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Pourquoi la fiscalité du capital reste confiscatoire en France même avec la suppression de l’ISF
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Attractivité

Un impôt sur les bénéfices des entreprises serait une bonne chose...A condition de le faire au niveau mondial ou, à minima, européen.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Alors que le mouvement des Gilets jaunes a remis en avant le débat sur la fiscalité du capital en France, celle-ci étant jugée insuffisante aux yeux de nombreux français, comment évaluer la réalité de cette fiscalité dans le pays ? Quel en est le contenu ? 


Jacques Bichot : La fiscalité du capital, en France, revêt des formes multiples. Il y avait évidemment l’ISF (5 Md€ en 2017), récemment supprimé sauf pour les biens immobiliers – ce qui crée une distorsion difficilement justifiable dans un pays où l’égalité est un principe constitutionnel. Pour les biens immobiliers, il y a la taxe foncière (40 Md€), et la partie (inconnue) de la taxe d’habitation payée par des propriétaires-habitants qui dépasse la valeur des services que leur rendent les collectivités territoriales, lorsque tel est le cas. 
L’impôt sur les bénéfices des sociétés n’est certes pas assis sur la valeur du capital lui-même, puisque son assiette est un flux – un revenu – et non un stock, mais il pèse (62 Md€ en 2017) sur les détenteurs d’actions, puisqu’il réduit d’autant la rentabilité du capital qu’ils détiennent. S’y ajoute l’imposition des dividendes et des plus-values, qui écorne aussi la rentabilité des capitaux pour leurs propriétaires. 
L’impôt sur les successions et donations est lui aussi à prendre en considération puisque, pour financer les dépenses publiques, il ampute la fortune des particuliers. Le montant de 13,2 Md€ pour les « droits de mutation » correspond principalement, mais pas seulement, à ces transferts de biens d’une génération à la suivante. 
Enfin, citons sans être totalement exhaustif : les taxes prélevées lors des transactions immobilières, auxquelles s’ajoute un impôt sur les plus-values ; la taxe sur les transactions boursières, dont le taux (0,27 %) est faible en comparaison de celui sur les transactions immobilières, mais qui est particulièrement problématique du point de vue de la justice fiscale, puisqu’il est limité à 1 600 €, ce qui revient à taxer davantage, en proportion, les petites et moyennes transactions que les grosses (à partir de 593 000 €) ; les droits sur les ventes d’immeubles et sur les cessions de droits sociaux ; une taxe forfaitaire sur les métaux précieux ; une taxe sur les friches commerciales ; des taxes sur les concessions funéraires ; une redevance due par les titulaires de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux ; etc. 
Dire que cette fiscalité est insuffisante relève d’une mentalité selon laquelle les possédants doivent payer davantage que ceux qui font usage de biens ne leur appartenant pas. Or la détention des biens comporte un aspect de service public qui devrait tempérer cette sévérité : les propriétaires fonciers et immobiliers entretiennent un patrimoine qui ne profite pas seulement à eux : nous n’aimerions pas nous promener dans des rues bordées d’immeubles lépreux. Quant aux actionnaires, ils sont indispensables pour qu’il existe de l’emploi et de la production. Il ne faut donc pas surcharger le baudet, mais lui faire porter la charge qui ne le ralentit pas.


La baisse constatée de la fiscalité du capital en France depuis l'élection d'Emmanuel Macron fait-elle réellement de la France un pays attractif sur cette thématique ? 


Le problème principal est celui de la fiscalité des entreprises, qu’elle porte sur leur valeur patrimoniale ou sur leurs bénéfices. J’ai démontré à diverses reprises que l’impôt sur les bénéfices à un taux élevé, par exemple 50 %, serait une excellente chose … si tous les pays appliquaient cette disposition. Malheureusement, la concurrence des différents pays pour attirer les entreprises consiste pour une part importante à leur promettre un faible taux de l’impôt sur les sociétés (IS).
Pourquoi un taux élevé de l’IS serait-il une bonne chose si tous les pays se mettaient d’accord à ce sujet ? Parce que les entreprises s’efforcent de dégager une certaine marge après IS, si bien qu’un IS à taux élevé amènerait les entreprises à pratiquer des marges importantes, ce qui les rendraient beaucoup moins vulnérables aux variations conjoncturelles. En quelque sorte, les Etats participeraient pleinement aux heurs et malheurs des entreprises, si bien qu’ils se soucieraient davantage de leur donner de bonnes conditions de fonctionnement. Si l’on a des poules aux œufs d’or, on les soigne bien ! Pas question de leur tordre le cou, aux poules aux œufs d’or ! 
Dans ces conditions, les entreprises feraient des bénéfices après impôt aussi importants que dans le système actuel, et donc des bénéfices avant impôt nettement supérieurs, si bien qu’un à-coup conjoncturel les perturberait beaucoup moins : elles auraient constitué d’importants matelas de fonds propres, et une baisse des prix ou des volumes vendus pèserait moins qu’aujourd’hui sur leur situation. En effet, pour qu’une entreprise devienne déficitaire, il faudrait une chute de ses prix et de ses ventes nettement plus importante que ce n’est le cas avec des taux d’IS de 25 %, voire moins).

