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Pourquoi le Blockchain déroute tant les entreprises
©Petras Malukas / AFP

Climat de suspicion

De nombreuses firmes vont mettre un frein à leurs expérimentations qui visent à introduire la blockchain dans leur modèle de fonctionnement. En quoi cette technologie serait pourtant utile aux entreprises ?

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Un article de Bloomberg nous informe que bon nombre d’entreprises vont mettre un frein à leurs expérimentations qui visent à introduire la blockchain dans leur modèle de fonctionnement. En quoi cette technologie serait pourtant utile aux entreprises ? 

David Fayon : Déjà beaucoup assimilent à tort la blockchain aux crypto-monnaies de type Bitcoin. C’est un aspect très réducteur même s’il existe plus de 1 800 crypto-monnaies (https://currencio.co) et que même Nabilla (https://www.youtube.com/watch?v=9Eys7uaZOvw) a fait l’apologie du Bitcoin alors que sa cotation était au plus haut. Avec la technologie qui repose sur les chaînes de blocs, les usages sont très divers.
Toute la technologie repose sur le jeton (token) et sur trois caractéristiques importantes : la traçabilité, la confiance avec un très haut niveau de sécurité, l’anonymat.
La technologie blockchain, décentralisée, supprime les intermédiaires, la preuve (ou le process de signature) étant par ailleurs distribuée et non centralisée. On retrouve les concepts initiaux du réseau Internet à ses débuts avant l’arrivée des GAFA. Ceux-ci ont abouti à une recentralisation du réseau des réseaux et à l’omnipotence numérique de quelques géants.
Les transferts d’actifs (et pas seulement pour le seul transfert d’argent où avec des intermédiaires en moins, les frais sont réduits, ce qui constitue par ailleurs une menace pour les banques et surtout les chambres de compensation) concernent aussi les titres de propriété, les votes, etc. 
Avec les « contrats intelligents », programmes autonomes qui s’exécutent automatiquement une fois des conditions préalablement définies vérifiées (du type « si » condition « alors » action), il est possible de générer des actions automatiquement. Ce peut être par exemple pour des décisions d’achat ou de vente.
Enfin la blockchain est utilisée en tant que registre avec traçabilité et certification. Les applications concernent tous les documents légaux comme certificats de naissance, de mariage, diplômes, actes notariés, etc. La blockchain ne permet cependant pas de dire si un document est vrai mais de prouver son existence selon cette forme à la date de son enregistrement. Nous avons toujours une personne en amont du processus.
On peut avoir des applications en s’appuyant par exemple sur la preuve distribuée dans des domaines aussi divers que la logistique, la traçabilité alimentaire, etc. On peut imaginer différentes App sur son smartphone qui vont pulluler. Par exemple si un client veut connaître l’influence dans un restaurant avant d’opérer une réservation, il peut lancer une demande de photo de ce restaurant à l’instant présent auprès des clients présents puis après réception payer une micro-somme à la personne anonyme qui aura rendu ce service en crypto-monnaie. Dans le cas présent, cela nous permet de faire une double utilisation de la blockchain, d’une part pour la demande du client, d’autre part pour la rémunération du service rendu.
Des services existants peuvent être améliorés ou optimisés et en même temps de nouveaux produits et services peuvent naître.

Comment expliquer alors ce coup de frein mis par les grandes entreprises ? 

