Pourquoi nous ne choisissons pas du tout les mêmes couleurs de voitures que nos grands-parents<!-- --> | Atlantico.fr
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74% des voitures vendues dans le monde sont ou noires, ou blanches, ou grises.
74% des voitures vendues dans le monde sont ou noires, ou blanches, ou grises.
©Reuters

Noir, blanc ou gris ?

Trois voitures sur quatre vendues dans le monde ne sont pas "colorées". En France, il devient de moins en moins fréquent de voir des automobiles afficher un bleu voyant ou un jaune étincelant. Et le goût des consommateurs est loin d'être la seule raison à cette tendance à la sobriété.

Bernard Roullet

Bernard Roullet

Bernard Roullet a occupé divers postes marketing en entreprise et dans le conseil, avant de soutenir une thèse de doctorat en sciences de gestion affichant une vision résolument neuroscientifique. Il est l'auteur de Neuromarketing aux éditions Dunod.

Après quatre années passées à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne en tant que maître de conférences, où il créa un cours doctoral et de Master 2 en neuroscience du consommateur, il enseigne désormais à l’université de Bretagne Sud (UBS).

Ses thèmes de recherche, abordés sous l’angle neuroscientifique, incluent le marketing sensoriel et la couleur, les phénomènes émotionnels et les processus implicites de reconnaissance et de mémorisation. Il est chercheur à l’IREA et membre associé du PRISM.

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Atlantico : 74% des voitures vendues dans le monde sont ou noires, ou blanches, ou grises : une tendance quasi universelle. Pourtant, il y a encore quelques décennies, des coloris plus "voyants" étaient d'usage. Pourquoi cette évolution vers la "sobriété" ?

Bernard Roullet : Cela me fait penser à Henry Ford à qui l'on reprochait le côté "triste" de sa Ford T, comme quoi c'est une question assez ancienne ! Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix. Il y a tout d'abord un abord commercial : il y a eu certains souvenirs cuisants dans le passé, notamment avec des voitures de couleurs comme la Renault 14 que l'on surnommait "la poire" et qui ont fini par véhiculer une assez mauvaise image avec leurs couleurs vives. Le noir s'est ensuite imposé, quasiment à l'échelle mondiale d'ailleurs, comme une couleur de bon goût. Une photo était même restée célèbre au Congrès du Parti communiste chinois où sur un immense parking, majoritairement des Mercedes et des Audi, toutes les voitures sans exception étaient noires.

Il y a aussi un aspect psychologique. C'est une tendance qui est valable aussi pour les vêtements ou l'électroménager : en période de crise, l'humeur s'en ressent et on va vers des couleurs plus atone. Mais si la crise dure trop longtemps, il existe un effet rebond, et on peut assister un retour aux couleurs vives. Un retour aux voitures colorées est donc possible.

Mais il y a aussi une raison purement industrielle : dans les coûts de fabrication d'une voiture, la peinture occupe maintenant une part non négligeable, et sa composition devient complexe avec des particules générant des reflets. Donc, lorsque l'on est un constructeur moyen de gamme, on ne doit pas se tromper sur la première palette de couleurs que l'on va proposer. Et pour des raisons marketing, les manufacturiers, études à l'appui, vont vouloir jouer la sécurité en proposant des couleurs peu voyantes. Et cela entretient une logique autoréalisatrices : si Renault a besoin de peinture, l'entreprise va se tourner auprès de fabricants, qui vont se tourner auprès de pigmentiers, bref toute une chaîne de risques. Donc pour se sécuriser, on va jouer la tendance actuelle, et ne pas s'en écarter. Et comme on est persuadé que c'est "la bonne couleur", on finit par avoir une sur-offre qui influence l'opinion. 

Le fait qu'une partie du marché de la voiture soit de l'occasion joue-t-il sur la réserve des consommateurs ?

En effet du point de vue du demandeur, la possibilité de revendre son véhicule va jouer dans son choix. Il est certain qu'il sera plus difficile de revendre un monospace couleur moutarde ou fluo, ce qui peut inciter à ne pas se tourner vers ces couleurs même si on les apprécie. C'est un phénomène que l'on retrouve aussi dans une autre caractéristique des voitures : le duel diesel-essence. Jusqu'à très récemment, deux tiers des voitures en vente sur le marché de l'occasion étaient des diesel. Pourtant, à moins de conduire vraiment beaucoup sur une année, il n'y avait pas d'intérêt particulier à rouler en diesel, les essences étant plus agréables et sportives à conduire. Mais les gens achetaient malgré tout du disel... Il suffit parfois de quelques incitations d'ordre politique pour diriger les consommateurs vers un choix qui ne correspond pas à leurs attentes réelles.

On a l'image d'un secteur des voitures de luxe où les couleurs sont plus "variées". Est-ce le cas ?

Je ne dirais pas que c'est plus varié, c'est plutôt plus "assumé". Mais on voit, dans les segments les plus élevés dans le marché de l'automobile voire dans le luxe, une tendance assez similaire à évoluer vers des coloris discrets. L'ostentation existe, mais elle a tendance à se réduire. Mais c'est quelque chose surtout marqué en Europe : on hésite moins à montrer sa richesse et ses goûts aux Etats-Unis ou dans les pays émergents.

Un seul gros marché échappe au diktat blanc/noir/gris : l'Inde. Les pays émergents, où se vendront la majorité des voitures à l'avenir, peuvent-ils insuffler un changement de mentalités ?

Il y a de plus d'entreprises mondialisées mais qui sont obligées d'appliquer quelques considérations locales. On parle d'ailleurs de stratégies "glocales" pour désigner cette approche, mais cela ne signifie pas un mouvement de fond. Et il existe également des questions liées au terrain : on vend, en effet, plus volontiers des coloris clairs dans les pays au climat tropical ou subtropical, plus que du noir en tout cas. Et l'Inde reste un pays très particulier puisque les choix de couleurs sont très liés à des considérations d'ordre sociale, les castes les plus aisées ayant des couleurs associées assez claires et marquées, les castes inférieures étant rattachées aux coloris foncés. Dans le cadre de ce pays on est plus dans des considérations culturelles millénaires que dans le début d'un mouvement de fond.   

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