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Pourquoi le "strike" que pourrait réaliser Marion Maréchal-Le Pen sur la droite n’est pas aussi évident que certains semblent le croire
©Natalia KOLESNIKOVA / AFP

Pas si simple

Sur France Info, Rachida Dati a déclaré à propos de la nièce de Marine Le Pen qu'elle "allait faire son Macron de droite" en cas de retour à la vie politique.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Rachida Dati a déclaré sur France Info à propos de Marion Maréchal Le Pen, qu'elle pourrait devenir le Macron de droite. « Elle va vous faire une union des droites elle, genre je suis nouvelle, j'incarne le renouveau, et elle va faire un strike ». Cette déclaration est-elle plausible selon vous ?

Christophe Boutin : Rachida Dati a de grandes qualités pour comprendre d’où souffle le vent en politique, et il est vrai que la thématique de « l’union des droites » est manifestement dans l’air du temps.

Ce n’est pas nouveau, et il faut revenir à la tactique par laquelle François Mitterrand bien sûr, mais aussi les médias dominants, divisèrent la droite. Premier temps, assimiler tout discours sur l’immigration à du racisme, en usant tant que faire se peut de la reductio ad hitlerum. L’effet a été la croissance, élection après élection, du seul parti qui maintenait un discours clairement opposé à l’immigration. Deuxième temps, établir un « cordon sanitaire » empêchant toute alliance électorale ou toute collaboration entre les élus de la droite gaulliste et centriste et ceux du Front national. C’est la tragi-comédie de 1998, quand la droite perd des régions pour ne pas « perdre son âme » comme le déclarait Michel Noir.

À partir de là, la partie est gagnée : soit la division de la droite empêche sa victoire, soit, même si elle arrive au pouvoir – ce qui n’a été possible pour l’instant que pour la seule droite dite « républicaine » -, elle ne peut mener une politique qui assèche le réservoir de voix du Front national. On comprend donc que la question des « alliances à droite » ou de « l’union des droites » soit un vieux serpent de mer. Pourtant, les deux chefs des principaux partis ne veulent pas en entendre parler. Pour Laurent Wauquiez, il n’y aura pas plus d’alliances avec le Rassemblement national qu’il n’y en a eu avec le Front national. Pour Marine Le Pen, il s’agit d’une idée « obsolète et ringarde », une « arlésienne qui n’a jamais marché ».

On comprend les intérêts respectifs de ceux qui restent de potentiels candidats à la prochaine élection présidentielle. À la tête d’une structure partisane forte d’un important réseau d’élus, Laurent Wauquiez espère, par un discours « droitisé », réussir, comme Nicolas Sarkozy le fit en 2007, à faire venir à lui les électeurs lepénistes. Mais les récents sondages lui laissent pour l’instant peu de chances de tourner au premier tour devant Marine Le Pen, condition pourtant sine qua non de la réussite d’un tel plan. Quant à Marine Le Pen, elle dispose elle aussi d’une structure partisane qui, malgré ses récents déboires, semble lui rester fidèle, et n’entend pas fondre ce qu’elle maîtrise dans une alliance où elle devrait partager son pouvoir. De plus, elle croit toujours, autour du « souverainisme », dépasser le clivage droite/gauche comme Emmanuel Macron sut le faire de son côté, et l’union des seules droites lui semble réductrice.

Pour autant, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Frédéric Poisson ont lancé les « Amoureux de la France » pour « unir les patriotes » ; d’autres politiques, dont Thierry Mariani ou Emmanuelle et Robert Ménard, ont signé un « Appel d’Angers » qui prône l’union des droites ; et, sur le terrain, des élus locaux commencent ouvertement à envisager des actions communes. Que manque-t-il ? Peut-être une personnalité fédératrice qui ne soit liée à aucun appareil de parti et permette de dépasser les guerres des chefs. Une personnalité qui puisse imposer un discours commun cohérent qui s’opposerait au mondialisme macronien. Or Marion Maréchal pourrait effectivement représenter assez bien cela. Elle a d’abord su quitter un parti politique et l’assurance d’une carrière pour être libre de ses choix. Et elle a ensuite assumé, par exemple lors de son discours au rassemblement de Washington en février, un discours conservateur qui est le seul à même de rassembler les droites.

Dans la mesure où elle ne peut pas créer d'effet de surprise ni de véritable nouveauté, cette comparaison tient-elle vraiment ?

L’effet de surprise jouerait quand même : que l’ex-députée revienne pour porter l’union des droites serait aussi surprenant que de voir un ex-ministre des Finances se lancer seul dans la course à la présidentielle. Quant à la nouveauté, elle résiderait dans ce discours conservateur assumé qui n’a pas encore trouvé son porte-voix aussi dans la rencontre du public avec une jeune femme encore mal connue.

Là où les choses seraient sans doute différentes d’avec l’aventure d’Emmanuel Macron, ce ne serait pas sur la surprise ou la nouveauté mais sur le financement et le soutien médiatique. Emmanuel Macron a en effet levé des fonds avec une vitesse et une ampleur rarement égalées, et dire que les médias mainstream ne lui ont pas été hostiles est une douce litote. On peut penser que Marion Maréchal ne bénéficierait sans doute pas de ces appréciables avantages si elle se décidait à se lancer dans une telle bataille.