Nous connaissons une sur-attente pour la blockchain avec, pour les dirigeants, le fait d’avoir des services optimisés ou nouveaux très rapidement avec un retour sur investissement rapidement visible car ils ont des objectifs à court terme pour la majorité d’entre eux. Il existe d’ailleurs un « Hype Cycle pour la blockchain » comme pour toute nouvelle technologie. Le Gartner a conceptualisé ceci et pour celui de l’année 2017 (cf. figure), on voit clairement que la blockchain commence sa « décrue » depuis le pic des attentes observé en 2016 et en 2018, on se situe dans le début d’une phase de désillusion. Mais dans quelques années, avec la plus grande maturité, nous atteindrons un plateau de productivité comme c’est actuellement le cas pour la réalité virtuelle par exemple. Le coup de frein constaté n’est que temporaire.
Des expérimentations (de type Proof of Concept - PoC) sont menées dans les grandes entreprises mais elles ne donnent pas toujours matière à des industrialisations, lesquelles peuvent être moins nombreuses à certains moment, pour des raisons d’arbitrages. La mise en œuvre de projets reposant sur la blockchain nécessite, au-delà des expérimentations, lors de la phase de généralisation du temps car la conduite du changement est un processus complexe qui nécessite du dialogue en associant les parties prenantes, en donnant la question du sens, en faisant évoluer les tâches et les missions du personnel. Des projets blockchain peuvent amener à des changements des habitudes, par exemple l’exemple du vote pour les réunions d’actionnaires pour Nasdaq Inc. Mais ce qui compte c’est la création de valeur in fine et la vision moyen/long terme qui fait défaut ou lorsqu’elle existe au sein d’une entité dédiée n’a pas toujours les moyens de peser politiquement sur le destin de l’entreprise.
Aussi, une logique d’attente prévaut pour certaines entreprises afin que d’autres essuient les plâtres. C’est une question de priorité d’autant que les technologies qui peuvent révolutionner le travail, les offres des entreprises sont légion : cloud, big data, intelligence artificielle, etc. Et qu’il existe matière à innover différemment.

N’y a-t-il pas eu un « effet de mode » concernant la blockchain qui serait en train de retomber ? 

Il est vrai que blockchain a été élu mot numérique 2016 et certains pensent qu’avec l’effet buzz qu’a généré le mot, ce serait une panacée ouvrant la voie à pleins d’usages car les promesses de la blockchain sont importantes. Pour autant, par nature disruptive, cette technologie doit trouver un équilibre dans le changement qu’elle induit avec l’organisation, les personnes, l’environnement, l’offre de l’entreprise et sa stratégie. C’est le propre de la transformation digitale qui n’est pas que technologique et relative à l’innovation mais qui comprend 5 autres leviers. La composante humaine est essentielle.
Il reste à former et à évangéliser les dirigeants pour qu’au niveau du comité exécutif des grands groupes il existe une doctrine de la blockchain et de ses usages possibles selon son(ses) domaine(s) d’activité(s) stratégique(s).
Pour IBM et Microsoft, ce sont des sujets stratégiques qui font partie de leur diversification. Pour IBM, la blockchain est un domaine à part entière au côté de l’intelligence artificielle avec Watson, du cloud et de sa prochaine frontière, l’ordinateur quantique. IBM et Microsoft qui sont des entreprises hautement profitables peuvent investir beaucoup même si les vraies retombées seront à 5 ans.
Dans Blockchain and the Law: The Rule of Code (Harvard University Press, avril 2018), Primavera De Filippi et Aaron Wright indiquent que la blockchain par la possibilité de créer des programmes informatiques autonomes, « contrats intelligents », outre le fait qu’elle permet d’accélérer les paiements, de créer des instruments financiers, d’organiser l'échange de données et d'informations et de faciliter les interactions entre les humains et les machines, permet de nouvelles structures organisationnelles qui favorisent une prise de décision plus démocratique et participative. La loi doit évoluer selon ce nouveau paradigme comme ce fut le cas avec le développement rapide d’Internet. Et cela prend du temps. 
Des standards vont s’établir. Plusieurs projets existent avec des consortiums qui se créent comme Hyperledger qui est une plateforme open source sur laquelle plusieurs entreprises pourront trouver intérêt. Même si les usages ne sont pas encore mûrs, la révolution blockchain est bien là, et pour longtemps.
La troisième édition du forum Blockchain Agora (http://www.blockchain-agora.com/) par exemple se tiendra le 15 novembre à Télécom ParisTech, signe que le phénomène n’est pas éphémère mais s’inscrit véritablement dans la durée.

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