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Pourquoi la France serait plus à même que d'autres de supporter une sortie de l'Union européenne (ce qui n’est pas une raison pour le souhaiter)
©Reuters

Le piège

D'après un sondage Elabe pour Atlantico, les citoyens Français sont plus méfiants que les autres à l'égard de l'Union européenne, contrairement aux Allemands et aux Espagnols. Il semblerait que les Français bénéficient moins de l'Europe que leurs voisins germaniques et aient moins à perdre d'un éclatement de l'Union européenne que les pays du Sud.

Guillaume Sarlat

Guillaume Sarlat

Polytechnicien et Inspecteur des Finances, Guillaume Sarlat, a fondé et dirige à Londres une société de conseil en stratégie aux entreprises.

 

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Atlantico : Selon le sondage Elabe pour Atlantico, 40% des Français considèrent que l'Europe présente plus d'inconvénients que d’avantages. Dans le même temps, les Italiens (37%) mais surtout les Espagnols (18%) sont plus cléments vis-à-vis de l'Europe. Est-il possible d'expliquer une telle divergence par le fait que la France, deuxième économie de l'Union, serait plus à même de conduire un avenir en dehors de l'Europe que des pays plus fragiles, comme l'Espagne, le Portugal, ou la Grèce ?

Guillaume SarlatJe ne pense pas que les résultats de ces sondages reflètent l’appréciation rationnelle et objective des avantages et inconvénients, pour tel ou tel pays, d’appartenir à l’Europe et de sa capacité pratique à en sortir. Ce que ces sondages révèlent, c’est plutôt la situation politique propre à chacun de ces pays, et le degré d’instrumentalisation par les gouvernements et les partis politiques nationaux de la question européenne.

La situation politique en France et en Italie présente aujourd’hui des similitudes. Les deux pays sont gouvernés par une équipe qui se présente comme réformiste en matière économique. Mais la situation économique reste en pratique très dégradée, que ce soit en France ou en Italie, avec une croissance très faible et un chômage élevé. Ainsi, en Italie, la croissance est attendue à seulement 0,1% au premier trimestre 2016 et le chômage reste élevé, à 11,5% en moyenne et près de 40% pour les 19-24 ans. Par ailleurs, les deux pays sont confrontés sur leur sol à la crise des migrants.

Dans ce contexte, Valls et Renzi ont mis en scène ces derniers mois leurs agacements et leurs tensions avec l’Europe pour laisser entendre que celle-ci est responsable des difficultés économiques et de la crise migratoire que leurs pays traversent. Notamment, ils critiquent tous deux l’alignement de l’Europe sur les positions allemandes, que ce soit sur le plan économique ou de la politique migratoire.

Ce discours officiel critique à l’égard de l’Europe en France et en Italie influence sans aucun doute l’opinion des populations. D’autant que, dans ces deux pays, certains partis de premier plan vont plus loin que la simple critique pour proposer une sortie de leur pays de la zone euro et de l’espace Schengen. C’est le cas du Mouvement 5 étoiles et du Front national. Le FN réclame même un référendum sur la sortie de l’Union, comme au Royaume-Uni.

En revanche en Espagne aucun des principaux partis n’a fait de l’Europe un sujet  majeur de son programme et aucun ne réclame une sortie de l’Europe ou de l’euro, ni même seulement qu’un référendum soit organisé sur le sujet. Podemos notamment ne demande pas une sortie de l’euro mais seulement un aménagement de sa gouvernance.

Retrouvez ce sondage exclusif dans son intégralité sur notre site : Seuls 26% des Français estiment que l'appartenance de la France à l'UE a plus d'avantages que d'inconvénients "

Et pour une analyse approfondie des résultats de ce sondage, lisez notre Une du jour : Après le Brexit, la Frantie (ou la sortance…?) : le sondage qui révèle comment les Français sont devenus les champions d’Europe de l’euroscepticisme" 

En quoi les pays du Sud de l'Europe, comme l'Espagne, l'Italie, la Grèce, ou le Portugal, auraient beaucoup plus à perdre d'une déconstruction européenne ?

