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Pourquoi les oeuvres dystopiques déprimantes attirent tant de gens par temps de pandémie ?
©Ilya S. Savenok / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Univers cauchemardesques

Lors de la période de confinement, les livres, les séries et les films qui traitaient de sujets terrifiants ou angoissants se sont massivement vendus. Comment expliquer ce phénomène ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur la santé mentale à moyen ou à long terme ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Face au confinement, les ventes de films, séries, livres, traitant de sujets terrifiant ou déprimant ont explosé. Comment l'expliquer ?

Pascal Neveu : Ce que vous évoquez est connu sous le nom de dystopie.

C’est l’inverse de l’utopie, pensée et message d’espoir.

L’utopie c’est penser le bonheur, l’existence et être heureux de manière peut-être éthérée car ce lieu n’existe finalement pas.

Une dystopie est en quelque sorte un récit, une fiction, décrivant une société organisée de telle façon qu'il est impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer un pouvoir contraignant sur des citoyens impossibles d’atteindre le bonheur.

C’est finalement le cauchemar d’une vie.

Elle naît du monde de la science-fiction, de contenus effrayants, de récits d’anticipation comme HG WELLS a pu l’écrire à travers son célèbre 1984. Mais il n’était pas le seul à décrire de mondes aussi terribles.

Mais cette idée surfe sur toutes les théories complotistes, nombreuses en ce moment.

En effet, le climat anxiogène, les discours non rassurants, voire doubles, accentuent une ambiance paranoïaque qui laisse diffuser des pensées contre nos libertés fondamentales, faisant imaginer que nous sombrons dans une dictature.

Comment l’expliquer ?

Entre autre par notre relation à cette mort qui nous est livrée tous les soirs.

Ces chiffres terrifiants. Mais aussi l’histoire de nos pandémies mondiales.

 Nous savons tous que nous allons mourir…

Mais l’habitude depuis 2001à New-York, des guerres précédentes en Irak, puis contre Daesh, ensuite hélas nos attentats parisiens… toutes ces atrocités internationales, nous ont fait développer des mécanismes de défense nationaux.

La pandémie relève d’un autre ordre… Ce qui se passe à l’étranger devient un danger voisin. Et je peux en mourir. D’ailleurs qui ne connaît pas un proche contaminé, voire hélas décédé, et fort heureusement d’autres guéris.

Aussi, à travers toutes ces pensées, et le confinement, nous pouvons sombrer dans des pensées plus négatives et morbides.

Il est question d’éros et de thanatos, de pulsion de vie et de mort.

La mort règne actuellement… et nous renvoie à nos pires cauchemars.

Pour les contrôler, rien de tel que les maîtriser en les lisant, en les voyant, en les contrôlant et finalement leur faire un pied de nez.

Quelles conséquences ce phénomène peut-il avoir sur la santé mentale à moyen ou long terme ?

Ceci pose des questionnements importants car tout sujet d’angoisse, de crise, de mort, de désespoir crée inévitablement une épidémie, voire une pandémie psychologique.

L'impulsion est de voir à quel point la situation peut vraiment empirer et de vous demander si vous pourriez hypothétiquement survivre à cela

Par exemple, un trentenaire a lu quatre livres post-apocalyptiques d'affilée Pour autant il a trouvé en ces récits fictifs un soulagement en partie parce qu'ils lui ont rappelé que peu importe la gravité de la pandémie mondiale de Covid-19, les choses pourraient être pires. Il était particulièrement attiré par la résilience des personnages, car non seulement ils survivent, mais ils tentent de mener une vie pleine de sens au lendemain d'une catastrophe.

Mais tout comme La Peste de Camus reste le roman le plus vendu depuis le début de la pandémie, on observe des tropismes divers tels :

- L'écrivain prophétique qui nous donne de l'espoir

- Le jeu  devenu une forme de méditation

Par exemple, le jeu vidéo Plague Inc, un jeu vidéo de 2012, qui encourage les joueurs à propager une maladie dans le monde avant qu'un remède ne soit trouvé, qui a vu son téléchargement augmenté de 123% de janvier à mars de cette année est apparu comme une source de réconfort. « Dans le passé, j'avais peur de perdre le contrôle de la vie, mais quand je joue au jeu, je suis pressé de pouvoir contrôler le monde entier. Je ne ressens plus le besoin de contrôler tout, mais si je suis récompensé de le faire, je le ferai. » précise un utilisateur.

La société a par la suite décidé de travailler sur un nouveau mode de jeu qui permet aux utilisateurs de sauver le monde d'une épidémie plutôt que de propager la contagion. Cette version permettra aux joueurs de surveiller la progression de la maladie, de renforcer les systèmes de santé et de gérer les sociétés grâce au triage, à la mise en quarantaine, à l'éloignement social et à la fermeture des services publics.

En effet des images hyper-réelles du chaos urbain ou des terres désolées sont des scénarios catastrophiques sur le plan psychologique.

En fait, nous nous tournons vers des histoires dystopiques pour voir ce qui va advenir.

Ce n'est pas seulement le sujet de la pandémie qui attire les gens. C’est la nature de la narration dystopique qui captive vraiment le public en temps de crise. Peur, angoisse et mort.

Aussi, si quelqu'un se sent dépassé et inquiet pour l'avenir, et les personnes plus fragiles psychologiquement, ce qui se joue actuellement pourrait faire plus de mal que de bien.

Car il y a des sentiments de choc, d'impuissance et d'incertitude.

C’est comme penser notre vie à travers la série télévisée The Walking Dead, nous concentrant sur le nihilisme ou la survie quotidienne.

Pour autant à travers nos angoisses, l’histoire suscite l'espoir.

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