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Pourquoi l’envolée des cours de l’or en dit beaucoup plus sur le défaut de culture économique des marchés que sur l’état de l’économie mondiale
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Spéculation statique

Alors que le prix de l'or est au plus haut depuis cinq ans, éclairage sur l'attrait qu'exerce toujours l'or, en dépit de toute logique.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Ce qui devrait intéresser les gens n'est pas l'or, mais l'argent. Se diriger vers l'or pour obtenir de l'argent est une idée absurde : c'est la meilleure façon d'en perdre. Théoriquement, l'or ne finance rien et ne rapporte rien ; historiquement : à part dans des périodes très particulières (entre 2003 et 2011), l'or a toujours été perdant.  

Préjugé n°1 : l'or est une protection contre la future inflation.

Premièrement, il n'y a plus d'inflation ou en tout cas il y en a de moins en moins en Occident et dans une certaine mesure dans les pays émergents. Si on excepte deux ou trois pays (Argentine, Venezuela, Turquie à la rigueur), il n'y a aujourd'hui plus d'inflation. Même dans des pays traditionnellement inflationnistes comme l'Inde, la Russie ou le Brésil, ils sont aujourd'hui à 4% par an, chiffre qu'on avait dans les années 1980 quand on considérait que l'on avait vaincu l'hydre inflationniste. De plus, aujourd'hui nous avons des outils financiers pour se protéger contre l'inflation, contrairement aux années 1980. Outils imparfaits, certes, dont on peut toujours imaginer qu'ils explosent, mais on peut toujours avoir des protections plus fines, qui rapportent plus que l'or.

Par exemple, si jamais on était dans cette optique de scénario inflationniste, il y a aujourd'hui différentes techniques de protection contre l'inflation (les obligations indexées, mettre son argent sur des monnaies qui ne sont pas inflationnistes : yuan, franc suisse etc.) Il y a aujourd'hui une gamme de produits anti-inflation qui est extrêmement développée, justement parce que malheureusement on a cru pendant des années que l'inflation allait revenir. L'or a été démonétisé et ne protège plus. Des choses plus pratiques, moins chères d'accès et qui rapportent du coupon permettent de toutes façons de se protéger contre le scénario inflationniste.

Préjugé n°2 : il faut acheter de l'or en cas de scénario apocalyptique

Au contraire, dans un scénario de déflation grave, l'or n'est pas idéal : si on veut une grande réserve de valeur sur un petit espace, autant acheter des métaux et matières premières plus chers, plus aisément transportables et avec une réelle utilité que l'or. Ils sont plus facilement stockables.

Et en cas de scénario apocalyptique, je préconiserais plutôt d'acheter des armes et un bunker.

Préjugé n°3 : l'or est utile parce que c'est un taux d'intérêt nul mais pas négatif, en termes réels.

Si l'on prend les dettes américaines, allemandes etc., on a un taux d'intérêt réel négatif (depuis plusieurs années) : il faudrait donc acheter de l'or pour éviter les taux réels négatifs.

Aujourd'hui, on peut se prémunir contre ce risque de taux négatif de différentes manières, en achetant par exemple des dettes qui sont, même en termes réels, en territoire positif : dettes souveraines de certains États, dettes d'entreprise (private equity etc.) Une pléthore d'instruments ont été créés et permettent d'avoir des rendements réels et positifs année après année, alors que l'or sera toujours à zéro : c'est sa seule promesse, il ne rapportera ni coupon ni dividende. Il ne surprend pas mais ne rapporte rien non plus. On a aujourd'hui encore la possibilité d'avoir des rendements positifs si on s'extrait de la zone euro ou si on accepte de prendre des risques sur des placements. Sur une longue période, l'or ne préserve pas le capital. C'est l'actif qui rapporte le moins : il y a une certaine volatilité, pas de calculs économiques possibles parce que les déterminants de l'achat et de la vente d'or changent dans le temps, et il y a une grande obscurité parce que, selon les défenseurs de l'or, les banques centrales sont obscures. On pensait que l'or était fini il y a quelques années : tout le monde s'y est intéressé en 2008, l'or a connu un pic en 2011 et n'a plus rien rapporté du tout par la suite. A chaque fois les calculs sur l'or sont déjoués, parce que les déterminants changent et parce qu'il y a beaucoup trop de spéculation. Beaucoup de risques et un rendement absolument nul : dans aucun calcul rendement-risque on ne peut mettre plus d'1% de son allocation sur l'or.

