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Pourquoi Jean-Marie Le Pen se trompe lourdement en pensant que le FN devrait renoncer à sa stratégie de dédiabolisation suite à la victoire de Trump
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Mauvaise idée

Jean-Marie Le Pen a profité de la victoire de Donald Trump pour inciter sa fille à suivre les pas du nouveau président américain. Mais les conditions électorales diffèrent grandement entre les deux candidatures, et Marine Le Pen pourrait perdre plus en abandonnant la dédiabolisation que son père ne le croit.

Bruno Larebière

Bruno Larebière

Journaliste indépendant, spécialisé dans l’étude des droites françaises, Bruno Larebière a été durant dix ans rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Jean-Paul II (éd. Chronique, 1998) et De Gaulle (éd. Chronique).

Il prépare actuellement un ouvrage sur Les Droites françaises vues de droite (parution 2017).

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Atlantico : Marine Le Pen s'est fait remarquer le 9 novembre par les félicitations enthousiaste qu'elle a adressé à Donald Trump. Pourtant, la candidate du Front National s'était longtemps gardée d'un rapprochement avec le magnat américain ces derniers mois. Devant le raz de marée Trump, prendrait-elle le risque d'abandonner sa stratégie de dédiabolisation pour devenir plus offensive comme le fut le nouveau Président des Etats-Unis ?

Bruno LarebièreDurant la campagne présidentielle américaine en effet, Marine Le Pen ne s’était pas positionnée clairement en faveur de Trump contrairement à ce qu’on tente de faire accroire désormais. Interrogée le 31 août par CNN, elle s’en était tenue à un « tout sauf Clinton dans l’intérêt de la France », ce qui revenait certes à soutenir Donald Trump mais n’était tout de même pas la même chose. Si elle se reconnaissait des points communs avec Trump, ça n’a jamais été sur son discours politique, mais dans le fait de n’être « pas du sérail », c’est-à-dire d’être tous deux étrangers à l’Establishment : « Nous ne dépendons de personne », avait-elle affirmé, ce qui reste d’ailleurs à prouver, du moins pour Trump.

Mercredi soir sur France 2, invitée du 20 heures, Marine Le Pen a poursuivi dans cette stratégie d’évitement, manifestant clairement qu’elle n’entend nullement rompre avec la ligne qu’elle s’est fixée, celle de l’« apaisement ». Elle a refusé, tel le cheval devant l’obstacle, de répondre à toutes les questions qui l’auraient amenée sur un terrain autre que celui du « peuple contre les élites ». A Julian Bugier qui évoquait une « victoire identitaire », celle des « Américains blancs, déclassés », Marine Le Pen a répondu qu’il s’agissait d’« une erreur d’analyse » et que « racialiser » les résultats de l’élection américaine était « n’avoir rien compris à ce qui s’est passé », qui n’est rien d’autre que « la volonté de rompre avec la mondialisation sauvage » et « la volonté de retrouver la nation ».

Or c’est à tout le moins un peu court. Le New York Times a clairement montré (1) que l’électeur type de Donald Trump est un homme blanc marié et chrétien de plus de 45 ans, habitant ce que peut appeler, en allusion aux travaux de Christophe Guilluy, « l’Amérique périphérique », pour qui la question la plus importante (« Most important issue ») est l’immigration. Dans les déterminants du vote, les questions économiques n’arrivent que loin derrière : si les électeurs de Trump considèrent que leur situation économique personnelle est moins bonne que celle de leurs parents, et que celle de leurs enfants sera pire encore, cela n’est pas exprimé comme l’élément qui a motivé leur vote.

Marine Le Pen reprend, une fois de plus mais plus visiblement qu’à l’accoutumée, la grille de lecture qui est celle de l’économiste chevènementiste Jacques Sapir, qui fait mine de se tenir à distance du Front national mais exerce sur elle, et encore plus sur Florian Philippot, une influence certaine depuis plusieurs années.

Dans son dernier texte, « Le vote Trump et ses leçons » (2), paru le 10 novembre, Jacques Sapir explique, sous couvert d’analyser le scrutin américain, quelle est la stratégie de Marine Le Pen, évidemment « validée » par l’élection de Donald Trump. Permettez-moi de le citer largement tant le parallélisme est stupéfiant. Il commence par dire ce que Marine Le Pen a exprimé sur France 2 (« présenter le vote Trump comme un vote “blanc“ et raciste passe largement à côté des réalités ») puis déduit : « Il y a une conséquence importante, et qui peut être généralisée. Face aux désastres induits par la “mondialisation“ une partie de l’électorat populaire réagit au chantage de l’élite “nous ou le chaos“ en choisissant le candidat “anti-élite“ ou “anti-système“, que ce soit de manière passive (par l’abstention) ou que ce soit de manière active (en votant pour lui). »

Jacques Sapir ajoute : « Ce phénomène est d’autant plus fort que le candidat “anti-système“ s’est abstenu de déclarations susceptibles de rebuter ces électeurs. Là où Trump, dans ses discours locaux, a tenu ses propos les plus outranciers, le phénomène est le plus faible. Là où il s’est concentré sur des attaques contre l’établissement et les banques, le phénomène est le plus important. La cohérence du discours du candidat “anti-système“ est donc bien importante pour casser le mécanisme de rejet, mais elle impose aussi que ce discours ne soit pas provocateur. »

