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Pourquoi la démocratie libérale est désormais en recul dans le monde après des décennies de (tentatives) d’expansion
©Reuters

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Depuis plus de vingt ans, l'Occident s'est démarqué par son ingérence dans les affaires de nombreux pays au motif de la démocratisation et du respect des droits de l'Homme. Or, la multiplication de ces interventions n'a cessé de dégrader son image, ainsi que celle de ses valeurs.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Après quinze ans de progression (1990-2005), selon Freedom House, le modèle démocratique occidental semble reculer nettement, et plus encore depuis cinq ans. Le retour en force de l'autoritarisme dans un monde multipolaire et les crispations et violences vis-à-vis de l'Occident semblent remettre en cause le modèle de la mondialisation des droits de l'Homme dont on rêvait au tournant du siècle. Qu'est-ce qui explique ce changement ? 

Alexandre Del Valle : 1990 est une date intéressante : c'est la date à laquelle Francis Fukuyama diagnostique la victoire du modèle libéral démocratique. Et 1990 correspond aussi à l'avènement des révolutions de velours juste après la seconde guerre du Golfe, où, sous couvert de démocratisation, les Occidentaux, et surtout les Américains, essayent de jouer des mauvais tours aux Russes et aux pays d'Asie centrale pour diminuer le pouvoir stratégique de la Russie. D'un côté, le monde arabo-musulman a été extrêmement choqué par des interventions en Irak ou en Libye ; cela a extrêmement discrédité les valeurs démocratiques. Et d'un autre côté, la Russie et ses alliés ont intériorisé la démocratisation occidentale comme une sorte de complot permettant de justifier un nouvel impérialisme. Les révolutions de velours ou de couleurs portées par l'Occident, ou les interventions en ex-Yougoslavie ont été considérées comme parties de ce coup monté occidental. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, la démocratie va moins bien que dans les années 1990 : à l'époque, il y avait une popularité de l'Occident que portaient les espoirs de nombreux peuples opprimés. Aujourd'hui, un quart de siècle plus tard, il faut voir que la grande idée portée par ces autres civilisations est que l'Occident ne représente plus l'idéal démocratique promis, malheureusement, mais plutôt une civilisation néo-impériale, arrogante et dangereuse. C'est pourquoi ces pays se replient sur un nouvel autoritarisme et une nouvelle real politik qu'incarnent parfaitement Monsieur Erdogan en Turquie ou Monsieur Poutine en Russie. C'est un phénomène qui est une tendance lourde, qu'a bien compris Freedom House.  

La contestation de ce modèle met en avant les effets pervers qu'ont eus les processus de démocratisation dans les pays non-occidentaux. Quel est le rôle de l'Occident dans cette débâcle ? 

Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec cette déresponsabilisation qui consiste, dans de nombreux pays du Sud, à accuser les anciennes puissances occidentales, et l'Occident, d'être responsables de tous leurs maux. 

En revanche, ce qui est vrai, c'est qu'en bombardant la Libye, en mettant Ouattara au pouvoir en Côte-d'Ivoire dans des conditions assez troubles, en intervenant dans les affaires des pays d'Afrique et des pays arabes et musulmans, en bombardant des populations civiles pendant des années avec des drones (ce qui est considéré comme lâche par les victimes), en provoquant des embargos, comme en Irak, qui ont assoiffé et affamé des populations (on avait même plus le droit d'importer des produits contre le cancer), des millions de personnes ont vu l'Occident comme un danger. 

Même s'il est faux d'affirmer que l'Occident est responsable de tout, les interventions grâce au droit d'ingérence tel que l'a théorisé Kouchner et tel que l'applique l'ONU aujourd'hui, ont fait que le droit international est légitimement perçu aujourd'hui comme un instrument néo-impérialiste et néo-colonisateur. L'Occident apparait comme à l'origine des maux du monde entier. 