Comment pourrait-elle structurer un mouvement d'union des droites ? Au niveau des idées, la défense de la Nation est certes un sujet transversal, mais quels sont les autres thèmes sur lesquels il est impératif de se positionner ?

 Il est difficile de dire comment un mouvement d’union des droites pourrait se structurer derrière Marion Maréchal, mais on peut retenir deux éléments importants. Le premier est la nécessité d’une grande liberté laissée aux initiatives locales. Point n’est besoin de tout caporaliser dans des structures partisanes qui ont largement fait leur temps, et il faut fédérer plus que régenter, comme Emmanuel Macron a su parfaitement le faire dans la phase de création d’En Marche en 2016-2017, la règle d’or étant le pragmatisme et non l’idéologie. Le second élément, pour permettre justement de fédérer ces éléments divers, est de disposer d’un « programme commun » réduit à quelques principes simples repris du corpus conservateur.

 On pourrait citer à ce sujet cinq thèmes. Deux thèmes importants d’abord pour la survie de la nation : ceux de son identité et de sa souveraineté. Vouloir traiter l’un sans l’autre est une aberration intellectuelle : à quoi me sert d’être souverain en effet si je ne suis plus moi-même ? C’est d’ailleurs un des éléments qui a  conduit au déphasage de la campagne menée par Florian Philippot pour le Front national en 2017, axée sur le souverainisme, principalement dans le rapport entre nations et Union européenne, mais finissant par négliger les éléments identitaires qui sont certes des marqueurs forts du discours de droite, mais qui touchent bien au-delà aujourd’hui, à cause de cette « insécurité culturelle » décrite par Laurent Bouvet.

Deux thèmes importants ensuite pour la vie politique et économique de cette nation : le couple autorité et liberté, lui aussi présent dans l’univers de la droite, mais qu’un Proudhon ne reniait nullement, parce qu’il ne peut y avoir de libertés sans une autorité à même de les garantir, et parce que si elle ne préserve pas les libertés l’autorité n’est qu’une tyrannie. Il faut arriver à ce que les initiatives, notamment économiques, puissent se faire en échappant à un inutile carcan normatif et, en même temps, à ce que la loi soit respectée par tous et partout.

Un thème anthropologique enfin : la société doit permettre l’épanouissement de la personne et pour cela préserver la structure familiale des déconstructions qui sont à l’œuvre.

Ces thèmes, présents dans les diverses familles de pensée conservatrices, du traditionalisme au nationalisme ou au christianisme social, qui relèvent souvent du simple bons sens, se retrouvent aujourd’hui aussi bien dans les attentes des Français, exprimées sondages après sondages, que dans les récents discours fédérateurs « des droites », en notamment dans l’Appel d’Angers.

Dans l'hypothèse où elle serait candidate en 2022, quelle serait la trajectoire possible d'ici là ?

Nous l’avons dit, Marion Maréchal ne bénéficierait sans doute pas des mêmes soutiens qu’Emmanuel Macron. Nous aurions en fait trois hypothèses.

Dans la première, elle attendrait 2022 sans participer à des compétitions électorales, se contentant de s’impliquer dans la préparation des projets fédérateurs qui pourraient naître, et se posant in fine en ultime recours politique. Son succès supposerait alors qu’elle fédère largement derrière elle, qu’il n’y ait que peu de candidatures concurrentes, et qu’elle puisse faire partie des deux candidats arrivés en tête. Pour être clair, cela supposerait sans doute l’effacement en 2022 de sa tante.

Deuxième hypothèse, elle voudrait apparaître politiquement avant 2022, et ne choisirait pas le terrain national, pour ne pas être trop impliquée dans la politique quotidienne, mais celui de la défense des intérêts de la France à Bruxelles. Il faudrait alors qu’elle soit à la tête d’une liste de rassemblement des droites aux européennes en 2019, ce que la campagne très pro-Union européenne d’Emmanuel Macron pourrait réussir à imposer.

Troisième hypothèse, elle démontrerait ses capacités à fédérer au niveau national cette fois, en conquérant une collectivité locale de première importance, grande ville ou région avant 2022. En sachant que cette dernière hypothèse n’est pas exclusive de la précédente.

L'académie de sciences politiques créée par Marion Maréchal-Le Pen ouvrira ses portes à Lyon à la rentrée prochaine, ont annoncé des élus FN de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Quel rôle peut jouer cette académie dans une potentielle fusion des droites ?

Ce sont semble-t-il deux choses différentes, car Marion Maréchal ne veut pas créer une « école de cadres » de la droite, même fusionnée. Elle partage sans doute certainement un constat avec les ex-bloqueurs de Science-Po Paris : la rue Saint-Guillaume est bien de nos jours la « machine macronienne », celle qui forme les élites conformes de la globalisation heureuse. Dans ce cadre, il n’est pas interdit de penser qu’il y a de la place à côté pour des formations indépendantes et comme telles autorisées à sélectionner. Mais cette académie ne fera pas pencher la balance en faveur d’une union des droites, tout au plus contribuera-t-elle à ouvrir le débat sur la formation pluraliste de l’élite de demain.

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