Telle est, exactement, la stratégie de Marine Le Pen ! Persuadée qu’elle sera présente au second tour de l’élection présidentielle, où elle sera opposée à un candidat qui, quel qu’il soit, sera présenté comme l’homme de l’« establishment », le candidat de l’« élite », celui du « système », elle évite en effet tout discours qui serait jugé « provocateur » afin de neutraliser autant que faire se peut des électeurs qui lui sont a priori opposés. L’idée étant que s’ils ne votent pas pour elle, peut-être s’abstiendront-ils de voter contre elle, ce qui, mécaniquement, augmentera ses chances d’être élue.

De même Sapir met-il en avant le fait que Bernie Sanders, candidat malheureux à l’investiture démocrate contre Hillary Clinton, ait déclaré qu’il était prêt, « dans la mesure où M. Trump est sérieux », à travailler avec lui « s’il s’agit de mener une politique améliorant la vie des familles de travailleurs », mais bien sûr pas dans le cadre de « politiques racistes, xénophobes et anti-écologistes ». Le texte de Sapir fait écho, là encore, aux multiples hommages rendus, tout au long de cette campagne, par Florian Philippot à Bernie Sanders, systématiquement présenté comme l’autre candidat « anti-establishment », préfiguration de ce que sera, suivant cette logique, un appel aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon à se reporter sur Marine Le Pen.

Car on en est là, et un mérite de l’élection de Donald Trump aura été de permettre que cette stratégie, que Marine Le Pen pratique depuis de longs mois, soit écrite noir sur blanc par Jacques Sapir, un peu moins prudent que d’habitude ou un peu plus ambitieux.

Quels avantages Marine Le Pen peut-elle malgré tout retirer de la victoire du candidat républicain ? 

Avant l’élection, un journal américain avait parlé de Trump comme du « Marine Le Pen américain ». Depuis l’élection de Trump à la présidence des Etats-Unis, c’est Marine Le Pen qui est devenue « le Trump français » et cela change tout dans la perception : si le Marine Le Pen français a été élu à la présidence de la première puissance mondiale, la vraie Marine Le Pen ne peut-elle pas elle aussi être élue ?

Pour Marine Le Pen, l’élection de Donald Trump est comme une « divine surprise », qui vient montrer, selon sa formule, que « ce que le peuple veut, il le peut », ce qui tombe à pic pour sa propre campagne placée sous le slogan « Au nom du peuple ». La classe politique française a d’ailleurs été quasi unanime à noter, de Jean-Christophe Cambadélis à Jean-Pierre Raffarin, que « ce qui paraissait impossible, impensable, pourrait bien nous arriver aussi », comme l’a dit Elisabeth Guigou, à savoir que l’hypothèse de l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République devient crédible.

Marine Le Pen va donc continuer à inscrire son action dans le cadre englobant de « ce monde nouveau qui émerge » et est notamment caractérisé par les « surprises » que réservent les peuples aux « élites déconnectées », tout en déroulant un discours qui, sur la forme comme sur le fond, est aux antipodes de celui de Donald Trump, cela dans un contexte institutionnel et politique totalement différent. C’est après tout de bonne guerre et c’est de son intérêt, tant les Français ne vont pas aller chercher ce qui les distingue fondamentalement.

On ne peut d’ailleurs pas exclure que Marine Le Pen profite des deux mois qui nous séparent de l’entrée en fonction du 45e président des Etats-Unis, le 20 janvier prochain, pour aller à sa rencontre et mettre en valeur les points de convergence en politique internationale avec celui qui sera bientôt l’homme le plus puissant le monde. 

La réussite Trump pourrait-elle plutôt inspirer un candidat des Républicains, qui aurait moins de scrupules à durcir son ton ? Si oui, lequel vous semble le plus à même d'adopter le style de Trump lors de la prochaine campagne ?

L’élection de Trump survient trop tard pour permettre à un candidat, donné à 1 % dans les sondages de la primaire comme l’était Trump à son entrée en lice dans la primaire des Républicains, de l’emporter, mais elle donne le signal qu’il est possible de terrasser celui qui est à la fois le favori des sondages et le candidat de la continuité, suivez mon regard…

A une semaine du premier tour de la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé est celui qui a le plus à redouter de l’onde de choc de la présidentielle américaine, en tant qu’il apparaît comme le candidat adoubé par le « système », et on peut faire confiance à Nicolas Sarkozy pour essayer profiter de l’effet de souffle, ce qu’il a déjà engagé. Le « style Trump », ça le connaît, et ce n’est pas sur ce terrain qu’on peut venir le concurrencer, quand bien même voudrait-on « renverser la table » comme l’avait annoncé François Fillon.

(1)http://www.nytimes.com/interactive/2016/11/08/us/politics/election-exit-polls.html?_r=1

(2)https://russeurope.hypotheses.org/5417

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