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Pourquoi la promotion de l’égalité des chances à l’école par Najat Vallaud-Belkacem devrait surtout se traduire par le sacrifice de ceux qui auraient pu monter dans l’ascenseur social
©Pixabay

Fausse note

La ministre de l'Education nationale a lancé lundi 18 janvier son programme de parcours d'excellence pour les collégiens d'éducation prioritaire. Souhaitant se distinguer des internats d'excellence pensés par Nicolas Sarkozy en son temps, le gouvernement semble faire fausse route sur cette question de la mixité sociale.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Camille Bedin

Camille Bedin est conseillère départementale des Hauts-de-Seine, canton Nanterre-Suresnes, et secrétaire nationale, membre du bureau exécutif des Républicains.

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Atlantico : Avec le lancement des parcours d'excellence pour les collégiens d'éducation prioritaire, le Gouvernement veut lutter une nouvelle fois contre l'inégalité des chances. Mais ne prend-il pas le risque de "sacrifier" de nombreux jeunes cerveaux, en les maintenant dans un environnement qui n'est pas idéal pour leur développement scolaire ?

Jean-Paul Brighelli :Les internats d'excellence étaient une heureuse initiative. Ils étaient simplement trop peu nombreux, mais c'était un commencement. Il faut absolument décontextualiser les élèves de ces zones d'éducation prioritaire que leur culture familiale, quelles que soient les bonnes intentions des parents, tirent en arrière. Les déculturer pour les acculturer. Je n'ai pas peur du mot sélection, ni du mot élite, deux mots qui devraient s'accorder avec la diversité des origines. Lutter contre l'inégalité des chances consiste à donner plus à ceux qui partent avec moins, pas à descendre la barre pour tout le monde ! Aujourd'hui, même les "bons" élèves commencent à porter le poids de la réforme Chatel des lycées. Quand ils porteront le poids, en sus, de la réforme Belkacem des collèges, ils seront fichus. Et cela, c'est un crime.

Camille Bedin : Ces dispositifs sont de la poudre aux yeux. D'abord, ils arrivent bien trop tard : le gouvernement avait cinq ans pour entamer des réformes de fond en faveur de l'égalité des chances et de la méritocratie, et la ministre nous fait ce type d'annonces aujourd'hui, alors qu'elle n'a plus qu'une seule rentrée pour l'organiser ? Ce n'est pas sérieux. Ensuite, maintenir des élèves dans leurs établissements afin d'encourager la réussite dans ces mêmes établissements est une bonne idée, sauf que ce gouvernement fait le contraire depuis son arrivée, en revenant sur des idées de bon sens sens, initiées ou mises en place par le gouvernement précédant : l'aide individualisée, le renforcement des fondamentaux, l'apprentissage, la réforme du collège unique, les internats d'excellence... Avec la réforme du collège actuel, qui supprime des options qui permettaient à des élèves issus d'établissements prioritaires de découvrir des options d'excellence, la ministre fait le contraire de son discours sur l'égalité des chances.

Cette mesure fait écho à la récente réforme de la carte scolaire, qui cherchait aussi à doper artificiellement la mixité sociale dans les établissements. Est-ce une bonne chose selon vous ? Est-ce que cela a une chance de produire des résultats ?

Jean-Paul Brighelli : La carte scolaire peut certainement jouer dans la situation actuelle : maintenir les déshérités dans leurs ghettos est la mesure la plus discriminante (irais-je jusqu'à dire raciste ? Oui, je crois que je le peux) jamais prise par des gouvernements successifs. Mais les programmes et la volonté de transmettre des savoirs réels jouent bien davantage. Les déshérités ont droit comme les autres au latin et au grec, aux langues rares, aux parcours qualifiants. Qu'en reste-t-il quand on regarde les dotations globales horaires qui arrivent en ce moment dans les collèges pour l'année prochaine ? Rien !

