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Pourquoi rien n'a été prévu en Irak pour assurer la transition après la reprise de Mossoul
©MOHAMED EL-SHAHED / AFP

Civil war

Malgré la reprise de Mossoul, la situation est encore loin d'être stable dans la ville irakienne. une justice tribale contre lessunnites associés de près ou de loin à Daesh fait rage. Une nouvelle guerre civile est à prévoir.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico.fr : Comment expliquer l’absence de mise en place d’un système juridique de transition de la part de Bagdad depuis la reprise de Mossoul?

Alexandre Del Valle : La genèse de ce problème remonte à l'invasion américaine de 2003, lorsque, au lieu de trouver une solution politique incluant les sunnites qui étaient encore issus de la mouvance de Saddam Hussein, il y a une logique américaine assez paradoxale consistant à laisser le pouvoir aux Kurdes côté Kurdistan et aux Chiites dans le reste de l'Irak. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître ceci a bénéficié essentiellement à l'Iran! La solution politique était impossible tant que les sunnites étaient exclus de ce projet qui aurait permis que tout le monde puisse vivre ensemble.  

Aujourd'hui, c'est le même cas de figure. Les mêmes sont au pouvoir à Bagdad, c’est-à-dire des Chiites revanchards appuyés par l'Iran, sauf que depuis ils se sont un peu affranchis des Américains. Aujourd'hui c'est la logique iranienne qui prévaut, même s'ils n'oublient pas les Etats-Unis qui les ont aidés. Les conditions sont aussi mauvaises qu'en 2003. On n'a pas écouté le général Petraeus, qui voulait une solution politique globale, car les dirigeants de Bagdad ne tiennent absolument pas à partager un tant soit peu le pouvoir avec les sunnites! Donc le problème reviendra et el Djihadisme continuera dans ce pays, à n'en point douter. 

Faute de transition, les éxecutions sommaires se multiplient de la part de l'armée irakienne (MEE) et des civils. Il semblerait que ce soit les ordres donnés qui stipulent d'exécuter "hommes, femmes, enfants" car "les prisons sont trop peuplées pour accueillir les anciens partisans de Daesh". Est-ce vrai?

Ce n'est pas tout à fait faux…  Mais en plus des problèmes structurels et logistiques, il règne une volonté de vengeance. Et pour cela, beaucoup de sunnites continuent d'être punis pour la participation d'un membre de leur famille aux opérations de Daesh. Pourtant, les sunnites n'étaient pas tous du côté de Daesh! Beaucoup y étaient même farouchement opposés! Il va y avoir à nouveau un sentiment de punition générale chez les sunnites de la part des chiites, sous prétexte d'une volonté d'éradiquer l'Etat Islamique. Je pense donc que la guerre civile irakienne ne fait que commencer.

Un dialogue entre le Bagdad chiite et le Nord sunnite est-il totalement inconcevable?

Ca va être difficile. Quand l'EI a réussi a réussi à conquérir une grande partie du territoire irakien, c'est parce qu'un grand nombre de sunnites se sentait exclu voire persécuté par les chiites revenchards depuis des années. Ce qui n'est pas faux, ils ont réellement été persécutés. Et ce problème-là, qui a fait naître Ai-Qaida en Irak puis l'Etat Islamique, est toujours intact. Il n'a absolument pas été taité. Donc l'Irak ne connaitra pas la paix, tant qu'il n'y aura pas une solution incluant chiites et sunnites arabes. Cela passerait par un Irak fédéral, avec une répartition du pouvoir, des compétences, des ministères par exemple. Mais avec un pouvoir chiite pro-iranien qui n'a pas retenu les leçons de la naissance de Daesh,  cette situation peut durer encore des décennies.

Quel avenir pour Mossoul? Peut-on espérer une stabilisation de la région sans même forcément parler de la présence de l’EI qui n’a jamais cessé d’exister depuis la chute?

Mossoul sera l'épicentre d'un conflit national et régional, car plusieurs forces internes et externes veulent la contrôler. Effectivement, il y a encore une présence résiduelle de l'EI à Mossoul. Deuxième problème : les Kurdes veulent Mossoul. Troisième problème : la Turquie aussi revendique une sorte de contrôle datant de l'Empire Ottoman.

Mossoul n'est plus majoritairement Kurde comme elle le fût dans la passé. Mais les Kurdes le revendiquent comme un territoire du Kurdistan mais c'est impossible puisqu'on y trouve une majorité d'arabes désormais. Et Mossoul étant majoritairement sunnite, les Turcs, ou plutôt le néo-sultan Erdogan, profitent du fait que les sunnites se sentent persécutés et que Mossoul demande des gages de protection pour se présenter comme le nouvel empire ottoman. Erdogan, en nouveau sultan ottoman, affirme qu'il ne permettra pas qu'une telle situation se reproduise à Mossoul, et qu'il interviendra.  

Aujourd'hui je ne vois pas comment l'Amérique peut inobliger ces différents acteurs à s'entendre eux. Elle n'a pas joué la carte de l'équilibre des forces. La Turquie lui en veut d'avoir trop aidé les Kurdes, les Iraniens veulent encore plus la part du lion ce qui fait peur aux forces sunnites. Ce sont des problèmes lourds qui devraient durer longtemps. 

Et puis il y a toujours cette justice tribale, qui veut punir tout ceux qui ont été associés de près ou de loin à l'Etat islamique. On est très très loin d'une réconciliation à la sud-africaine! 

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