Quelles seraient encore les améliorations à apporter à cette fiscalité pour la rendre optimale pour le pays ? 


A défaut de pouvoir harmoniser les taux d’IS au niveau mondial, il serait déjà très intéressant de le faire au niveau européen. Macron le Grand Européen devrait s’y consacrer, plutôt que de surtaxer le carburant nécessaire aux travailleurs pour aller bosser, particulièrement en zone rurale, et d’être obligé par la rue à revenir sur sa décision. Quand on pense que la Commission européenne a comme président l’homme qui gouvernait l’un des deux paradis fiscaux européens, on comprend la difficulté d’avancer sur ce sujet, mais Junker n’est pas inamovible ! Il va d’ailleurs bientôt falloir, statutairement, lui trouver un successeur. Actuellement, l’unification des taux d’IS au niveau européen, et leur rapprochement au niveau mondial, devrait être l’une des principales priorités, et dans cette perspective le choix du prochain président de la Commission européenne sera décisif.
Ajoutons que la question des taux n’est pas tout : nous devrions aussi uniformiser au niveau européen le mode de calcul du bénéfice des sociétés. L’un ne va pas sans l’autre.
Par ailleurs, il serait intéressant de faire le ménage dans nos « niches fiscales ». Les niches sont faites pour les chiens, animaux que je tiens en grande estime, mais enfin les Français et les Européens ne sont pas des chiens, ils n’ont pas besoin d’un maître qui leur dise « cou-couche panier », investissez dans tel produit défiscalisé. La défiscalisation de certains investissements, notamment immobiliers, est le signe d’une infantilisation consternante des citoyens français. Les particuliers qui investissent dans l’immobilier locatif doivent le faire au vu de la qualité des programmes, pas en fonction d’avantages fiscaux ! Tant que nos gouvernants nous mépriserons au point de vouloir acheter nos comportements en créant des « niches fiscales », la France ne sera pas une démocratie adulte.
Plus généralement, l’impôt sur les sociétés, sur leurs bénéfices et sur les revenus qu’en tirent certains contribuables, doit être réformé dans un sens conforme avec la nécessaire remise en ordre de notre fiscalité. Autrement dit, il doit être affecté aux services que l’Etat rend aux entreprises, de même que l’impôt sur le revenu des ménages doit l’être aux services que l’Etat rend aux particuliers. Une philosophie de l’impôt est nécessaire, et celle que Philipe Nemo a développée me paraît excellente : à son avis, l’impôt est (ou devrait être) principalement le prix d’achat des services que nous rendent les services publics. C’est pourquoi les collectivités territoriales doivent fonctionner à l’aide de taxes et impôts locaux, et non pas à l’aide d’argent en provenance de Bercy ! Il est normal de payer à Pierre les services que nous rend Pierre, et à Jean ceux que nous rend le dit Jean. Tant que la fiscalité sera organisée selon un principe de non-affectation des recettes aux dépenses – principe qui s’accommode, heureusement, de diverses exceptions – nous serons mal gouvernés.
La fiscalité française ne sera jamais optimale, la perfection n’est pas de ce monde. Mais elle peut être grandement améliorée, dans un sens propice à la diminution des dépenses de recouvrement, et surtout dans le sens d’une correspondance beaucoup plus claire entre ce que nous payons et les services publics dont nous bénéficions. Il est injustifiable par exemple qu’une forte proportion des dépenses de protection sociale provienne de l’impôt et non des cotisations sociales, et encore plus injustifiable qu’il existe des cotisations sociales dites « patronales », alors que lesdites cotisations paient un service rendu, non pas aux entreprises, mais aux particuliers. Ne mélangeons pas les chats et les chiens, ça ne donne rien de bon : telle devrait être la maxime de nos grands argentiers. 

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