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Faut-il montrer les dents pour gagner les élections ?
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Ces animaux qui nous gouvernent

La campagne présidentielle semble réveiller les égos et leurs petites phrases assassines comme celles entendues dans la bouche de Ségolène Royal sur ses rivaux des primaires. Pour expliquer les comportements des hommes politiques, le politologue Arnaud Mercier distingue deux typologies : les « babouins » : lutteurs, agressifs, autoritaires. Et les « chimpanzés », qui croient en l’égalité et en la hiérarchie. Les gagnants pouraient bien être les babouins...

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico : Qu’avez-vous pensé des récentes vives déclarations de Ségolène Royal sur ses rivaux à la primaire PS ? 

Arnaud Mercier : Il est vrai que les éléments « punchy » - plus agressifs - entrent souvent dans des logiques de sparring partner (“partenaires de boxe pour l'entraînement”, NDLR). Quand vous acceptez l’idée d’être en position de challenge, il faut être plus offensif que ceux à qui vous contestez le leadership pour remonter la pente. Au risque d’aller trop loin dans les propos et de tomber dans l’agressivité ou dans une posture intolérante. Je crois que l'attitude de Ségolène Royal est apparue à cette occasion, comme relevant des mœurs de babouins.

De babouins ?

Oui, des babouins. Je crois que l’on peut s’inspirer de la technique des primatologues qui ont longtemps étudié le fonctionnement et l’attitude de nos plus proches cousins... Les éthologues se sont aperçus que les babouins, vivaient dans une société extrêmement hiérarchisée, avec beaucoup de luttes de pouvoir qui peuvent être extrêmement violentes. Le babouin numéro un est le chef. Il impose son autorité sur le groupe. Il ne peut être contesté que par le babouin numéro deux, qui, lui-même, ne peut être mis en cause que par le numéro trois et ainsi de suite. Bref, chez les babouins, on a une guerre des égos, parce que plusieurs se sentent l’âme d’un conquérant et veulent le pouvoir pour s’imposer. En politique, ceux qui s’en sortent sont les babouins. 


En quoi, donc Ségolène Royal serait-elle à classer chez les babouins ?

Elle appartient à ces fortes personnalités qui arrivent à s’imposer. Mitterrand était aussi un “babouin”, Sarkozy est un “babouin”. Ils étaient capables de « tuer » ceux qui se mettaient en travers de leur chemin. Dans ses dernières déclarations, Ségolène Royal  paraissait vouloir s’affranchir de règles de non-agression en se montrant extrêmement critique. On avait déjà vu cela lors du débat de 2007. On voyait qu’elle n’hésitait pas à "rentrer dedans". Elle considère –pas forcément à tort – que cette attitude l’amène à recueillir un certain nombre de bénéfices. Son comportement permet de démontrer sa capacité à rallier les plus offensifs de son camp, et ces derniers reconnaissent en elle une sorte de Zorro qui porte leur colère. Mais c’est perdre d’un autre côté sur l’image de "rassembleur" –celle du chimpanzé, respectueux - qu’un comportement moins outrageant aurait suscité.


A quoi correspond cette typologie des “chimpanzés” ?

Chez les chimpanzés, il y a un chef, pas très autoritaire. C’est une espèce de communauté des égaux. De temps en temps, il y en a un qui essaye de contester l’autorité du chef. Il essaye de le tourner en ridicule en jouant avec lui, en le « chamaillant ». Le chef est toléré par les autres. C’est une guerre d’égaux. S’il arrive à humilier le chef, il peut prendre sa place. Il n’y a pas de guerre. 

Qui selon vous appartient à la classification des “chimpanzés “ ?

Simone Veil est typiquement un « chimpanzé ». Personne ne peut penser que c’est une « killeuse ». Elle ne pourrait pas tuer père et mère pour y arriver, elle n’est pas « programmée » pour cela. De même, Michel Rocard, même s’il « flingue » aujourd’hui Dominique Strauss-Kahn pour essayer d’exister, est aussi un chimpanzé. Quand il s’est opposé à Mitterrand pour l’investiture socialiste en 1980, on s’est aperçu qu’il ne boxait vraiment pas dans la même catégorie. En 1978, Il s’est même mis à pleurer parce que la gauche avait perdu les élections législatives :  c’est typiquement “chimpanzé”. En même temps, il est sincère, il a eu longtemps une très bonne image grâce à cela. Même des gens de droite trouvaient qu’au moins, il était un type honnête et sincère. Il n’est pas naïf pour autant. Il a su faire preuve de roublardise. Il a quand même réussi à mettre en place un gouvernement d’ouverture faisant parfois voter des lois avec les centristes, contre les communistes et d’autres aux communistes contre les centristes...


