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Pourquoi le Bitcoin pourrait faire exploser Internet
©JACK GUEZ / AFP

Danger

Dans son rapport annuel, la Banque des règlements internationaux (BRI) avertit les utilisateurs sur les failles du Bitcoin et des cryptomonnaies. Selon l’organisation financière, ces monnaies virtuelles pourraient en venir à paralyser l’Internet.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : De quelle manière le Bitcoin, et les cryptomonnaies en général, pourraient bloquer l’Internet ?

Michel Ruimy : La Banque des règlements internationaux (BRI) multiplie les mises en garde à l’égard du Bitcoin en particulier et des cryptomonnaies en général. Ce n’est donc pas étonnant qu’après avoir recommandé,au début de l’année, aux banques centrales de réglementer leur usage, elle publie un document à charge sur les déficiences intrinsèques des monnaies virtuelles.

Selon cette institution financière, les devises numériques ne sont pas adaptées aux paiements quotidiens en raison des importants calculs informatiques et des volumineux échanges de données que chaque transaction génère. Ceux-ci risquent de saturer rapidement la capacité des serveurs informatiques et leur multiplication au quotidien pourrait ainsi « bloquer » l’Internet !

Rappelons que le volume des fichiers échangés est de l’ordre du Téraoctet (1 000 Gigaoctets).Sur la base des transactions d’achats en ligne actuellement réalisées par des systèmes de paiement nationaux, ceci signifie que la taille du registre distribué, propre aux cryptomonnaies, dépasserait les capacités de stockage d’un smartphone en quelques jours, celles d’un ordinateuren quelques semaines et celles de serveurs en quelques mois.

De manière plus précise, son principal reprocheà l’égard de ces cryptomonnaies tient, qu’en tant qu’instrument de paiement,celles-ci sont incapables de monter en puissanceau cas où leur usage se développerait au niveau mondial. Ces monnaies digitales ne seraient donc pas évolutives comme les monnaies souveraines car leur mode de fonctionnement décentralisé exige de chaque utilisateur le téléchargement et la vérification de l’historique de toutes les transactions : montant payé, payeur, bénéficiaire, etc.

Toujours sur le plan informatique, bien que la BRIestime que la blockchain - technologie sous-jacente - pourrait se révéler prometteuse, par exemple dans la simplification des processus administratifs de règlement des transactions financières, elle considère que le principe technique, propre aux cryptomonnaies, aboutirait inévitablement à une congestion du système. Dès lors, avec le développement de ce type de paiement, les transactions qui ne pourront pas être traitées à la volée, seront placées en file d’attente, parfois pendant plusieurs heures, ce qui interromprait le processus de paiement.Cet inconvénient majeur limiterait l’intérêt des cryptomonnaies pour les transactions quotidiennes, sans parler des paiements de gros montant.

Ainsi, selon la BRI, plus les personnes utiliseront une cryptomonnaie, plus leurs paiements deviendront fastidieux. Ce serait la négation d’une propriété actuelle essentielle de la monnaie : plus les individus l’utilisent, plus ils sont incités à l’utiliser.

Ces monnaies parviennent-elles à trouver leur place dans le système financier actuel ?

Au plan financier, il existe aujourd’hui environ 1 500 cryptomonnaies.La plus connue d’entre elles, le bitcoin, représente approximativement un tiers du marché avec, en moyenne, environ 300 000 transactions enregistrées chaque jour contre 50 000 en 2013.Depuis début janvier 2018, le cours de l’ensemble des cryptomonnaies a considérablement diminué en raison de décisions politiques en Asie et de sanctions aux Etats-Unis.

Leur capitalisation totale atteint environ 500 milliards de dollars soit approximativement, 0,5% de la capitalisation boursière mondiale (dont 0,3% pour le seul bitcoin) et 0,40% du PIB mondial (près de 0,20% pour le bitcoin). A titre de comparaison, le volume quotidien des échanges du marché des changes - marché sur lequel se retrouvent tous les participants désireux de vendre ou d’acheter une devise contre une autre - était, en 2016, de l’ordre de 5 100 milliards de dollars, deux fois supérieur à la valeur du Produit intérieur brut (PIB) annuel français !

Au plan économique, la comparaison du nombre de transactions traitées par seconde par les systèmes Visa et Mastercard (respectivement plus de 3 500 et 2 000), Paypal (quelques centaines) avec les capacités de traitement des deux cryptomonnaies les plus connues (Bitcoin, Ether) montre que chacune de ces dernières réalise, au mieux, un peu plus de 3 transactions par seconde !

On voit donc qu’en termes de transaction, les monnaies virtuelles, qui évoluent selon leur propre logique et leurs propres critères, ont une place insignifiante sur les marchés financiers. Leur volatilité est le reflet de leur potentiel technologique mais aussi de leurs risques en tant qu’actif financier. A cet égard, leur comportement est plus proche de celui des matières premières que d’autres actifs financiers, leurs rendements étant corrélés avec le pétrole, le gaz naturel et l’or.Toutefois, les risques des marchés traditionnels ont peu d’impact sur elles.

Le lancement récent de contrats à terme sur le bitcoin, traités sur un marché régulé, est, malgré tout, le signe d’un nouvel essor et un pas important vers l’institutionnalisation du marché des devises 2.0.

Quelles sont les fragilités spécifiques des cryptomonnaies ? Leur mode de fonctionnement décentralisé est-il viable ?

