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Pourquoi la saga Star Wars est une véritable prophétie autoréalisatrice de l'Histoire américaine
©DR

Bonnes feuilles

Palpatine, personnage emblématique de la saga Star Wars, emprunte les traits tant d'Hitler que ceux de l'Amérique sombre de l'après 11 septembre. Sous la plume de Thomas Snégaroff, découvrez un essai qui souligne la critique d'un Etat prêt à abandonner ses libertés pour plus de sécurité. Extrait de "Je suis ton père", de Thomas Snegaroff , bientôt publié chez Naive (2/2).

Thomas Snegaroff

Thomas Snegaroff

Historien, spécialiste de la présidence américaine. Professeur en classes préparatoires et à Sciences Po Paris. 

Auteur de Faut-il souhaiter le déclin de l'Amérique? (Larousse, 2009).

A paraître en 2012: L'Amérique dans la peau. Regard sur la présidence américaine (Armand Colin). 

 

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Mais cette permanence de l'attitude américaine qui a inspiré George Lucas ne doit pas nous masquer une autre réalité. C'est qu'au moment où l'affrontement du Bien contre le Mal constitue l'alpha et l'omega de la politique étrangère américaine, la saga de George Lucas s'est déjà imposée dans l'univers mental et culturel américain, au point de constituer un référent commun. Ainsi La Guerre des étoiles apparaît-elle alors comme une prophétie autoréalisatrice lorsque Ronald Reagan parle pour la première fois de l'« empire du Mal » pour qualifier l'URSS dans son célèbre discours du 8 mars 1983. Le président républicain balaye d'un revers de la main les défenseurs d'un gel nucléaire, les libéraux qui pensent que l'on peut négocier avec l'URSS. En bon réaliste, Reagan n'a aucune confiance dans la parole soviétique : « L'histoire nous apprend que prendre nos désirs pour des réalités et chercher naïvement la conciliation avec nos adversaires n'est que folie. » Chez Reagan, il n'est pas question de négocier avec le diable, sinon en position de force3. Car c'est bien du diable qu'il s'agit, d'une puissance maléfique et pour tout dire satanique. Reagan, qui s'exprime devant des évangélistes, rejette tout relativisme : « Je vous exhorte à vous défier de la tentation de l'orgueil, de cette tentation qui consisterait à vous décréter allégrement au-dessus de la bataille, à décider que les deux camps sont également coupables, à ignorer les faits de l'histoire et les pulsions agressives de l'empire du Mal, à vous contenter de dire que la course aux armements n'est qu'un vaste malentendu, et par là même à vous soustraire au combat entre le juste et le faux, le bien et le mal4. »

Deux semaines plus tard, le 23 mars, Ronald Reagan prononce un discours dans lequel il présente son grand projet, l'Initiative de défense stratégique. C'est un programme ambitieux dans la droite ligne de la définition de l'« empire du Mal » quinze jours plus tôt. L'URSS pouvant attaquer à tout moment et détruire le monde (c'est‑à-dire d'abord l'Amérique), il faut se protéger : « Afin de contrer l'horrible menace des missiles soviétiques […], un programme ambitieux est mis à l'étude pour protéger les États-Unis par un bouclier spatial, identifiant et anéantissant tout missile venu de la haute atmosphère1. » La Guerre des étoiles est à ce point devenu un référent commun pour les Américains que le président Reagan peut y faire clairement allusion pour les convaincre du bien-fondé de sa politique.

