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Pourquoi il est urgent d’enseigner la gestion de l’échec à l’école
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Plus qu'un enseignement de l'entrepreneuriat qu'elle aura bien du mal à mettre en place, l'école devrait plutôt apprendre à ses élèves à suivre leur voie, quitte parfois à expérimenter et se tromper, pour que chacun finisse par trouver le chemin vers l'emploi et mette ses talents au service de la société.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : François Hollande a déclaré le 29 avril dernier vouloir instaurer "un programme sur l’entrepreneuriat" qui s’étalerait de la sixième à la terminale. "Il prendra la forme de stages, plus nombreux qu’aujourd’hui, d’interventions d’acteurs économiques et d’initiation à la vie économique." Comment enseigner l’esprit d’entreprise ? Quels modules pourraient être pensés ?

Gérard Thoris : Considérons d’abord le ton du Président qui laisse entendre quelque chose de sa volonté profonde : "j’ai entendu ce qui était prononcé. Le ministre de l’Éducation est là. Il est donc prévu, de la sixième à la terminale, un programme sur l’entrepreneuriat"[i]. Le français est une langue subtile : tout, dans cette formulation, traduit une prise de distance. Prenons-là néanmoins au sérieux. Le préalable à toute réforme est la connaissance de la situation présente. Il serait donc fort intéressant de savoir comment l’entrepreneur et l’entrepreneuriat sont présentés, de la sixième à la terminale, dans chacune des matières, du français à l’histoire, des langues à l’économie. Car, le ministre de l’Éducation aurait pu en témoigner, l’économie est déjà au programme du collège ; elle a ses filières réservées au lycée. On pourra objecter, et on aura raison, que l’entrepreneuriat n’est pas l’économie ; il est cependant difficile d’imaginer une nouvelle matière sans tenir compte de ses relations avec les matières existantes.

S’il faut, pour avancer, créer un module sur l’entrepreneuriat, on suppose qu’il aura son programme, ses enseignants titulaires et ses modalités d’évaluation. La première difficulté est qu’un programme d’entrepreneuriat ne peut être conçu qu’autour de la figure de l’entrepreneur. Or tout pèse, en France, pour que l’on glisse plutôt vers la sociologie de l’entrepreneur. Bien que cela soit un sujet passionnant, ce n’est déjà plus ce qui est "prévu". La seconde difficulté est que, selon les critères propres à l’Éducation nationale, un enseignant en entrepreneuriat ne peut être qu’un diplômé en entrepreneuriat. Or, la partie pratique de ce diplôme ne peut consister que dans la création d’entreprise. Donc, le module envisagé ne pourrait être tenu que par des entrepreneurs. Quant à la validation du module, il pourrait être lié à un compte-rendu que l’élève ferait suite à un stage en entreprise qui pourrait se dérouler durant les vacances d’été. Chacun imagine les obstacles légaux qui existent actuellement et qu’on ne pourrait lever qu’avec beaucoup de prudence !

L'entrepreneuriat implique la prise de risque, et donc aussi, de temps en temps, l’échec. N’est-ce pas aussi cela qu’il faudrait enseigner : l’échec et les meilleures manières de rebondir ? Le système scolaire le permet-il en l’état actuel ?

Le système scolaire français est réputé pour être une sorte de tamis par lequel les intelligences sont supposées être triées. Celui qui n’a pas l’intelligence assez fine ne passe pas les mailles du filet et se voit relégué dans des filières dûment hiérarchisées. Ce système de tri, présenté pour ceux qui réussissent comme une modalité de l’élitisme républicain, est typiquement un mode de sélection par l’échec. Cette situation provient de notre conception abstraite de la nature humaine fondée sur l’idée que les cerveaux de nos enfants sont une "table rase" sur laquelle il suffit d’inscrire le savoir. De ce fait, le choix napoléonien du même enseignement pour tous au même moment est la solution idéale.

On pourrait imaginer une autre conception, selon laquelle l’intelligence des enfants n’est pas un disque dur standardisé ; on pourrait aussi imaginer que l’on enseigne à des enfants et non à des intelligences. A ce moment-là, des choix de parcours différents ne seraient que des choix ajustés au besoin, respectant, d’une autre façon, l’égalité républicaine. La notion d’échec scolaire serait ainsi nettement relativisée. On peut considérer que la formule allemande de l’enseignement professionnel correspond à cette conception. Or, en France, dans le contexte de la nième "refondation de l’École de la République", les députés viennent de supprimer l’apprentissage à 14 ans (16 mars 2013). On ne se souvient pas assez que cette possibilité avait été inscrite dans la "loi pour l’égalité des chances" (8 mars 2006) et n’avait finalement pas résisté à l’abrogation du Contrat première embauche qui en était l’article principal. Elle n’avait finalement abouti qu’en 2011. Bref, on ne se donne même pas le temps de l’expérimentation.