S’ils n’ont pas le pouvoir, à quoi servent ces “chimpanzés” ?

Ceux qui servent un peu de caution au système, les « gentils », sont les chimpanzés. Dans un système politique, et même à l’intérieur d’un parti, il faut des “chimpanzés” et des “babouins”. Un monde avec seulement des “babouins” serait invivable. Ils se boufferaient tous le nez - le museau- entre eux. Il faut des chimpanzés, parce qu’ils peuvent aussi servir de caution au système. Ils permettent de montrer aux électeurs que les hommes politiques ne sont pas tous pareils, agressifs et avides de pouvoir. Par exemple, vous avez un super babouin, Nicolas Sarkozy et un super chimpanzé : Simone Veil – qui a été la présidente du Comité de soutien. On ne peut pas faire plus efficace pour faire passer le babouin pour quelqu’un respectueux de la pensée d’autrui, etc. Heureusement, qu’il y a quand même des chimpanzés.


Justement, qui seraient les babouins de l’UMP ?

Difficile à dire car on a plusieurs types de caractères. Mais, Jean-François Copé est un babouin ! Il ne fait d’ailleurs pas mystère qu’il veut se retrouver candidat à l’élection présidentielle de 2012… En revanche, personne ne pourrait croire que Pierre Méhaignerie, par exemple, était un babouin : il lui manquait l’ambition et l’agressivité au sein de l’UMP - une société hiérarchisée.


Les babouins sont-ils des gagnants ?

Non, ils ne réussissent pas tous à avoir le pouvoir. Pour le coup, c’est une société beaucoup plus darwinienne. Et si des babouins s’en sortent, d’autres restent sur le carreau. Dominique de Villepin, par exemple, me paraît être un babouin en position extrêmement fragile – même s’il croit en son destin.

Peut-il arriver qu’un chimpanzé se prenne pour un babouin, ou inversement ?

Oui. François Léotard a essayé d’être un babouin et il s’est aperçu finalement qu’il était un chimpanzé. Il a fini par se retirer de la vie politique car au bout d’un moment : ça ne collait plus. Il n’avait pas le « moteur » lié au désir de pouvoir et qui conduit le “babouin”.

Inversement, Lionel Jospin jouait les « chimpanzés » mais c’était un « babouin ». Durant la campagne de 2002, il a passé son temps à faire des actes manqués pour ne surtout pas être élu. C’est le cas quand il dit : « J’ai péché par naïveté » ( sur sa gestion de la sécurité, NDLR). Même l’annonce de sa candidature a été loupée. Il a envoyé une dépêche AFP : on ne peut pas faire plus impersonnel ! C’est hallucinant ! Ensuite, il vient au journal télévisé de Pujadas et déclare : « Ah, mais mon programme n’est pas socialiste ! ». Il commet des erreurs marketing dans le sens où il croyait tellement aux sondages qu’il pensait que c’était joué d’avance – lui, comme les journalistes d’ailleurs. Et il a fait une campagne de second tour dès le premier tour !

Ensuite, après sa bourde sur le « Chirac fatigué », il s’excuse en disant : « cela ne me ressemble pas ». Si bien qu’on se demandait qui était vraiment ce gars : ni socialiste, ni franc du collier et naïf en plus ! Je pense que ça se psychanalyse. Si on en croit Jean-Christophe Cambadélis, qui racontait qu’en février 2001, Jospin lui confiait qu’il ne voulait pas être candidat… Même son slogan « Diriger autrement » prouve qu’il ne voulait pas être candidat mais qu’il était prisonnier d’un schéma mental dans lequel il fallait démontrer qu’il n’était pas comme l’autre, Chirac, qu’il jugeait indigne de la fonction. Je ne veux pas faire mon petit Lacan, mais face à celui qu’il considérait comme un menteur, l’ « autre-ment » revêt tout son sens. Vous avez le chimpanzé-type qui, au fond, ne croyait pas en lui et a voulu jouer dans la cour des babouins.

Vue sa réussite, Chirac ne peut-être que « babouin » ?

Ah oui. Lui il en a tué : Chaban-Delmas, Giscard, Barre, etc. et il a même essayé de tuer Sarkozy… Aujourd’hui, hélas pour lui, c’est un vieux « babouin ».

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