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Pourquoi la perspective d’un taux d’obésité de 21% en France d’ici à 2030 est un enjeu majeur pour le pays
©Reuters

Nouveau régime

Selon la dernière mise à jour sur l'obésité en 2017 de l'OCDE, le nombre de personnes atteintes de cette pathologie devrait continuer à augmenter ces prochaines années, pour en arriver à atteindre 21% de la population française d'ici 2030.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Selon la dernière mise à jour sur l'obésité en 2017 de l'OCDE, le nombre de personnes atteintes de cette pathologie devrait continuer à augmenter ces prochaines années, pour en arriver à atteindre 21% de la population française d'ici 2030. L'importance de cette question de l'obésité, aussi bien du point de vue de la santé publique que de son coût, est elle sous estimée en France ? Quels en sont les enjeux réels ?

Guy-André Pelouze : Les données de cette dernière livraison de l'OCDE sur l'obésité dans le monde démontrent que les plus grandes différences entre les taux moyens d'obésité des populations sont celles qui existent entre les différents pays. 

Ces différences entre pays sont anciennes et elle persistent dans un contexte d'augmentation générale de l’obésité dans les pays développés. Dans ce contexte la France a une place singulière en Europe comme l’Italie ou la Suisse: l’obésité est très nettement inférieure à la moyenne de l’OCDE. Les causes ne sont pas identifiées dans ce rapport mais bien évidemment il est totalement aléatoire  d’envisager des “mesures” sans les aborder. En réalité il faut revenir aux différences entre pays. Manifestement s’intriquent des facteurs ethniques et environnementaux. Les japonais avec 3,7% d’obèses et encore moins chez les femmes bénéficient des deux facteurs. Une génétique favorable et un mode de vie très marqué par un modèle ancestral d’alimentation très différent de celui des USA, du Mexique ou des Britanniques, sans parler des pays hors OCDE en transition alimentaire qui voient exploser leur taux d’obésité comme en océanie. En France le modèle alimentaire pour différent qu’il soit entre le sud et le nord, entre les villes et les campagnes, reste marqué par une tradition de préparation des repas, une consommation de graisses saturées et mono-insaturée élevée en particulier d’origine animale, viandes et fromages ainsi qu’une interruption de prise alimentaire entre les repas. 

L’importance de l’obésité en tant qu’enjeu de santé publique est différemment perçue en France selon les institutions. 

L’état poursuit une politique de recommandations générales non ciblées qui se résument à des conseils de consommation de fruits et légumes et à encourager l’activité physique. Récemment un étiquetage couleur a été proposé. En revanche l’obésité est souvent ignorée dans l’entreprise. En effet à l’instar du tabagisme l’entreprise française au sens large (entreprises privées, établissements publics et administrations) se préoccupe peu de la santé de ses salariés qui est bien différente de l’activité de médecine du travail. Les causes en sont multiples et citons en premier lieu l’obsession réglementaire qui fait que les moyens sont dédiés uniquement à ce qui est obligatoire. Les conséquences en sont sérieuses car c’est bien au sein de l’entreprise que des programmes efficaces peuvent être développés en particulier au niveau alimentaire. Enfin l’école ne bénéficie pas de programmes de qualité car souvent les intérêts de l’agro-alimentaire présentés sous la bannière tricolore prédominent. En revanche l’interdiction des distributeurs de boissons sucrées ou de snacks dans les écoles a représenté une étape intéressante dans la protection des enfants, clientèle captive des firmes du sucre et de la junk food pendant le temps scolaire.

S’agissant du coût des soins il y a peu d’études en France en raison de l’absence d’open data des données du système et de la complexité des biais méthodologiques. 

En 2002, C. Emery et coll. sur un échantillon de 4651 personnes estimaient ce coût à 2 500 €, 2 fois plus élevé que ceui d'un individu de poids normal (1 263 €). Ceci conduit à estimer entre 1,5 et 4,6% la dépense des soins destinés à l’obésité par rapport à la dépense totale. Mais aujourd’hui ces pourcentages sont très supérieurs d’abord parce que le nombre d’obèses a augmenté, ensuite parce que les procédures de traitement chirurgical (anneau gastrique ou autres procédés de chirurgie bariatrique) se sont multipliées ainsi que leurs complications et enfin comme le souligne les auteurs parce que les modèles utilisés dans cette étude sous estiment le coût.

La question des enjeux réels de l’obésité dépasse le surcoût des soins. Il s’agit de l’espérance de vie et de la productivité. En matière de productivité l’obésité est responsable de 6.5% à 12.6% de l’absentéisme total au travail. En matière d’espérance de vie, l’obésité est une cause majeure de décès précoce en raison de la fréquence des maladies cardio-vasculaires et du diabète type 2. En moyenne le nombre d'années de réduction de l'espérance de vie est proportionnel au poids. Les personnes en surpoids perdent jusqu'à trois ans de vie et les personnes obèses jusqu'à huit ans. Parmi les très obèses, avec un indice de masse corporelle de 35 ou plus, l'espérance de vie est réduite d'environ huit ans. 