Plus que celles des cryptomonnaies, il conviendrait de parler des faiblesses de la blockchain. Tout système a une certaine vulnérabilité, et la blockchain ne fait pas exception.

Outre la vitesse et l’efficacité du réseau, nous pouvons notamment citer sa complexité. La blockchain étant une technologie compliquée, elle n’est ni compréhensible, ni accessible à tous. Dès lors, la plus petite erreur peut compromettre le système.La taille du réseau est aussi susceptible d’être problématique. Des milliers de nœuds sont nécessaires au fonctionnement de la blockchain, ce qui, mathématiquement, la rend particulièrement vulnérable aux attaques et à la corruption aux premiers stades de sa croissance. Ensuite, les clés cryptographiques. S’il semble quasi-impossible de briser les clés cryptographiques par elles-mêmes, il est simple d’accéder à une plateforme non sécurisée qui stocke les clés, de dérober le mot de passe de la boîte de réception des clés, voire encore plus simplement d’emprunter l’identité de la blockchain chez quelqu’un qui dispose des clés…

Ce qu’il faut retenir est que la blockchain n’est pas une solution parfaite, des points de vulnérabilité existent, en particulier l’humain. Malgré une sécurité certaine, cette technologie comporte des déficiences qui induisent, éventuellement, d’importants risques pour son usage, en particulier dans la sphère monétaire. En effet, la plupart des attaques contre les cryptomonnaies ont profité des faiblesses et défaillances dans la sécurité des plateformes, auxquelles les cybercriminels ont eu accès via la blockchain.

Par ailleurs, le principal reproche adressé aux monnaies cryptographiques est contenu dans leur philosophie : elles échappent à tout contrôle et sont donc sujet à la spéculation et à la manipulation. C’est la raison pour laquelle certains pays (Corée du Sud, Bolivie…) ont tout simplement interdit leur utilisation. A ce titre, certains économistes, dont plusieurs prix Nobel- Stiglitz, Tirole, Shiller -, considèrent qu’elles sont une pure bulle financière, un actif sans valeur intrinsèque et que leur prix tombera à zéro si la confiance des utilisateurs disparaît. Dans le même temps, d’autres pays (Estonie, Venezuela, Russie…) ont confirmé leur volonté de lancer leur propre cryptomonnaie.

Au final, l’essor de la technologie blockchain et l’utilisation croissante des monnaies virtuelles soulèvent de nombreuses questions, face auxquelles les pouvoirs publics ont jusqu’à présent adopté des positions très différentes car ils n’ont pas encore totalement appréhendé le phénomène.

Pour ce qui concerne la viabilité du mode d’un fonctionnement décentralisé, le protocole blockchain est intéressant car il constitue, en cela, une solution naturelle - chaque block est nécessaire - et élégante d’un point de vue algorithmique au problème de l’échange de valeur sans intermédiaire de confiance.

Rappelons que ce système décentralisé, constitué de milliers d’ordinateurs à travers le monde, représente, en quelque sorte, un registre publiccar tout le monde peut accéder au contenu du registre sans autorisation, anonyme car chaque utilisateur n’est associé à rien d’autre qu’un ensemble d’adresses alphanumériques contenant des Bitcoins et distribué car il n’existe pas d’autorité centrale de certification des transactions.

Quelles solutions sont envisageables pour se prémunir des failles des cryptomonnaies ? Les banques centrales ont elles un rôle à jouer ?

L’histoire montre qu’il vaut mieux agir de façon préventive avant que le processus n’atteigne précisément une dimension systémique.Etant donné qu’il n’y a pas de système parfait, la réponse peut résider en deux mots : informer et, dans une certaine mesure, réguler / légiférer.

Informer les utilisateurs des risques potentiels, notamment les épargnants. Compte tenu de la forte appréciation des cours et du haut degré de volatilitédes principales monnaies virtuelles, il y a un risque important de perte en cas de correction, de fraude.De surcroît, la confiance peut s’évanouir à tout moment en raison de la fragilité du consensus décentralisé par lequel les transactions sont enregistrées. Ceci signifie qu’une devise numérique peut simplement cesser de fonctionner, entraînant une perte de valeur totale.

Réguler / légiférer. Beaucoup de pays considèrent, à l’instar du Japon, que réguler revient à légitimer, et donc à encourager. Ainsi, des pays comme l’Allemagne, Israël ou le Canada se contentent-ils de prévenir les utilisateurs qu’ils agissent « à leurs risques et périls », sans garantie publique d’aucune sorte.

Les positions les plus strictes viennent de la Russie, de la Chine et du Japon. La Chine et le Japon interdisent tout usage du bitcoin aux établissements financiers, et notamment l’échange contre des devises. En Chine, les détenteurs de bitcoins sont toutefois autorisés à échanger cette « marchandise » entre eux. Plus stricte encore, la Russie attache tout simplement à l’usage des monnaies virtuelles une présomption de « participation à des opérations illégales, notamment de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ».

La France fait à cet égard preuve d'un libéralisme prudent, en n’interdisant pas les monnaies virtuelles mais en assujettissant les plateformes au statut encadré de prestataire de service de paiement. Un choix comparable a été fait par les États-Unis, les plateformes ayant l’obligation de s’enregistrer auprès du Financial Crimes Enforcement Network, chargé de la lutte anti-blanchiment.

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