Il n'y a pas d'inflation, pas de boucle prix-salaire, pas d'effets de second tour, plus d'anticipations d'inflation au-dessus de 2%. On est en train de mourir à petit feu d'une japonisation très radicale : les salaires et la création monétaire sont encalminés, la banque centrale compense comme elle peut toujours trop peu, trop tard. Il n'y a pas d'inflation, pas de hausse des taux : c'est pourquoi il ne fallait pas acheter de l'or. Tous les grands prophètes de l'or disaient il y a dix ans que l'or allait quadrupler de valeur. Dix ans plus tard, on est au même niveau.

Sauf qu'entre temps, l'or n'a rapporté aucun dividende : l'or a fait moins bien que les pires indices boursiers. L'or est compliqué à détenir, volatile et malheureusement il n'y a pas de rendements. La magie des intérêts composés ne fonctionne pas sur l'or. Évidemment, comme ça ne finance pas la croissance, il n'y a pas triplement ou décuplement de la valeur. L'or est un anti-Gafam, anti-Amazon : on est certain de perdre de l'argent sur le long terme, parce qu'il faut intégrer le coût d'opportunité. Cela préserve de la valeur, mais c'est un manque à gagner colossal. Dans une stratégie d'allocation d'actifs à la marge pour un Vénézuélien ou Argentin et à condition de vouloir rester dans ces pays, alors l'or peut être intéressant.

Il y a dix ans, les prophètes de l'or ont prédit un scénario à 180 degrés de ce qui s'est passé : ils n'ont pas vu les Gafam, les taux d'intérêt, la baisse de l'inflation. Ces prophètes détournent la phraséologie libérale classique : "nous allons vous protéger contre la banque centrale, la folie du gouvernement", afin de servir leurs propres intérêts. Cela pourrait être pertinent à la limite si un retour à l'étalon-or avait lieu : crise générale monétaire et l'or se remonétise, redevient un objet de transaction et de réserve. Ce qu'oublient les prophètes de l'or, c'est que la période de l'étalon-or (entre 1873 et 1914) était courte et que ces quatre décennies étaient compliquées : le système ne s'auto-régulait pas aussi facilement qu'on le dit, il y a eu de la déflation et beaucoup de crises financières (crise de 1907 aux USA). L'étalon-or n'est jamais revenu parce qu'en réalité ce n'est pas un système efficient, comme le démontrait déjà Friedman. Ce qu'on a eu dans l'entre-deux-guerres était une perversion de l'étalon-or, cela a été très bien dit par Jacques Rueff. L'étalon-or n'a pas de sens et ne reviendra pas.

Il faut revenir aux bons auteurs : Milton Friedman lorsqu'il explique les tenants et les aboutissants de l'étalon-or. Il faut revoir la mécanique des taux d'intérêt et des taux d'intérêt composés qui montrent qu'on peut accumuler les intérêts. Il faut revenir à Warren Buffet et quelques autres qui parlent de croissance, de dynamiques de gain à moyen et long terme, alors que sur l'or on ne peut faire que de la spéculation de court terme. Il suffit de relire l'intégralité des écrits de Simone Wapler ou de Charles Gave pour comprendre là où ils se sont trompés, comment à partir d'un constat qui pouvait être juste, ils sont arrivés à une mauvaise conclusion, à savoir que les taux d'intérêt allaient monter ; et comment à partir de cette mauvaise conclusion, ils aboutissent à l'idée qu'il fallait parier sur la montée de l'or. L'or est une matière inerte : tout ce que vous pouvez espérer, c'est la revendre plus chère que vous ne l'avez achetée.

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