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Pourquoi il sera possible un jour de soigner la schizophrénie comme on soigne une grippe
©Toby Melville / Reuters

Maladie mentale immunitaire

Une récente étude fait le lien entre les dérèglements immunitaires et la schizophrénie. Si les causes de cette maladie sont multiples, l'espoir est réel pour certains patients.

Laurent Groc

Laurent Groc

Laurent Groc est docteur en neurosciences, directeur de recherche au CNRS, et directeur d'une équipe de recherche au sein de l'Institut Interdisciplinaire de Neuroscience (CNRS, Université de Bordeaux). Son laboratoire combine différentes technologies d'imagerie cellulaire, des plus classiques aux plus avancées, afin de comprendre le développement du cerveau et ses altérations lors de troubles psychotiques. Il est membre de la Fondation Fondamentale récompensée par le prix Dassault.

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Atlantico : Une étude fait le lien entre les dérèglements immunitaires et la schizophrénie. Concrètement, pourrons-nous espérer soigner la schizophrénie comme nous soignons une grippe ?

Laurent Groc : À une question un peu provocatrice pourrait-on dire, la réponse est oui et non. Il n'existe pas une cause de schizophrénie mais des causes de schizophrénie. Ce que l'on sait maintenant avec les dérèglements de l'immunité, et en particulier l'auto-immunité, environ 20% des patients schizophrènes souffriraient de ce dérèglement auto-immunitaire. A la question : peut on soigner LA schizophrénie la réponse est évidemment non puisqu'il y a de nombreuses causes. Certains patients qui ont des problèmes d'auto-immunité pourraient être soignés par des traitements d'immunothérapie. Pour les patients ayant d'autres causes il faudrait un autre type de traitement. Le problème que l'on a c'est de savoir à l'heure actuelle si le patient a une cause immunitaire ou inflammatoire ou pas. Dès que l'on sait qu'il a une cause immunitaire on peut adapter la thérapie avec de grands espoirs à l'heure actuelle sur le traitement des patients. Les études très préliminaires là-dessus montrent des résultats très intéressants et prometteurs sur les patients schizophrènes qui ne répondaient pas ou très peu à des traitements antipsychotiques classiques. Les améliorations par l'immunothérapie étaient spectaculaires. L'espoir est absolument réel pour les patients ayant une cause venant de l'auto-immunité ou l'immunité.

Sans pour autant espérer un médicament contre la schizophrénie en quoi ces recherches peuvent-elles aider à une meilleure compréhension et une meilleure prise en charge ?

Sur le plan de la compréhension il y a là aussi un véritable espoir. A partir du moment où des auto-anticorps sont identifiés et induisent la maladie, on est aujourd'hui capable d'isoler et de purifier cette maladie. L'auto-immunité était plutôt vue comme participant à un bruit inflammatoire général. Cette molécule est active et pathogénique. C'est-à-dire qu'elle va être active et qu'elle va dérégler le système de transmission et de communication dans le cerveau. Notre projet qui nous a permis d'obtenir en partie le prix Dassault a pour ambition d'utiliser les nanotechnologies pour aller voir ce que cette molécule fait dans un tissu cérébral vivant et voir ce qui se passe en terme de dérégulation. Si on arrive à comprendre et à voir le dérèglement qu'induit cette molécule, cela nous permettrait d'ouvrir de nouvelles pistes dans des stratégies thérapeutiques nouvelles. Il y a une différence entre savoir ce qu'une molécule va dérégler et l'identification elle-même de la molécule. Cet auto-anticorps a été découvert à l'origine dans une maladie qui s'appelle l'encéphalite. Nous sommes actuellement en train de vivre une révolution en neurologie ou en psychiatrie notamment aux Etats Unis. Un chercheur américain a su démontrer que les patients atteints de cette encéphalite se mettaient à synthétiser cet auto-anticorps. Pendant des semaines les patients avaient des troubles psychiatriques et psychotiques majeurs. Au bout de quelques semaines ils avaient une aggravation neurologique qui diffère des patients en psychiatrie classique. Ils étaient transférés en réanimation puisque cela dégénérait très rapidement. Le fait d'avoir caractérisé cet auto-anticorps a permis une prise en charge des patients qui, très rapidement, ont pu retrouver une vie normale. Cette découverte très récente date de 2008. Les patients ne terminent plus à présent dans le coma pendant des mois voire des années.

C'est à partir de là que l'on s'est par la suite demandé si l'on ne pouvait pas retrouver ces anticorps par exemple dans des maladies psychiatriques. On s'est rendu compte maintenant qu'on retrouve ces éléments pathogènes dans des maladies telles que la schizophrénie. Chez les patients atteints d'inflammations du cerveau qui sont beaucoup plus rares, dès qu'on enlève la molécule les troubles psychiatriques disparaissent. L'espoir est donc réel pour les patients atteints de schizophrénie, et qui ont cet anticorps-là, de les prendre en charge.
Il existe d'autres maladies auto-immunes traitées par des immunothérapies en réduisant la présence des auto-anticorps, en tuant en grande partie les cellules qui vont les fabriquer. Tout cela existe dans des maladies traitées tous les jours dans les hôpitaux dans les services d'immunologie et de cancérologie. Ce qu'on essaie de faire c'est de rediriger les traitements qui existent déjà vers des patients psychiatriques. Des tests existent à travers le monde.
Tout est une question de diagnostique. Il n'est pas facile de détecter les auto-anticorps qui sont présents en quantité infime car en très faible concentration dans le sang. On pourrait imaginer de faire des ponctions lombaires pour aller au niveau du liquide céphalorachidien mais avec la faible concentration il faut des moyens de détection très sensibles. D'autres anticorps que celui présent dans les encéphalites pourraient également être la cible du système nerveux. Un seul patient pourra avoir plusieurs auto-anticorps contre lui.

Ces recherches remettent elles en cause le travail des psychologues et psychiatres dans la compréhension des maladies mentales ?

Les études que nous menons démontrent une fois de plus que la maladie mentale que peut être la schizophrénie a un substrat biologique et une altération de la communication dans le cerveau. Pour cet exemple précis, le système immunitaire et le système nerveux central ont des sortes de liaisons dangereuses.  Quand l'un se dérègle c'est la communication dans le cerveau qui sera impactée. Il y a donc chez certains patients une cause immunitaire. Après pour la cause du dérèglement immunitaire, c'est-à-dire que certains patients se mettent à avoir une réaction auto-immunitaire, il y a plusieurs pistes à l'heure actuelle. Une infection virale importante est possible, une infection bactériale aussi, mais aussi d'autres facteurs. Chacun peut y voir en fonction de ses sensibilités des causes potentielles. Le plus important est de savoir que le dérèglement est immunitaire et il faut traiter cela pour les patients qui en souffrent. La psychiatrie française à l'heure actuelle est en train d'évoluer. Les évidences en génétique ou en immunopsychiatrie ont un rôle essentiel dans la prise en compte des dérèglements biologiques dans l'apparition des maladies mentales.

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