Dès le lendemain, au Sénat, Ted Kennedy s'oppose à ce projet qu'il qualifie de « guerre des étoiles » pour mieux le critiquer. Mais Kennedy se trompe lourdement. L'évocation de la saga de George Lucas fédère les Américains autour du projet dans lequel ils se pensent forcément comme du côté du Bien, les Soviétiques ayant naturellement basculé du côté obscur de la Force. L'expression « guerre des étoiles » fait à ce point mouche que Reagan l'utilisera luimême ensuite à plusieurs reprises. Ulcéré par le détournement de son projet, et, qui plus est, servant ceux qu'il considère comme ses ennemis, Lucas tente vainement de s'opposer publiquement à Reagan. En 1985, le producteur intente un procès contre deux lobbies usant et abusant de l'expression « guerre des étoiles » pour « vendre » l'Initiative de défense stratégique auprès de l'opinion publique. Cependant, en novembre de cette année-là, un juge déboute George Lucas. Comme si l'expression de « guerre des étoiles » ne lui appartenait déjà plus. Ce n'est pas la seule fois que l'oeuvre Lucas servira à celle de Reagan. Nous y reviendrons.

En 1984, dans un entretien paru dans The New York Times, le président Ronald Reagan affirme se poser toujours la même question avant de lancer son pays dans un conflit : « Est-ce moralement juste ? C'est sur cette base, et sur cette base seulement que nous prenons notre décision2. »

Toute guerre menée par les États-Unis est non seulement une guerre juste mais une croisade pour le bien de l'humanité. L'opération Just Cause au Panama est organisée pour « délivrer les habitants du Mal » ; l'intervention en Koweït contre l'Irak de Saddam Hussein est, selon les termes de Colin Powell, « une noble guerre où le Bien à l'état pur s'est affronté au Mal à l'état pur, une croisade pour sauver la démocratie et la liberté ». Mais c'est probablement George W. Bush qui a poussé le plus loin cette rhétorique manichéenne, engageant son pays contre « l'axe du Mal », constitué de pays aussi différents que l'Iran, l'Irak et la Corée du Nord1. Le 16 septembre 2001, aux Américains traumatisés, Bush promet « une croisade, une guerre contre le terrorisme ». Plus tôt, le jour même des attentats, le président américain parle « des milliers de vies [qui] ont soudainement pris fin par les actes ignobles et maléfiques de la terreur », et, plus loin : « aujourd'hui, notre nation a vu le mal, le plus mauvais de la nature humaine ». Le lendemain, le 12 septembre, depuis la Cabinet Room de la Maison-Blanche, Bush promet « une lutte monumentale entre le Bien et le Mal, mais au final, le Bien l'emportera2 ».

Et ce démon, figure polymorphe du Mal, est réductible. C'est ainsi que l'opération militaire visant à tuer Ben Laden portera pour nom de code Geronimo – un temps l'ennemi public numéro un de l'Amérique –, au grand dam des Indiens3. Tous les démons n'en forment qu'un. Un démon qui veut mettre fin à l'Amérique.

Plus encore, prise dans l'angoisse absolue au lendemain du 11 septembre 2001, l'Amérique voit des ennemis partout. C'est une formidable occasion pour les conservateurs d'en finir enfin avec le laisser-aller des années Clinton. Pour eux, les origines du Mal plongent en effet au coeur des années 1990 quand, toujours selon eux, l'Amérique aurait baissé les bras, bercée de l'illusion de la fin de l'histoire théorisée par Fukuyama4. Revoilà Jerry Falwell, tant écouté par Reagan et par Bush père et fils, qui quelques jours après les attentats règle ses comptes. Ce qui s'est passé est bel et bien une punition divine. La colère de Dieu s'est abattue sur l'Amérique et il nomme les responsables : « Quand nous détruisons quarante millions de petits bébés innocents, nous rendons Dieu fou de colère. Je crois vraiment que les païens, et les avorteurs, et les féministes, les gays et les lesbiennes qui tentent activement d'imposer un mode de vie alternatif, l'ACLU [American Civil Liberties Union], People for The American Way, tous ceux qui ont tenté de séculariser l'Amérique, je pointe du doigt leur visage et dis : “Vous avez permis que cela se produise1.” » Quoi de plus efficace que de mobiliser la peur de Dieu dans un pays si croyant ?

Extrait de "Je suis ton père", de Thomas Snegaroff, aux éditions Naïve, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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