Pourquoi accuser Booba d’apologie du terrorisme équivaut à casser le thermomètre en ignorant la maladie<!-- --> | Atlantico.fr
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Booba.
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Quand on joue avec le feu

Après l'interview accordée au Parisien dans laquelle Booba évoque les attentats du mois de janvier, de nombreuses voix se sont élevées pour poursuivre le rappeur en justice pour "apologie de terrorisme". Une réaction qui montre que pour certains, l'indignation vaut mieux que la résolution des problèmes de sociétés.

Emmanuel  Pierrat

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat est avocat au barreau de Paris et dirige un cabinet spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. Chroniqueur, romancier et auteur de nombreux essais et ouvrages juridiques, il est notamment l’auteur de La Justice pour les Nuls (First, 2007).

 
 
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Atlantico : Interrogé par Le Parisien sur les attentats de Charlie Hebdo au mois de janvier, Booba a déclaré lundi : "Ils savent à qui ils ont affaire, les mecs. Ils s'attaquent à l'islam, ils savent très bien qu'il y a un courant extrémiste, ils savent très bien comment les mecs fonctionnent, ils ont pris le risque de continuer à les attaquer... Voilà. Quand on joue avec le feu, on se brûle". Suite à ces déclarations, de nombreuses voix de la part de personnalités politiques ont appelées à poursuivre le rappeur pour apologie du terrorisme. Quels risques y-a-t-il à censurer ce type de constat ?

Emmanuel Pierrat : Il y a une volonté générale par le biais de la répression des propos de camoufler des thèmes sociétaux. C'est moins exemplaire dans le cas de Booba, mais souvenons-nous des adolescents qui en début d'année ont dit des bêtises, comme les deux sœurs nantaises qui ont dit à un chauffeur de bus qu'elles étaient les sœurs Coulibaly. Poursuivies et condamnées, je ne suis pas persuadé que la peine en fasse des citoyennes exemplaires dans 6 mois. En réalité, il aurait peut-être été plus intéressant d'avoir un débat sur la laïcité, sur l'éducation, sur les valeurs du vivre-ensemble… Or tous ces sujets sont évacués au profit d'une condamnation pénale qui donne l'impression d'avoir réglé le problème. Non seulement il ne le règle pas sur le moment, mais il ne le règle pas dans l'avenir. On condamne un rejet de la société française, on en crée un autre donc. Si ces personnes sont déjà sur la mauvaise pente : la non-intégration aux valeurs de la République, à la société française, nous achevons le travail. On occulte le débat qu'on devrait avoir.

Sur les propos négationnistes, c'est un vieux débat que de savoir s'il faut les réprimer plutôt que de les tolérer et faire de la pédagogie. Parce que c'est une forme de censure, qu'il s'agisse de propos infâmes ou pas. En l'occurrence, on répond à une répression de la liberté d'expression de Charlie Hebdo avec le même outil.

Juridiquement, les propos tenus par Booba peuvent-ils être qualifiés d'apologie du terrorisme ?

Démontrer une apologie en droit est de manière générale très compliquée. Cela nécessite de caractériser une provocation à la loi, et la jurisprudence montre qu'il faut que ce soit lié à une action concrète qui en aurait découlé, et surtout que des personnes en suivent les consignes. Pour l'instant, les jurisprudences sont à un stade embryonnaire, mais même en prenant les propos isolés tronqués et repris dans les médias des propos de Booba "Quand on joue avec le feu, on se brûle", ça ne suffit pas à être un appel au crime de terrorisme. Pour que ce soit le cas, il aurait fallu que le rappeur dise que "les terroristes ont eu raison de le faire" par exemple.

Je pense donc que non, que cette situation relève davantage de la surenchère démagogique. D'autant que comme dans tous les délits relevant du pénal, il faut démontrer non seulement l'acte mais aussi l'intention, ce qui est loin d'être aisé vu les nuances apportées dans ses propos. En l'occurrence, la question n'est pas de savoir si Booba est un bon rappeur, un mauvais, ou s'il est bon ou méchant, mais bien de savoir s'il a dit oui ou non des propos répréhensibles selon la loi.

Que sait-on de l'efficacité de la censure ? Que nous disent les statistiques concernant les pays où elle est très limitée, où le débat est ouvert comme aux Etats-Unis par exemple ?

On a vu qu'à chaque fois qu'on poursuivait quelqu'un pour ses propos "border-line" comme avec Dieudonné, on en fait des martyrs qui peuvent compter sur une autopromotion : "nous sommes condamnés parce que nous avons raison".

Contre toute attente, le débat ouvert permet de cantonner ces idées dans un pourcentage infinitésimal. La liberté d'expression quasi absolue telle qu'elle est aux Etats-Unis, où on laisse le Ku Klux Klan défiler dans la rue, des personnes avoir un brassard avec une croix-gammée, est très pénible à regarder. Mais comme les américains sont éduqués à la critique politique et la critique des médias, la chose devient beaucoup plus acceptable. Et on apprend aux Américains que le Ku Klux Klan est une horreur. D'ailleurs, on se rend compte qu'aux Etats-Unis, le néo-nazisme ou le Ku Klux Klan ne prospèrent pas, les idées les plus racistes et révisionnistes sont en perte de vitesse. En France, nous n'avons pas cultivé l'esprit critique de nos enfants. Et en ne le faisant pas, nous masquons une partie des idées qui prolifèrent au sein de la population.

Quels sont les thèmes qui suscitent le plus de répression ?

Les idées autour de la race, le racisme, sous toutes les formes. D'ailleurs, le mot a été supprimé dans la loi française et provoque de nombreuses complications pour évoquer les problèmes liés à l'insertion et à l'immigration car on préfère considérer que tout le monde est républicain. La santé et la mort deviennent aussi des sujets très sensibles.

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