De manière plus positive et plus réaliste, le trop peu connu programme ECLAIR (Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) permet à un certain nombre d’établissements de pratiquer des innovations pédagogiques décentralisées pour tenir compte des particularités d’un certain nombre de "territoires qui rencontrent les plus grandes difficultés". Ce doux euphémisme relevé sur le site du ministère parle bien des enfants qui sont géographiquement ancrés dans des territoires, mais c’est sur une base territoriale que l’on chercher à élargir la liberté d’organisation du système éducatif  !

Toutes ces explications ont pour but de soutenir l’idée que le fondement d’un système éducatif est de faire grandir la confiance et l’estime de soi. Ce sont deux socles qui permettront d’assumer l’échec, lorsqu’il se présentera. Et cela ne manquera pas d’arriver !

Le système scolaire est-il dénué de tout challenge, au point que l’on en vienne à l’instaurer comme une matière ?

La dénonciation du système du tamis a été faite mille fois. Le paradoxe, c’est qu’on n’a pas rejeté le tamis monocritère de l’intelligence conceptuelle. On a préféré en garder le principe en élargissant la trame du tamis. Cela a pris de multiples formes qui, toutes, ont contribué à l’idée d’une dégradation du système éducatif. On peut citer, pêle-mêle, la suppression des devoirs à la maison, l’interdiction du redoublement, un objectif de réussite au baccalauréat qui est, en soi, un signal de réussite pour tous !

Mais les acteurs ne sont pas dupes. Dans ce nivellement des exigences, ils ont cherché les filières d’excellences. Celles-ci passent toujours par le choix de l’établissement et, dès le collège, par le choix des langues ; par la suite, pour s’en tenir au lycée général, le choix entre les filières L, ES et S est tout sauf un choix d’appétence !

Il y a donc une sorte de course-poursuite entre le Ministère qui souhaite faire du parcours scolaire une sorte de promenade de santé et les familles qui ne méprisent pas l’émulation comme principe éducatif. La meilleure façon de répondre à la demande des familles serait évidemment la suppression de la carte scolaire. Cela introduirait parallèlement un élément de concurrence entre les établissements. Lors de la rentrée 2007, Xavier Darcos avait fait un pas dans ce sens par un assouplissement des règles, mais n’était pas allé jusqu’au bout, ni du principe de liberté, ni de ses engagements. On ne sera pas surpris que Vincent Peillon revienne en arrière avec, encore une fois, le doux euphémisme d’un "ajustement".

Entre le choix politique du brassage social, encore rappelé par François Hollande dans sa campagne électorale, et le choix parental du meilleur parcours pour leurs enfants, le jeu continue. Contrairement à ses principes et à ses dires, l’État n’a pas le pouvoir de réaliser la même qualité d’éducation d’une classe à l’autre ni d’un établissement à l’autre. D’un autre côté, tous les parents n’ont pas les mêmes préoccupations, les mêmes talents ni les mêmes pouvoirs pour organiser le parcours scolaire de leurs enfants.

A entendre François Hollande lors de la clôture des Assises de l’entrepreneuriat, cet épuisant débat n’est pas la préoccupation principale des élèves : "Il y a quelques semaines, je recevais des jeunes, ici, qui avaient été choisis en fonction de la diversité de notre société. L’une des plus grandes critiques qu’ils faisaient était qu’ils n’avaient pas été orientés comme ils l’avaient espéré ; qu’un certain nombre de filières ne leur avaient pas été présentées. Ils ajoutaient qu’ils auraient voulu que des chefs d’entreprise viennent dans les établissements leur montrer ce qu’ils faisaient." Ce témoignage suffira-t-il à convaincre les gestionnaires de fait du système éducatif ?

Comment pourrait-on davantage éduquer à l'échec ? Par quels moyens concrets ? Faudrait-il notamment revenir à des systèmes de notation plus stricts ?

Dans un système monolithique et pyramidal, ne pas être au sommet est un échec et, si on se rapproche du sommet, ne pas être numéro un est aussi un échec. Mais on peut avoir une autre conception de l’homme et de la société. Dans une vision pré-libérale, la société était conçue davantage comme un corps que comme un marché. Dans un corps, il n’y pas de concurrence entre les membres, mais chacun d’entre eux a son utilité au service de l’ensemble. Cela signifie que le rôle de l’éducation et, au sein de l’éducation, du système scolaire et universitaire, peut davantage être conçu comme un milieu où chacun trouve son chemin vers l’emploi qui lui permettra de mettre ses talents au service de l’ensemble. On remarquera que cela le fait davantage entrepreneur de sa propre vie qu’un système concurrentiel où seul le sommet compte et où la voie de la réussite est considérée comme unique.

La notation a nécessairement son rôle dans ce processus de découverte. Il devrait pourtant être évident qu’une notation peut ouvrir des chemins plutôt que d’en fermer. Pour cela, elle devrait être un processus d’accompagnement des élèves. Les entrepreneurs sont sans doute des êtres atypiques qui n’entrent pas dans les critères d’évaluation standardisés. Faut-il rappeler que les mémoires d’Antoine Riboud, fondateur du groupe Danone, s’intitulent Le dernier de la classe.

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