle dessine ainsi l’unité d’un groupe et sa rupture avec l’extérieur. En s’inspirant des images partagées sur Instagram et autres réseaux pour guider ses désirs d’achats, on cherche bien sur à s’imprégner des styles esthétiquement valorisées et mis en avant par des figures d’influences partageant leurs acquisitions et savoir-faire et constituant ainsi un groupe de projection et de référence en la matière. Ces sources d’inspiration, plus proches de soi et plus “cools”, qui semblent libérées du joug de la publicité des marques et enseignes spécialisées deviennent finalement des styles mainstream que l’on finit par retrouver partout alors qu’ils ne correspondent pas à tous les intérieurs.  Comme nous devons accepter que certains styles vestimentaires conviennent plus à certaines personnes, nous devons accepter que certaines tendances de décoration intérieure ne conviennent pas à tous les habitats.

Enfin, quels conseils pourriez-vous donner  en termes d'aménagement? Est-ce pour autant une mauvaise chose de s'inspirer de ce que l'on peut voir passer et qui retient notre attention ?

En termes d’aménagement, je n’ai pas de conseils à donner, chacun son métier. Je ne pense pas que les consommateurs d’aujourd’hui soient encore les moutons individualistes que le paradigme moderne de la mode (et de la société de manière globale) avait engendré. Ce que les penseurs et observateurs sociaux constatent depuis quelques décennies c’est la naissance d’une nouveau rapport à la consommation, à l’apparence et à la construction du style de soi. Une nouvelle prise en compte de la singularité de chacun permet de sortir d’une tyrannie des normes en rendant visibles les différences, les étrangetés voire les déviances. Les réseaux sociaux participent de cette mutation en offrant à voir des alternatives au diktat de l’industrie de la mode. Ce n’est ainsi pas une mauvaise chose de s’inspirer de ce que l’on peut voir passer à condition de bien constituer son fil d’actualité et donc de faire de faire les bons choix en matière d’abonnements. A ce titre, le conseil que je pourrais donner est de regarder du côté des tendances éthiques dans la mode et l’architecture d’intérieur, privilégier des matières et matériaux durables, miser sur des marques engagées et responsables à l’égard de l’environnement et de l’humain dans toute sa filière de production, depuis la création jusqu’à la distribution. Car s’il y a bien un enjeu fondamental dans la mode de demain, des créatifs aux consommateurs en passant par les fabricants et les influenceurs, c’est bien celui de la responsabilité de chacun face aux conséquences de la “surfabrication” et de la “surconsommation” d’objets de mode et de décoration.

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