Pourquoi la distinction que fait Bernard Cazeneuve entre "salafisme radicalisé" et terrorisme est devenue largement illusoire <!-- --> | Atlantico.fr
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Le suspect de l'attentat perpétré en Isère.
Le suspect de l'attentat perpétré en Isère.
©Reuters

Fondamentalisme musulman

Suite à l'attentat de l'Isère survenu vendredi dernier 26 juin, la transformation du radicalisme en terrorisme paraît désormais être effective : nous sommes passés du terrorisme aveugle d’Al-Quaïda au terrorisme de proximité de Daech.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Une petite semaine à peine s’est écoulée depuis la «première réunion de la nouvelle instance de dialogue du gouvernement avec les musulmans de France». Il y a eu l’organisation de débats sur l’islam chez les Républicains puis au Parti socialiste. Tout cela avait pour objet de réguler les rapports entre l’Islam et la République. Au "forum" organisé par les socialistes sur ce thème, ayant comme programme : «ensemble relevons le défi", le député socialiste Jean Glavany s’est adressé aux Français musulmans "afin qu'ils aident à la construction d'une relation apaisée avec la République par la promotion de l'islam de France comme un islam des Lumières, moderne et tolérant".[1] Un tel souhait est plus jamais d’actualité.

La mise en scène macabre exhibant la tête d’un homme au sommet d’une cloture  entre deux drapeaux à la gloire de la profession de foi musulmane a fait entrer, dans le quotidien du pays, une réalité qui glaçait le sang mais arrivait par images en provenance de contrées lointaines : scènes de décapitations en masse, homosexuels jetés des immeubles. Les vidéos propagandistes de l’Etat islamique avaient un aspect d’irréalité, tant nos mentalités et plusieurs siècles de civilisation nous éloignent de leur vérité et nous rend imperméable à leur sens.

Alors même que 55% des Français, selon un sondage publié par Le Parisien, [2] ressentent certaines revendications communautaires et a fortiori de nature religieuse depuis les attentats de janvier, comme une agression à leur encontre, on mesure mal les conséquences, morales autant qu’électorales, qu’aura l’effet de sidération provoqué par celui d’hier, tant sa violence symbolique est forte. Jean-Marie Le Pen ne s’y est pas trompé qui a dit : «Je ne suis pas Charlie, je suis Charles Martel».

En attendant, il n’est peut-être pas totalement idiot de se demander si la distinction opérée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, entre «groupes salafistes radicalisés» et terrorisme, a encore la moindre pertinence intellectuelle?

Selon les termes d’Alain Bauer, criminologue français, spécialiste des questions de sécurité, nous sommes passés du terrorisme d’Al-Quaïda à celui de Daech, d’un terrorisme aveugle à un «terrorisme de proximité». Et celui-ci n’est pas «le fait d’actes isolés en provenance d’individus auto-intoxiqués». Le passage à l’action terroriste, ordonné à tous les musulmans par l’Etat islamique, est le fait d’ «individus solitaires» obéissant aux dictats d’une idéologie théocratique dont Daech est devenu, par ses conquêtes militaires, le chef mondial incontesté.[3]

La France n’a t’elle pas trop tardé à admettre qu’ à ce terrorisme nouveau correspond la déclaration d’une guerre nouvelle. Une guerre dont les lois ne visent pas la conquête matérielle d’un pays, mais la lutte par la terreur contre ce que contiennent ses frontières : un modèle de société, ses moeurs et ses coutumes, son régime politique (la démocratie républicaine) et les valeurs humanistes et universalistes qui le fondent.

Dounia Bouzar, Docteur en anthropologie, spécialisée dans l'« analyse du fait religieux, a répertorié deux voies de contamination par lesquelles s’installe dans notre pays le terrorisme musulman. Elle précise que «pour qu’il y ait radicalité», ces deux voies sont concomitantes : «la voie virtuelles via internet et la voie réelle par exaltation au sein d’un groupe», qui peut se réduire, précise-t’elle, «à deux ou trois personnes». Mais jusqu’à ce jour, une chappe de plomb idéologique rend taboue, malgré les attentats, l’idée d’établir un lien entre une religion qu’il conviendrait de nommer et les exactions commises en son nom.

 De retour par l’islam, la question religieuse qu’on croyait éradiquée en France depuis «la Séparation de l’Eglise et de l’Etat» sous la Troisième République, obéit aujourd’hui à des ressorts complexes et inédits. Liée à une ré-islamisation mondiale, elle touche, en France, en majorité les jeunes et les femmes.

Un sondage effectué il y a sept ans montrait déjà que 60% des moins de trente ans pensent que la Charia, la loi canonique islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle, doit «s’appliquer en tout ou partie en France», alors qu’ils ne sont que 43% chez les 50 ans et plus. Parmis ceux-ci, 62% sont des femmes et 47% des hommes. Idem pour le port du voile, symbole le plus visible de l’application de la Charia : 79% des moins de 30 ans sont pour, contre 49% des musulmans de plus de 50 ans.[4] La nette augmentation de la pratique de l’islam chez les jeunes français est autant liée au sentiment d’appartenance à «la culture d’origine», comme à un mythe, qu’à une forme de contestation. On n’assimilera cependant pas l’intégrisme, pas plus que le terrorisme à tous les musulmans, mais c’est bien une certaine croyance en l’islam qui conduit à l’un et à l’autre, y compris en France, où les autorités recensent, aujourd’hui, 1700 jeunes hommes et femmes, potentiellement partants pour le Jihad.

C’est pourquoi à court terme, il est urgent d’en finir avec les discours contre l’islamophobie, aussi démagogiques que contradictoires, comme celui de Manuel Valls, expliquant, il y a quatre jours, «devant des représentants du culte musulman et des jeunes» d’Alsace, qu’il souhaite «préciser sa vision de la place de l’islam dans la République française» et mener une «bataille idéologique immense» afin de faire comprendre aux jeunes, « qu’ils n’ont pas à s’intégrer » mais « à exercer pleinement leur citoyenneté ».[5]

On aimerait qu’il explique au pays comment des «jeunes non intégrés» à «une société démocratique» (du grec demos : le peuple qui habite la cité), même sans hostilité à ses valeurs, pourraient y exercer un rôle citoyen?

Au prétexte de ménager le communatarisme musulman ou de satisfaire au mythe de «la stigmatisation» cher à « monsieur et madame pas d’amalgame», le premier ministre ne fait que nous resservir les revendications anti-racistes de sa jeunesse. Dénigrer l’intégration au nom du droit à la différence culturelle fût, en effet, l’idéologie des années Mitterrand. Mais, c’est encore sur cette argumentation que se fonde la légitimité de revendications communautaires et religieuses auxquelles le gouvernement est sommé de répondre. Les événements d’hier pourraient contraindre chacune des parties à évoluer, si elles admettent que l’intégrisme peut mener au terrorisme.



[2] «Sondage : ce que les Français pensent de l'islam», Le Parisien, 20 juin 2015

[3] Alain Bauer, l’invité de Ruth Elkrief, 4 février 2015

[4]  «Islam et société», Le Monde des Religions, 2008

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