On peut donc raisonnablement estimer que l’obésité en France est un enjeu de  santé publique mais il faut se garder de vendre de la peur. Actuellement notre taux d’obésité reste un des plus bas d’Europe et en termes de morts évitables des enjeux plus aigus existent comme le tabagisme ou l’alcoolisme.

Alors que l'obésité est, selon l'OCDE, directement corrélée aux questions des inégalités sociales, est-il illusoire de vouloir traiter cette question par une approche de santé publique ? Quels seraient les moyens de lutte les plus efficaces ? 

Il faut être très précis avec ce que l’on appelle les inégalités sociales. Autrefois les personnes aisées étaient obèses et les plus pauvres plutôt maigres. C’est toujours le cas des pays, quand le PIB/habitant est très bas le taux d’obésité l’est aussi. Aujourd’hui les différences, je le répète, sont plus marquées entre les pays qu’entre les niveaux socio-économiques. C’est un premier point qui traduit le fait que l’obésité est d’abord en rapport avec l’abondance, voire l’extrême abondance alimentaire. Dans les pays de l’OCDE l’alimentation et en particulier les calories sont très bon marché. 

D’autre part toutes les études montrent que c’est le niveau d’éducation et non pas de revenu qui est un facteur discriminant. Ce n’est pas pareil. On peut avoir des revenus faibles et un bon niveau d’éducation comme l’inverse. C’est d’ailleurs ce que dit l’OCDE: “Les femmes moins instruites ont deux à trois fois plus de chances d'être en surpoids que celles qui ont un niveau de scolarité plus élevé dans environ la moitié des huit pays pour lesquels des données sont disponibles. Les disparités sont plus faibles pour les hommes, même si elles augmentent.” C’est pourquoi il est très important d’améliorer l'enseignement et globalement le niveau d’éducation de même que les programmes d’éducation en entreprise. Croire que l’obésité est une question de revenus est à la fois faux et surtout conduit à des politiques publiques qui peuvent augmenter sa prévalence. 

En revanche sii les adultes sont des personnes libres et responsables, les enfants doivent être absolument protégés par les institutions qui les accueillent du tabagisme, de la drogue, de l’alcool et de la malbouffe. Nous avons encore du chemin à parcourir pour offrir à nos enfants un environnement familial, scolaire, sportif et de loisirs qui les met à l’abri de ces addictions. Depuis 2006 l’état français a agi dans ce sens et des résultats mesurables ont été enregistrés.

A l'inverse, et alors que le taux d'obésité pourrait atteindre 47% de la population américaine en 2030, quelles sont les programmes de lutte qui ont d'ores et déjà été mis en place, et jugés inefficaces ? Quelles sont les erreurs à ne pas reproduire ?

Nous ne sommes pas aux USA. 

En France la situation est très différente en raison de notre culture, comme elle l’est en Italie, en Suisse… Je considère que la notion de lutte appliquée à l’obésité est une énorme erreur. Nous avons en Europe un certain nombre de modes alimentaires favorables au maintien d’un poids normal. Ce n’est pas l’apanage de la Méditerranée, les suédois ont aussi un taux d’obésité faible. Au lieu de “lutter” il convient d’identifier et de conserver cet avantage, au lieu de cultiver l’idée que manger sain serait un combat revenons à nos valeurs, la responsabilité des choix, la préparation des aliments, les traditions des repas. La transmission est essentielle et la famille joue un rôle majeur. A l’école la restauration collective plutôt que de se polariser sur des sujets religieux ou marginaux comme le bio, devrait faire l’objet d’une attention particulière des parents et des professionnels. Beaucoup trop de produits industriels sont utilisés en restauration collective pour des raisons de coût de main d’oeuvre et au détriment de la qualité nutritionnelle des repas. Certains enjeux sont surestimés par des modes médiatiques comme l’impact des pesticides, la mode du véganisme alors que les causes de l’obésité sont essentiellement l’extrême abondance alimentaire, la densité calorique des aliments transformés et la consommation de glucides rapides en boissons ou dans des produits.

Dans ce cadre, force est de constater que les politiques publiques actuelles obtiennent des résultats contraires à leurs intentions. 

La réponse des institutions étatiques est toujours la même: c’est parce que les citoyens n’appliquent pas les recommandations. Or c’est factuellement faux. Examinons nutriment par nutriment les évolutions récentes en fonction des recommandations officielles.

1/ La consommation de graisses saturées a diminué 

En revanche il y a eu substitution par des sucres. F. Hu a bien expliqué dans un commentaire que substituer des graisses saturées par des sucres n'était pas un changement gagnant. En effet les sucres à index glycémique rapide sont associés à une plus grande incidence ds maladies coronaires, à une augmentation de l’obésité et du diabète notamment chez des personnes sédentaires. Or qui mange des farines intégrales? Qui mange de l'avoine et du seigle? Presque personne, les sucres des amidons consommés par l’immense majorité des Français sont ceux du pain blanc, des pommes de terre et du riz c’est à dire des sucres raffinés, à index glycémique élevé… Qui n’est pas sédentaire dans nos sociétés? Presque personne. C’est pourquoi ces sucres augmentent le risque de maladies cardiovasculaires, d’obésité et de diabète type 2.