On entend souvent ces derniers temps en France que la sortie du Royaume-Uni de l’Europe serait une bonne chose. Les Britanniques seraient en effet aujourd’hui l’une des principales causes du mauvais fonctionnement de l’Europe, car ils n’auraient pas la même " vision " de l’Europe que les Etats-membres du continent. Ce raisonnement ne tient absolument pas.

L’Europe aujourd’hui se résume avant tout au marché intérieur, c’est-à-dire à la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, et à une monnaie unique pour les Etats-membres de la zone euro.

Ce marché intérieur serait affaibli par la sortie d’un de ses membres, surtout si celui-ci représente 20% du PIB de l’Europe comme c’est le cas du Royaume-Uni. Même si des accords de libre-échange sont mis en place avec le Royaume-Uni du type de ceux de l’Espace economique européen, les économies de l’ensemble des pays membres actuels y perdraient en efficacité économique et en attractivité pour les investisseurs étrangers. La position de l’Europe serait également affaiblie dans les négociations commerciales internationales.

Et les " petits pays ", notamment du Sud de l’Europe, ont effectivement ici beaucoup à y perdre.

L’accès au marché intérieur permet en effet à leurs entreprises d’acquérir une taille suffisante malgré un marché domestique réduit, et à leurs consommateurs d’acheter facilement et à moindre coût les biens qui ne sont pas produits localement. Le marché intérieur permet également à ces pays d’attirer plus de capitaux étrangers, qui ont ainsi accès à un marché de 500 millions de consommateurs. Les investissements chinois au Portugal, par exemple, n’auraient pas été les mêmes ces dernières années si le Portugal n’était pas une porte d’accès à l’Europe.

Ces " petits pays " sont également fortement bénéficiaires de l’euro, qui permet à leurs entreprises d’accéder à une liquidité beaucoup plus abondante et à des taux d’intérêt plus bas que ce qu’une monnaie nationale leur offrirait.

Et l’argument selon lequel un resserrement de l’Europe permettrait de développer un projet et des politiques plus ambitieux ne tient pas.

En effet, en dehors du marché intérieur, près de 60 ans après la création de l’Europe, les politiques européennes restent largement embryonnaires. L’Europe s’est certes dotée depuis l’origine d’une politique agricole commune, ainsi que d’une politique commune sur la pêche, mais l’Europe n’a toujours pas de politique commune sur les transports, l’énergie, la R&D ou encore le social, faute de projet politique commun. Et ce n’est pas la sortie de tel ou tel Etat-membre qui permettra de trouver miraculeusement des consensus pour des politiques communes, alors que les traités prévoient déjà depuis le traité d’Amsterdam de 1997 la possibilité d’établir des " coopérations renforcées " entre certains Etats membres.

Inversement, les menaces pour la France d'une sortie européenne, ou de l'euro, vous semblent elles exagérées ? Le fait que d'autres pays européens, comme le Royaume-Uni, la Suède, ou la Norvège affichent des performances supérieures aux pays de l'euro ne plaide-t-il pas en faveur d'un scénario plus mesuré ?

Comme je le disais précédemment, l’Europe c’est un marché intérieur, une monnaie unique pour certains, et quelques politiques sectorielles.

Commençons par le plus simple : les politiques sectorielles. La France pourrait tout aussi bien financer elle-même ses agriculteurs et ses pêcheurs, sans passer par le détour d’un budget européen. L’essentiel n’est pas là.

La France profite bien-sûr du marché intérieur, mais il n’y a pas besoin d’être en union politique pour avoir une zone de libre échange. L’Espace économique européen (EEE) nous le démontre, ainsi que les autres zones de libre-échange existant dans le monde, comme le NAFTA en Amérique du Nord. Et tout comme pour le Royaume-Uni, on imagine mal que la France, compte-tenu de son poids dans les échanges européens, ne pourrait pas obtenir un statut du type EEE si elle devait sortir de l’Europe.