Prenez le "socle commun" par exemple. Comment voulez-vous dégager des élites en donnant comme objectif ultime de savoir lire, écrire, compter et vivre ensemble ? Il fut un temps — et Najat Belkacem en a profité — où les quatre opérations de mathématiques étaient au programme du CP, la littérature constituait un bain quotidien, l'Histoire était chronologique et continue, les sciences n'étaient pas "la main à la pâte", et on apprenait par cœur les verbes irréguliers anglais — entre autres. Le "socle commun" devrait être le pré-requis des études, avant de se lancer dans un vrai bain culturel. Pour des économies de bouts de chandelle, on a constitué en objectif terminal ce qui devait être une base. Et gouvernements de droite et de gauche se sont donné le mot pour anéantir l'école de la République : les gouvernants s'en moquent, leurs enfants vont dans de bonnes écoles privées du 6e ou du 7e arrondissement…

Camille Bedin : Sur la forme, il ne s’agit malheureusement pas d’une "réforme", simplement d’une expérimentation dans moins de dix départements qui, en outre, ne démarrerait que l'an prochain. Comme on sait que notre administration a du mal à généraliser les dispositifs expérimentaux, on peut prédire que la "réforme" est donc bien loin de se produire. Or les élèves et leurs familles n’ont pas le temps d’attendre ! Pire que cela, sur le fond, cette expérimentation est vouée à l'échec car bien trop limitée dans ses possibilités. Faire entrer plusieurs collèges dans un secteur pourrait être une bonne idée, sauf que cela suppose d’avoir plusieurs collèges à la fois proches en terme de distance et variés en terme de catégories socio-professionnelles. Comme le dit le président du département de Seine-Saint-Denis, comment faire lorsque des territoires entiers sont totalement dépourvus de mixité sociale ?

Dans un entretien au Monde pour présenter cette mesure, Najat Vallaud-Belkacem assure également vouloir lutter contre le fatalisme scolaire et l'autocensure des jeunes élèves de ces quartiers…

Jean-Paul Brighelli : Un remarquable exercice de double langage ! D'un côté, il y a dans cette interview nombre de phrases que je pourrais contresigner. Non, les élèves ne sont pas à égalité au départ ; oui, le contexte social joue (le ministre vient de relire Bourdieu qui lui avait permis d'intégrer Sciences-Po, bravo). Et bien sûr que "l’accès à l’élite ne doit plus être la chasse gardée des milieux privilégiés" ! Et certainement que les "exceptions consolantes" de Ferdinand Buisson (le ministre s'est fait faire un topo sur les pères fondateurs, c'est bien) ont souvent été l'arbre qui cache la forêt. Et sans doute ne faut-il pas confondre excellence et exception. Enfin, il est vrai que l'on constate un découragement, une limitation et une autocensure des ambitions dans les milieux populaires…

Mais repartons de cette remarque ultime de Madame Vallaud-Belkacem : "Le fatalisme scolaire me semble bien plus répandu qu’il y a vingt ans". C'est tout à fait vrai, mais peut-être Mme le ministre pourrait-elle faire l'effort de se rappeler ce que furent ses années de primaire et de secondaire ? J'ai eu un jour l'honneur de lui poser la question suivante : Pourquoi refuser aux élèves et aux collégiens d'aujourd'hui ce qui a si bien réussi à la petite Najat Belkacem dans les années 80-90 ? Si les ambitions des défavorisés sont aujourd'hui revues à la baisse, c'est parce que depuis vingt ans, tous gouvernements confondus, les ambitions des ministres se sont constamment dégradées. Dégradés aussi les programmes, les conditions d'exercice, le nombre d'heures affectées aux disciplines fondamentales !

Les remèdes sont connus, ils sont à la portée d'un ministre audacieux — et surtout, de quelqu'un qui connaisse le terrain : ce n'est pas d'experts dont nous avons besoin — Mme Vallaud-Belkacem leur voue un culte inquiétant — mais de vrais praticiens. Qui lui expliqueront que "pousser chacun au plus haut de ses capacités" est un vieux slogan du SNALC, un syndicat que le ministre doit croire à droite et qui en ce moment conteste vivement une réforme déshonorante.

Avec cette mesure, le Gouvernement lutte-t-il vraiment contre le nivellement par le bas de l'éducation ?

Camille Bedin : Cette mesure est totalement insuffisante. Ce gouvernement a raté sa chance : il aurait dû réformer de fond en comble l'école primaire, en privilégiant les fondamentaux ou en confiant plus d'autonomie de moyens, y compris humains, aux écoles pour développer des projets pédagogiques très ambitieux et innovants. Il aurait dû privilégier l'apprentissage, la découverte de l'entreprenariat ou l'ouverture des collèges au monde de l'entreprise. Autant de pistes, non exhaustives bien sûr, qui auraient été mille fois plus efficaces qu'un dispositif gadget, qui n'aura pas le temps d'être mis en place.

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