Le poids des interventions en Irak est décisif dans ce renversement. Tous les experts reconnaissent qu'elles furent en tout point catastrophiques. Un analyste disait que si Daech a un père et une mère, son père est la première guerre d'Irak en 1990. Cette erreur, nous la payons tous les jours, particulièrement les pays de l'OTAN, qui portent une part de responsabilité considérable dans la dégradation du monde. Ces interventions ont donné des idées à de nombreux dictateurs qui ont décidé de ne pas se modérer, et à des semi-dictateurs qui décident de même de ne pas se démocratiser pour ne pas rentrer dans le système intégré occidental, droit-de-l'hommiste et onusien, qui le rendrait vulnérable. C'est ce que dit régulièrement le dictateur de la Corée du Nord : "Kadhafi a voulu renoncer à l'arme nucléaire comme l'avait fait Saddam Hussein avant lui, et ils ont été renversés". Morale de l'histoire : "Soyons souverainistes, pratiquons la real politik, ne nous laissons pas entrainer par des partages de souveraineté et des accords de démilitarisation comme le souhaite l'Occident, parce que sinon ils vous remercient en vous bombardant !" C'est malheureusement ce que pensent beaucoup de pays nationalistes.

Il faut respecter leur indignation et les prendre au sérieux. Samuel Huntington, que tout le monde critique pour son Choc des civilisations, mais que personne n'a lu, disait dans la conclusion de cet ouvrage que l'Occident, pour ne plus être haï et pour ne plus discréditer ses propres valeurs universelles qui sont des valeurs mondiales, devait cesser d'être arrogant et intervenir dans les affaires des autres peuples ! Si même Huntington le disait, qui fut accusé d'être un faucon, un nationaliste américain, si même Donald Trump qu'on accuse d'être un danger pour le monde, dénonce l'interventionnisme et condamne avec virulence l'intervention de George Bush fils qu'il considère comme fou, c'est qu'il est temps de remettre en cause cet interventionnisme

S'agit-il fondamentalement d'une critique de la démocratie en tant que telle, ou plutôt du libéralisme politique ? 

D'un point de vue humaniste, les valeurs développées historiquement par l'Occident (l'humanisme, les droits de l'Homme, la liberté d'expression) appartiennent au patrimoine de l'Humanité et pas à l'Occident en tant que tel. Mais il est important de les dissocier de la politique aujourd'hui : car ces valeurs sont assimilées à un cache-sexe d'un néo impérialisme occidental. Il est donc urgent, pour diffuser ces valeurs, de bien montrer que ce n'est pas parce que certains pays occidentaux ont pratiqué des politiques néo-coloniales que cela remet en question le libéralisme politique et les droits de l'Homme en général.

Cette tendance devrait-elle se confirmer dans l'avenir, ou est-elle liée à un contexte conjoncturel ?

Les deux voies se dessinent aujourd'hui. Nous vivons une réaction conjoncturelle aux interventions principalement anglo-saxonnes dans les pays arabo-musulmans ces dernières années. Mais cela peut être durable, car le monde multipolaire qui s'installe est un monde dans lequel l'Occident est de moins en moins le diapason ou la référence intellectuelle, même si certaines technologies comme l'iPhone et autres avancées technologiques, sont majoritairement produites par l'Occident. Car les pays font la dissociation entre la technologie et les valeurs. A long terme, l'Occident va être de plus en plus oublié. Pour le meilleur ou pour le pire. La globalisation se désoccidentalise : on est global à Singapour en étant confucéen, en Inde en soutenant les castes et en étant hindouiste, en Russie en faisant bénir les obus par un représentant de la Sainte-Russie orthodoxe, en Amérique Latine avec le retour de l'indigénisme indien. On voit bien que partout, il y a une baisse de la référence occidentale. Ce refus de l'Occident risque de durer assez longtemps, jusqu'à ce que les pôles soient clairement installés. Alors, la place de l'Occident pourra évoluer, car il ne sera plus impérial. Si l'hégémonie persiste à être perçue comme telle, la situation s'aggravera. 

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