Déjà en 2007, le CREDOC avait souligné cette différence essentielle entre le régime alimentaire moyen des américains et le notre, constatation mesurable qui va à l’encontre des recommandations au sujet des graisses saturées.

“En raison de leur forte consommation de sodas, les Américains consomment davantage de glucides que les Français. L’apport en glucides simples (présents dans le sucre, le miel, les confitures, les gâteaux, les fruits, les jus de fruit, les sodas, les produits laitiers, etc.) est lui aussi nettement plus élevé aux États Unis. Le régime des États-Uniens est donc plus chargé en sucre que celui des Français. Contrairement à certaines idées reçues, les régimes des Français et des ÉtatsUniens apportent la même quantité de lipides. Ces deux populations consomment donc autant de gras l’une que l’autre. Cependant, les États-Uniens ont un apport plus conséquent que les Français en acides gras polyinsaturés (acides gras essentiels dont les omégas 3 et 6, pouvant provenir des noix, des huiles de colza et de lin, des poissons gras et des crustacés). Les Français ont par contre un apport plus important que les États-Uniens en acides gras saturés et en cholestérol. Cette différence peut s’expliquer par la consommation plus élevée de produits tels que fromages, charcuterie, viennoiseries, viandes et œufs dans les régimes alimentaires des Français. Par contre, en raison d’une forte consommation de fruits et légumes, l’apport en fibres est plus important chez nous.”

Rappelons que l’espérance de vie, le taux d’obésité, le taux de maladies cardiovasculaires sont très largement associés favorablement aux choix alimentaires dans l’hexagone. On se demande donc pourquoi les recommandations officielles tendent à tout prix à faire baisser la consommation de graisses saturées par les français c’est à dire de viandes, de fromages et de charcuterie.

2/ La consommation de fruits et légumes a augmenté, la consommation de viande a diminué 

Cette tendance semble même s’accélérer… Pour autant l’obésité progresse. Corrélation n’est pas cause mais on peut légitimement se poser la question de l’inefficacité ou des effets contre-productifs des recommandations actuelles. 

3/ La résultante de ces modifications alimentaires toutes conformes aux recommandations est la suivante.

Au cours des 30 dernières années, les taux d'obésité et de diabète ayant considérablement augmenté, la consommation d'aliments pour animaux a fortement diminué (lait entier, viande rouge, œufs et graisses animales). Pendant ce temps, la consommation de fruits a augmenté comme celle des légumes et des céréales. Toutes les tendances indiquent le passage à un régime alimentaire plus basé sur des végétaux à prédominance de céréales mais aucun indicateur n’indique que ce régime favorise la santé.

Quelques pistes se dégagent selon les recherches les plus récentes.

1/ La quantité d’aliments compte mais le type d’aliments est plus important

Un excellent travail passé relativement inaperçu nous rappelle que finalement la quantité de calories est importante et que quelque soit la nature de l’excès de calories il est associé sur le long terme au surpoids et à l’obésité. Les produits industriels qui sont très denses en calories doivent être réduits.

2/ L’allégé en gras ne fait pas maigrir, la phobie du gras précipite les consommateurs dans l’addiction aux sucres rapides. L’allégé en sucres ajoutés (cas des biscuits allégés en sucre ajouté) ne sert qu’à cacher des sucres non sucrés (amidons) présumés “naturels” mais en grande quantité et ayant les mêmes conséquences métaboliques.

3/ Les sucres cachés ajoutés ou les sucres non sucrés (amidons) ont envahi les produits industriels et leur impact est très peu connu alors qu’il ne peut être neutre.

4/ La règle “officielle” de consommation des fruits et légumes est totalement vague et conduit à des comportements erronés: les légumes riches en calories sont mélangés à ceux qui le sont très peu, les céréales sont “assimilées” à des produits végétaux etc...

5/les produits laitiers totalement fermentés (fromages) au lait entier ne font pas grossir et améliorent le métabolisme.

6/ La viande de boucherie (viande de découpe à l’étal) ne présente aucun risque du point de vue de la santé et contribue à apporter des nutriments et micronutriments essentiels

7/ Les oeufs sont d'excellentes sources de protéine

8/ Boire c’est boire de l’eau

Il est donc plus que jamais nécessaire d’investir dans la recherche sur les causes de l’obésité dans les pays développés ce qui revient à remettre en cause les recommandations actuelles. Considérer que les états n’ont pas de conflit d’intérêt dans ce domaine est d’une immense naïveté. Les intérêts agro-alimentaires sont omniprésents au sommet de l’état et de l’establishment nutritionnel. Ce qui est déséquilibré ce n’est pas l’assiette des français qui tiennent à leur modèle alimentaire traditionnel c’est la balance du pouvoir qui penche vers les subventions agricoles, la réglementation trompeuse ou bien des recommandations totalement infondées.

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