Pour ce qui est de l’euro, je pense qu’il faut réformer l’euro, et notamment prendre acte de la divergence des économies de la zone en re-nationalisant au maximum la politique monétaire, pour pouvoir profiter des avantages de l’euro (liquidité, monnaie de réserve et d’échange mondiale) sans pâtir de ses défauts (politique monétaire trop laxiste car alignée sur le moins-disant, irresponsabilité démocratique de la BCE, bulles financières à répétition).

Sortir de l’Europe, pour un grand pays comme le Royaume-Uni ou la France, est donc envisageable. Amender l’euro et renationaliser la politique monétaire est également réaliste et souhaitable. Mais il faut être clair : il ne faudrait pas attendre de miracle d’une telle prise de distance vis-à-vis de l’Europe, si elle devait avoir lieu.

Si la France connaît depuis 30 ans une croissance faible et un chômage élevé, c’est d’abord du fait du choix d’un modèle économique low cost et low innovation. Les sources de ce modèle vicié, ce sont les baisses de charges à répétition sur les bas salaires, l’abandon par l’Etat de toute ambition industrielle, le court-termisme des investisseurs et des institutions financières, et l’absence de contre-poids dans les grandes entreprises face au patronat. Tous ces choix sont des choix politiques nationaux dans laquelle l’Europe et l’euro n’ont pas grand chose à voir.

Dit autrement, renforcer ses liens avec l’Europe ou au contraire les délier ne saurait être un projet en soi, mais seulement la résultante d’un projet politique et économique national. C’est bien ainsi d’ailleurs que se structure le débat aujourd’hui au Royaume-Uni : partant du projet du Royaume-Uni, qui est de rester la capitale financière de l’Europe, de continuer à développer son industrie haut de gamme et de se positionner comme une des plates-formes mondiales de l’innovation, le Royaume-Uni est-il mieux dans l’Europe ou à l’extérieur de l’Europe ? 

Finalement, cette défiance des Français face à l'Europe n'est-elle pas rationnelle ? En constatant notamment que l'Allemagne affiche un taux de satisfaction (42% contre 26% pour les Français) bien plus élevé que la France, peut-on également en déduire que l'Allemagne aurait plus à perdre que la France dans le cas d'une déconstruction européenne ?

Que les Français soient défiants vis-à-vis de l’Europe, on le comprend, étant donné son caractère non-démocratique, son absence de projet lisible et son incapacité à résoudre les problèmes qui font l’actualité aujourd’hui en France, à savoir la crise des migrants et le chômage. Après, tant que le projet politique sera en France le low cost et le low innovation, la France aura plutôt intérêt à rester en Europe et dans la zone euro, pour profiter des taux d’intérêt artificiellement bas qui lui permettent de financer son modèle insoutenable à long terme par de la dette publique.

Pour ce qui est de l’Allemagne, la part de l’industrie manufacturière y est deux fois plus importante qu’en France. L’Allemagne a donc intérêt à faire partie d’un marché intérieur le plus large possible, pour offrir des débouchés à ses entreprises et ainsi rentabiliser les investissements de ses industries très capitalistiques. A la création de l’Europe, au milieu des années 1950, c’est ainsi sans surprise l’Allemagne qui était la plus demandeuse de ce que l’on appelait à l’époque le marché commun.

Toujours du fait du poids important de son industrie, l’Allemagne a également intérêt à avoir une monnaie qui soit une monnaie de référence dans les échanges, et qui soit en même temps sous-évaluée au regard de la demande internationale pour les biens produits sur son sol. L’euro remplit aujourd’hui ces deux critères, et tout particulièrement le second. Pour preuve, l’excédent commercial de l’Allemagne était en 2015 de 249 milliards d’euros, en augmentation de 17,5% par rapport à 2014, sans que l’euro s’apprécie en conséquence. Donc oui, l’Allemagne aurait beaucoup à perdre à une déconstruction européenne sur le plan économique. Comme la France, mais pour d’autres raisons. Aurait-elle plus à y perdre que la France ? Difficile à quantifier. En tout cas, le modèle économique actuel de l’Allemagne paraît plus viable à long terme que celui de la France. Donc in fine, l’Allemagne a sans doute moins à perdre à une déconstruction de l’Europe…

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